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Chômage des cadres : merci de plafonner (aussi) les cotisations !

Après l'échec des négociations sur l'Assurance chômage entre les partenaires sociaux, l’exécutif reprend la main sur la réforme de l’Assurance chômage : son objectif ? Une nouvelle convention qui permette de dégager entre 1 et 1,3 milliard d’euros d’économies. La piste abordée en ce moment par le gouvernement semble être l’abaissement du plafond d’indemnisation des hauts salaires et des cadres notamment mais cela, tout en maintenant le même niveau de cotisations, côté employeur. Cotiser autant pour percevoir moins en somme… et économiser peu du côté de l’Etat, entre 137 et 285 millions d’euros. Cela paraît presque insensé, en plein Grand débat notamment sur les questions d’équité fiscale.

Si le gouvernement veut abaisser le plafond d’indemnisation, il ne doit pas oublier de réduire le plafond des rémunérations soumises à contributions : aujourd'hui, 13.508 euros... un plafond qui doit être réduit à 10.111 euros en cas de plafonnement de l’indemnité maximale à 5.775 euros par mois, et à 8.404 euros, en cas d’un plafonnement de l'indemnité maximale à 4.800 euros par mois. 

Les chiffres de l’Unédic en 2017 et en milliards d’euros :

  • Contributions collectées : 35,7
  • Allocations versées : 34,3
  • Aides à la reprise d’emploi : 0,5
  • Versement aux caisses de retraite : 3,5
  • Dotation au budget de Pôle emploi : 3,3
  • Déficit de l’année : 3,4
  • Dette à fin 2017 : 33,5

La participation des cadres :

Peu de données sont disponibles sur le sujet mais en 2013, la Fondation iFRAP estimait que les cotisations des cadres apportaient 30% des cotisations chômage, soit 9 milliards d’euros alors qu’ils ne perçoivent que 18% des allocations, c'est-à-dire 5 milliards. Les cotisations des cadres financent donc les prestations de non-cadres à hauteur de 4 milliards d’euros environ. En 2017, le syndicat CFE-CGC estimait, lui, que les cotisations des cadres représentaient 42% du total des cotisations alors que ces derniers ne percevaient que 15% des allocations. 

Des cotisations maximales 

L’Assurance-chômage française est financée par les contributions à la charge des employeurs et depuis le 1er janvier 2019, par la CSG, soit l’impôt. La part salariale des contributions d’assurance chômage, autrefois fixée à 2,40% du salaire brut, a été supprimée le 1er janvier 2019[1]. Ainsi, « le taux des contributions générales à l’Assurance chômage est fixé à 4,05 %, exclusivement à la charge des employeurs, à l’exception des intermittents du spectacle, les salariés monégasques et certains salariés expatriés pour lesquels le taux demeure fixé à 6,45 % »[2]. Une majoration de +0,5% vient s’ajouter à la charge des employeurs pour les CDD de durée de moins de 3 mois[3].

En ce qui concerne les contributions à l’Assurance chômage dans les autres pays, il est intéressant de regarder les taux que pratiquent nos voisins. Le graphique ci-dessous représente les taux de cotisation (employeurs – salariés) dans différents pays européens. Ces données, les dernières disponibles en date, sont de 2017 pour tous les pays représentés sauf pour la France, pour laquelle nous disposons de données plus récentes.

Source : Unédic, l’indemnisation du chômage en Europe, et les taux de contribution

*En Belgique, il y a un supplément à la charge de l’employeur de 1,69% pour les entreprises de 10 personnes et plus.

**En Finlande, le taux à la charge de l’employeur est de 0,80% de la masse salariale jusqu’à 2.059.500€, 3,3% après. ***En Italie, il y a un supplément de +1,40% pour les CDD.

Même après la suppression de la part salariale des contributions, le taux de cotisations pour l’Assurance chômage française reste le deuxième plus élevé d’Europe après l’Espagne. On constate que l’Italie, les Pays-Bas et la Suède ne prélèvent pas non plus de cotisations à la charge des salariés, cependant les taux qu’ils ont fixés pour les cotisations des employeurs sont nettement inférieurs au taux français. D’autres pays, comme la Grande-Bretagne ou la Norvège ont un système différent, ils prélèvent une cotisation globale à la Sécurité sociale. Ce système ne nous permet pas de faire une comparaison avec le système français dans lequel il existe une cotisation spécifique pour l’Assurance chômage.

En France, les rémunérations soumises à contributions sont plafonnées à 4 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (PSS 3.377 euros), soit 13.508 euros mensuel pour 2019[4].

