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Défaillances d'entreprises : +68% en un an

Entre septembre 2021 et septembre 2022, on dénombre 387.367 radiations du Registre du commerce et des sociétés (RCS) et 38.000 défaillances d’entreprises. Ces défaillances ont particulièrement crû au troisième trimestre (T3) 2022, avec une augmentation record de 68,5% par rapport au T3 2021.

Note mise à jour, le 2 novembre 2022.

Fin juillet, l’iFRAP alertait déjà sur les chiffres anormalement hauts de radiations du RCS en 2022.[1] Une analyse des chiffres du T3 révèle que la situation, non seulement ne s’est pas améliorée, mais risque bien de se détériorer. On peut commencer par se pencher sur les données mensuelles brutes des radiations du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) publiées par les greffes. A titre de précision, la radiation du RCS signe la fin de vie d’une entreprise, qui disparait alors et perd la personnalité juridique. La radiation du RCS peut résulter de plusieurs facteurs dont deux importants que l’on va étudier ici : la défaillance de l’entreprise et la cessation volontaire d’activité.

On observe tout d’abord que l’année 2022 a été marquée par des chiffres anormalement élevés de radiations aux T1 et T2 comparé aux deux années précédentes : 179.523 radiations entre janvier et juin 2022 contre 136.217 en 2021 et 106.701 en 2020 sur la même période. Cela correspond à une augmentation de 32% par rapport à 2021 et de 68% par rapport à 2020. Concernant le T3, les chiffres de 2022 (75.023 radiations) n’apparaissent cette fois pas anormalement élevés. En effet, s’ils sont supérieurs à ceux de 2020 à la même période (61.472), ils restent néanmoins équivalents à ceux de 2021 (76.348). En tout et pour tout, sur la période de janvier à septembre 2022, on dénombre 257.257 radiations, soit une augmentation de 21% par rapport à 2021 (qui comptait 212.565 radiations) et de 53% par rapport à 2020 (qui comptait 168.173 radiations).

On pourrait objecter que cette augmentation des radiations par rapport aux années précédentes s’explique par le fait que 2021 et 2022 étaient des années spéciales marquées par la crise du Covid. Mais si l’on remonte dans le temps, les chiffres de radiations de 2022 sont tout aussi inquiétants. En effet, alors que l’on ne comptait que 252.592 radiations entre octobre 2018 et septembre 2019, on en compte désormais 365.480 entre octobre 2021 et septembre 2022, ce qui représente une importante augmentation de 45%.

Source [2]

Les chiffres des radiations sont particulièrement alarmants chez les commerçants. Déjà en juillet, l’iFRAP observait « une explosion des radiations chez les commerçants ». Cela est encore vrai aujourd’hui. Sur la période de janvier à septembre 2022, on observe 78.062 radiations de commerçants, soit une augmentation de 20% par rapport à 2021 (qui comptait 65.040 radiations de commerçants) et de 82% par rapport à 2020 (qui en comptait 42.840). Cette explosion du nombre de radiations de commerçants se confirme au T3. Si l’on constate un ralentissement aux mois de juillet et d’août, les chiffres de septembre sont alarmants et témoignent d’une augmentation qui grimpe en flèche. Au mois de septembre, on observe ainsi 13.574 radiations de commerçants contre 10.343 en 2021 et 5.035 en 2020, soit des augmentations respectives de 31% par rapport à 2021 et de 169% par rapport à 2020. La tendance semble se confirmer avec, au 10 octobre 2022, déjà 4.384 radiations de commerçants, là où l’on en observait seulement 2.258 en 2021 et 1.919 en 2020 à la même période.