 

Allemagne

Belgique

Espagne

France

Norvège

Pays-Bas

Suède

Suisse

Plafond salaire référence

Entre 5.700€ et 6.350€

Entre 2.218€ et 2.547€

3.751€

13.508€

Environ 5.140€

4.475€

2.575€

11.238€

Source : Unédic, l’indemnisation du chômage en Europe, et les taux de contribution Ces données sont celles de 2017 pour tous les pays représentés sauf pour le montant en France qui est celui de 2019.

En France, les droits d’indemnisation sont proportionnels aux cotisations versées, ainsi un salaire élevé donne lieu à des cotisations salariales élevées et, le cas échéant, une allocation élevée. Ce système justifie qu’un haut salaire dispose d’une haute allocation en raison des cotisations élevées qu’il a versées.

Cependant, les contributions salariales pour l’Assurance chômage ont été supprimées en 2019 et le financement de l’Assurance chômage repose dorénavant sur l’impôt (par la CSG) et les contributions patronales[5]. Le passage à la CSG implique que l’on prélève un certain taux d’imposition sur le salaire. Le prélèvement se fait sur 98,25% du salaire, pour les salaires allant jusqu’à 4 fois le plafond de la Sécurité sociale et au-dessus de ce seuil, le prélèvement s’effectue sur la totalité du salaire ce qui constitue déjà un désavantage pour ces hauts salaires [6]. De plus, la suppression des contributions salariales remet en question les hautes indemnités chômage perçues en raison du système proportionnel aux cotisations. De ce fait, une diminution du plafond d’indemnisation sans une diminution du plafond du salaire de référence ne relèverait d’aucune logique de justice fiscale.

L'allocation maximale, la plus élevée d’Europe

Avec 7.715 euros maximum, l’allocation maximale française est deux fois plus importante que l’allocation maximale allemande et la plus élevée d’Europe 

Source : Unédic, « L’Assurance chômage, dossier de référence de la négociation ouverte en novembre 2018 »

*Chiffre pour les nouveaux Länder, pour les anciens Länder le plafond est de 4355€.

**Chiffre relatif à un enfant à charge, le plafond est de 1.411€ si deux enfants à charge et de 1.098€ sans enfants à charge.

Même chose en ce qui concerne le plafond du salaire de référence qui est fixé à 13.508 euros pour 2019[7] alors qu’il s’élève à 5.800 euros en Allemagne ou 2.660 euros en Suède en 2018[8]. A cela s'ajoute, le caractère non-dégressif de cette allocation, qui rend le système français encore plus généreux. En effet, la durée de l’indemnisation va de 4 à 36 mois en France. Si les Pays-Bas et la Belgique ont des durées d’indemnisation pouvant aller jusqu’à, respectivement 38 et 48 mois, ces pays appliquent un système... dégressif qui diminue le taux de remplacement dans le temps. 

 

Evolution du taux de remplacement

Durée de l’indemnisation

France

Non-dégressif

4 à 36 mois

Luxembourg

Non-dégressif

6 à 12 mois

Allemagne

Non-dégressif

6 à 24 mois

Danemark

Non-dégressif

24 mois

Finlande

Non-dégressif

23 mois

Norvège

Non-dégressif

12 ou 24 mois

Suède

Dégressif

14 mois

Pays-Bas

Dégressif

3 à 38 mois

Italie

Dégressif

10, 12 ou 16 mois

Espagne

Dégressif

3 à 24 mois

Portugal

Dégressif

5 à 18 mois

Belgique

Dégressif

48 mois puis forfait illimité

Source : Unédic, « L’Assurance chômage, dossier de référence de la négociation ouverte en novembre 2018 »

Le calcul actuel de l’indemnité

L’allocation est calculée par rapport au salaire de manière proportionnelle, plus le salaire est élevé, plus l’allocation sera conséquente. Le montant de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) est calculé à partir du salaire journalier de référence (SJR). Ce salaire de référence prend en compte tous les salaires bruts perçus au cours des 12 derniers mois, primes comprises, mais hors indemnités liées à la rupture du contrat. Pour un emploi à plein temps, l’allocation minimum est de 29,06 € par jour et l’allocation maximum est de 248,19 € brut par jour. L’allocation ne peut pas excéder 75% du salaire journalier de référence[9].

Quelle stratégie possible pour le gouvernement ?

Afin de pouvoir réaliser des économies sur les indemnités (des cadres comme des non cadres d’ailleurs), le gouvernement peut réfléchir à deux solutions.

La première stratégie, sur laquelle planche actuellement le gouvernement serait de réduire l’indemnisation des hauts salaires. Pour rappel, l’indemnisation chômage est plafonnée à 7.715 euros mensuels pour un plafonnement des rémunérations soumises à contributions de 13.508 euros. Aujourd'hui, le gouvernement souhaite agir sur le curseur du plafond de l'indemnisation... en oubliant le curseur du plafonnement des rémunérations soumises à contributions, les deux sont pourtant liés. Les deux options envisagés sont : 

  1. Passer le plafond de l'indemnité à 3 fois celui de la Sécurité sociale, soit 5.775 euros par mois pour économiser 137 millions par an [10].
    • La juste contrepartie d’un tel abaissement serait de baisser le plafond des rémunérations soumises à contributions à 10.111 euros ou de plafonner la cotisation employeur à 409 euros par mois.  
  2. Passer le plafond passait à 2,5 fois le plafond de la Sécurité sociale, soit 4.800 euros pour économiser 285 millions d’euros par an[11]
    • La juste contrepartie d’un tel abaissement serait de baisser le plafond des rémunérations soumises à contributions à 8.404 euros ou de plafonner la cotisation employeur à 340 euros par mois. 

Un autre argument du gouvernement en faveur de l’abaissement du plafond d’indemnisation est qu'il s'agit d'une façon de rendre l’indemnisation chômage plus incitative vers un retour sur le marché du travail. Néanmoins avec un taux de chômage à 3,3%[12], les cadres ne sont que très peu concernés par cet aspect. Seule solution pour rendre l'indemnisation chômage plus incitative : agir sur l'ensemble des demandeurs d'emploi en injectant une dose de dégressivité. 

C'est la seconde stratégie, plus efficace en termes d’économie, où l’exécutif pourrait instaurer une indemnisation dégressive [13]. Pour cela, on peut s'inspirer de nos voisins européens :

  • En Espagne : 70% du salaire pendant 6 mois, puis 50% jusqu’à 1 an et demi, selon ouverture des droits ;
  • En Belgique : 60% du salaire pendant 3 mois, puis 40 ou 60% selon la situation familiale ;
  • En Suède : le plafond de l’indemnité est fixé à 1.885 euros et le taux de remplacement est de 80% à l’ouverture des droits, puis 70% après 200 jours pour une durée maximale de 14 mois.

Cette approche serait la plus économique pour l’État car les indemnisations diminueraient avec le temps. En 2016, la Cour des comptes proposait de baisser les indemnités de 10% au bout de 12 mois en France, pour réaliser 700 millions d'économies, ou de 20% pour 1 milliard d'euros d'économies… ce qui est la somme que cherche à économiser le gouvernement.

Une alternative serait de réformer l’Assurance chômage avec une combinaison de ces deux stratégies en visant un abaissement du plafond d’indemnisation (et un abaissement équivalent du plafond des rémunérations soumises à contributions) avec la mise en place de la dégressivité, idéalement avant la première année. La Fondation iFRAP propose de son côté, une série de mesures complémentaires pour aller plus loin et viser les 4 milliards d'économies par an et cela grâce à : 

  • Une baisse du taux de remplacement dès la 1ère année : pour cela, il suffit de changer la base de calcul, et de la faire sur le salaire net et non plus le brut. Par exemple, pour un salaire de référence de 1.948 euros net par mois, le taux de remplacement passerait de  67% à 55% ; 
  • Une refonte des conditions d'ouverture des droits avec le doublement de la période d'affiliation (de 4 à 8 mois).
  • Une baisse de la durée d'indemnisation pour les moins de 50 ans, en la faisant converger vers le modèle allemand (jusqu'à atteindre 12 mois d'indemnisation) ;
  • Et un alignement des cotisations salariales chômage pour les agents du secteur public (2,4%).

[1] Article 54 de la LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel

[2] Unédic, les taux de contribution

[3] Pole-emploi, Contributions et cotisations dont le recouvrement relève de la compétence de Pôle emploi – Taux en vigueur

[4] Unédic, les taux de contribution

[5] Unédic, les sources de financement de l’Assurance chômage en 2019

[6] Capital, « Cotisations et CSG : l’impact de la réforme Macron sur votre salaire… et vos impôts »

[7] Unédic, les taux de contribution

[8] Unédic, « L’Assurance chômage, dossier de référence de la négociation ouverte en novembre 2018 »

[9] Unédic, indemnisation et assurance chômage.

[10] Les Echos, « Assurance-chômage : les cadres dans le viseur du gouvernement »

[11] Les Echos, « Assurance-chômage : les cadres dans le viseur du gouvernement »

[12] Source : Cadremploi

[13] Unédic, « L’assurance chômage, dossier de référence de la négociation ouverte en novembre 2018 »