 

Source [3]

Comme expliqué précédemment, les radiations du RCS peuvent résulter, entre autres, de défaillances d’entreprises et de cessations volontaires d’activité. Etudions d’abord la première hypothèse. La défaillance d’entreprise correspond à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire directe auprès d’un Tribunal de Commerce ou Judiciaire. Un récent rapport du groupe Altares met en lumière l’importante augmentation des défaillances d’entreprises en 2022 par rapport à 2021.[4] Le rapport relève 8.950 entreprises ayant défailli au T3 2022, soit une augmentation de 68,5% par rapport à l’année précédente, une hausse record jusqu’ici jamais observée. La dernière hausse d’une ampleur à peu près similaire avait été observée lors de la crise financière de 2008 (+22 % au T4 2008 et au T1 2009). Mais malgré une importante hausse du nombre de procédures au T3 2022 par rapport à 2021, le chiffre en soi peut être relativisé en ce qu’il ne franchit pas encore le seuil des 10.000 procédures de l’été 2019. De plus, on dénombre 51.489 défaillances d’entreprises entre le T4 2018 et le T3 2019, contre seulement 37.004 défaillances entre le T4 2021 et le T3 2022. Ainsi, lorsque l’on compare l’année 2019 et l’année 2022, on constate toujours une diminution du nombre de défaillances, avec des chiffres bien inférieurs en 2022. Par ailleurs, si l’on compte 38.000 défaillances d’entreprises sur 12 mois en septembre 2022, record depuis le début de la pandémie en 2020, on est globalement toujours bien loin des niveaux d’avant Covid, et notamment du record de ces 10 dernières années atteint en février 2014 avec 64.498 défaillances.

Source [5]

Source [6]

Mais les données sur les défaillances deviennent particulièrement alarmantes lorsque l’on se concentre spécifiquement sur les TPE/PME. En septembre, la Banque de France (BDF) publiait pourtant des données qui pouvaient paraître rassurantes : le nombre de défaillances sur 12 mois en août 2022 des TPE/PME avait baissé de 30,7% par rapport au chiffre enregistré au mois d’août 2019. La BDF constatait néanmoins une légère augmentation de 1,8% et 1,9% concernant respectivement le nombre de défaillances des petites entreprises et des très petites entreprises.[7] Cependant, données plus inquiétantes, on apprend dans le rapport du groupe Altares que les TPE de moins de trois salariés représentent à elles seules trois quarts des procédures de défaillance au cours du T3 (6.720 sur un total de 8.950). Les TPE de trois à neuf salariés comptent quant à elles 1.500 défaillances. Cet été, ce sont également 439 PME de 10 à 19 salariés qui ont défailli, un chiffre désormais supérieur à l’été 2019 (381). Enfin, les PME de 20 à 49 salariés sont également fortement touchées : le nombre de défauts a plus que doublé (111%) ce trimestre, avec 186 ouvertures de procédures, talonnant le chiffre de l’été 2019 (193). A l’issue de ce T3 2022, les TPE/PME semblent donc être particulièrement exposées à la défaillance, et 33.000 emplois sont ainsi menacés aujourd’hui à cause de ce phénomène.

Parallèlement aux défaillances d’entreprises, un autre phénomène vient alimenter les radiations du RCS : les cessations d’activité volontaires. Il s’agit d’entreprises commerciales ou artisanales qui, malgré une bonne santé économique, mettent un terme volontairement à leur activité, par manque de perspectives attirantes pour l’avenir. D'après le syndicat des indépendants et des TPE (SDI), plus de 160.000 entreprises commerciales ont arrêté volontairement leur activité entre janvier et juin 2022 contre plus de 114.000 sur la même période en 2021 et plus de 80.000 en 2020, soit +100% entre 2020 et 2022.[8] Au regard de la conjoncture économique actuelle et du nombre de radiations au T3 évoqué plus haut (surtout chez les commerçants), il y a fort à parier que cette augmentation des cessations d’activité volontaires va se prolonger dans le temps, jusqu’à fin 2022, mais aussi en 2023.

Mais alors comment expliquer cette augmentation des radiations du RCS résultant à la fois de défaillances d’entreprises et de cessations d’activité volontaires ?

L’explication mise en avant par la BDF est que l’on observe une augmentation des défaillances par rapport à 2020 et 2021 parce que les chiffres des défaillances étaient particulièrement basses durant ces années, en raison des mesures de soutien en trésorerie mises en place par l’Etat pour permettre aux entreprises fragiles de survivre malgré la pandémie et les confinements.  S’il est factuellement vrai, cet argument n’explique pas tout, et comme on l’a vu dans le rapport Altares, le nombre de défaillances pour les TPE/PME est similaire, voire parfois supérieur à celui observé en 2019, avant le Covid.

La Confédération des petites et moyennes entreprises met également en avant une explication tendant à relativiser le phénomène d’augmentation des cessations d’activité. Selon ses dirigeants, de nombreuses personnes se sont lancées dans l’entreprenariat durant la pandémie de Covid, mais sans un business model fiable et dans des secteurs volatiles, tels que celui de la livraison. La plupart des entreprises n’ont donc logiquement pas tenu, et l’on se retrouve ainsi aujourd’hui dans une phase de recalibrage vers des chiffres plus normaux. [9] Cette analyse est peut-être elle aussi un peu trop optimiste et semble édulcorer la réalité d’une situation plus inquiétante.

En effet, un rapport du SDI analyse de façon moins rassurante l’augmentation du nombre de radiations du RCS chez les TPE et indépendants en 2022.[10] Tout d’abord, la saison estivale 2022 a été mitigée et ainsi 53% des personnes interrogées par le SDI constatent une baisse de leur chiffre d'affaires depuis le début de l'année 2022, dans des proportions de 10% à 30% pour une majorité d'entre eux. Cette baisse de la clientèle est aggravée par une pénurie de personnel, surtout chez les professionnels de la restauration et du BTP. Ainsi, le SDI nous apprend que plus d’1 TPE sur 5 est actuellement à la recherche de personnel. 91% des recruteurs interrogés expriment des difficultés, ces dernières étant liées à une absence totale de candidat (36%) ainsi qu'à un déficit de personnes qualifiées (55%). Ensuite, les charges d’exploitation courantes sont en forte hausse et pèsent sur les entreprises. Concernant le salaire, le SMIC a augmenté de 10,4% entre 2020 et 2022. S’agissant de l’énergie, le SDI relate que 73% des professionnels interrogés ont constaté une hausse de leurs factures d'électricité, hausse néanmoins contenue en pourcentage entre 5% et 20% pour une majorité d'entre eux.

A ces contraintes relevées par le SDI, s’ajoutent les prêts garantis par l’Etat (PGE), qui représentent eux-aussi une lourde charge pour les TPE/PME et les indépendants. Mis en place durant la pandémie pour aider les entreprises touchées par la crise sanitaire, le PGE Covid-19 a pris fin le 30 juin 2022, et les entreprises qui en ont bénéficié ont entamé son remboursement au printemps. Un rapport de la Cour des comptes révèle que c’est près de 700.000 TPE/PME qui ont bénéficié de PGE (soit 99% des bénéficiaires).[11] Et si en janvier l’exécutif annonçait que 4% des bénéficiaires de PGE seraient susceptibles de rencontrer des problèmes dans leur remboursement, ce chiffre a été réévalué à 6-8% récemment.[12] Mais cela dépend des secteurs, et ainsi L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie par exemple estime que 25 % de ses adhérents sont en difficulté pour rembourser.[13] Motif d’inquiétude, les secteurs les plus touchés par la crise du Covid (le secteur du tourisme), et par la guerre Russo-Ukrainienne (BTP et automobile), représentent à eux-seuls près de 50% des bénéficiaires de PGE.[14] Par ailleurs, la Cour des comptes estime qu’un indépendant devra verser en moyenne 564€/mois au titre du remboursement de son PGE. S’agissant des TPE/PME, elles devront se délester de 6,25 % de chiffre d'affaires pendant quatre ans pour rembourser leur PGE, ce niveau pouvant monter à 8-9 % pour aussi résorber les dettes Urssaf.[15] En effet, pendant la crise sanitaire, l’Urssaf a mis en place des mesures d'accompagnement auprès des entreprises, en permettant le report du paiement des cotisations sociales et en facilitant l’octroi de délais de paiement. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf, affirme que les reports de cotisations ont atteint 23 milliards d’euros pendant la crise Covid. Mais ces mesures ont désormais pris fin, et en février 2022, l'Urssaf a adressé aux professionnels indépendants et dirigeants de TPE une vague d'échéanciers de régularisation de leurs cotisations personnelles reportées. M. Amghar précise que deux ans plus tard, les entreprises doivent encore rembourser aujourd'hui 13,4 milliards d'euros.[16] Or, pour 64% des professionnels interrogés par le SDI, cela implique de verser des mensualités comprises entre 500€ et plus de 1.000€. Ainsi, nombre de responsables vont devoir s'acquitter de charges sur des revenus antérieurs avec une forte baisse de leurs ressources disponibles, ce qui est fortement préjudiciable pour leur entreprise dans un contexte économique compliqué par les facteurs évoqués plus-haut.

En conclusion, si les chiffres des défaillances d’entreprises du T3 2022 ne sont pas les plus hauts jamais enregistrés, la situation n’en n’est pas pour le moins alarmante. Tout d’abord, les chiffres des radiations ont déjà atteint un niveau bien plus élevé qu’avant le Covid en 2018 – 2019. De plus, le nombre de cessations d’activité volontaires et de défaillances continue de grimper en flèche. Les commerçants et les TPE/PME sont les plus à risque, particulièrement fragilisés par une conjoncture économique post-Covid dans laquelle les aides exceptionnelles de l’Etat ont été supprimées, la consommation diminue, la main d’œuvre manque, et le coût des charges d’exploitation augmente fortement.


[1] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/alerte-sur-les-cessations-dactivites-volontaires-des-entreprises#_ftn1

[2] https://statistiques.cngtc.fr/, et https://statistiques.cngtc.fr/bilans/ (chiffres à jour du 10 octobre 2022)  

[3] https://www.cngtc.fr/fr/observatoire-statistiques.php, et  https://statistiques.cngtc.fr/bilans/

[4] Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France 3ème Trimestre 2022. www.altares.com

[5] Données issues du Rapport Altares T3 2022

[6] Graphique du Rapport Altares T3 2022 p.13

[7] https://www.banque-france.fr/statistiques/defaillances-dentreprises-aou-2022

[8] Coline Vazquez, Entreprises : les cessations d’activité volontaires explosent en France (+100% en deux ans)

[9] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/fermetures-dentreprises-epuises-de-plus-en-plus-de-chefs-dentreprises-baissent-les-bras/

[10] https://sdi-pme.fr/wp-content/uploads/2022/09/BAROMETRE-TPE-SEP-2022_V2.pdf

[11] https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-07/20220725-rapport-prets-garantis-par-Etat.pdf

[12] https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/gestion-finance/0702290771347-remboursement-des-pge-allonger-pour-tous-le-delai-de-remboursement-349373.php

[13] https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/gestion-finance/0702419486568-comment-le-pge-est-devenu-un-boulet-financier-avec-les-crises-a-repetition-349570.php

[14] https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/83821-pge-entreprises-peinent-a-rembourser.html#:~:text=Quelles%20sont%20aujourd'hui%20les,majorit%C3%A9%20au%20deuxi%C3%A8me%20trimestre%202022

[15] https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/gestion-finance/0702290771347-remboursement-des-pge-allonger-pour-tous-le-delai-de-remboursement-349373.php

[16] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/cotisations-sociales-des-entreprises-deux-ans-apres-le-debut-de-la-crise-covid-les-entreprises-doivent-encore-rembourser-13-4-milliards-d-euros_5385214.html