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2014 : salaires, pouvoir d’achat et taux de marge des entreprises

L’Insee a publié mi-mai certains des comptes provisoires de la Nation pour 2014 avec ses commentaires. Comptes qui démontrent une évolution favorable des salaires et du pouvoir d’achat en dépit d’une stagnation du PIB par rapport à 2013. Mais le point le plus notable concerne le taux de marge des entreprises, qui accuse une nouvelle baisse en atteignant un plus bas, ceci en raison à la fois de la hausse des salaires et d’impôts qui croissent malgré l’effet du CICE. Conclusions qui font apparaître comme complètement surréalistes les propositions de la CGT qui tente de faire circuler une pétition réclamant une hausse de 10% des salaires, traitements et pensions… au 1er juillet 2015 ! L’année 2015 se révèlera-t-elle plus favorable ?

Dans son résumé sur « les comptes de la nation en 2014 », l’Insee relève :

  • Une croissance faible de l’économie française : un PIB à 0,2% après 0,7% en 2013 ;
  • Une consommation des ménages qui accélère légèrement. Ainsi, les dépenses de consommation des ménages continuent de croître en 2014 (+ 0,6 % en euros constants, après + 0,4 % en 2013). Le rebond de la consommation en biens manufacturés (+ 0,6 % après – 0,8 %) est imputable à l’inflexion des achats d’automobiles (– 0,2 % après – 5,3 %) et à l’accélération des dépenses en biens d’équipements qui retrouvent leur croissance de long terme (+ 7,6 % après + 4,6 % en 2013) ;
  • Une consommation des administrations publiques dont l’augmentation est légèrement plus faible qu’en 2013, mais toujours présente et importante (1,5% après 1,7% en euros constants) ;
  • Un recul de l’investissement qui s’accentue pour les ménages et les administrations, mais qui progresse nettement pour les entreprises non financières ;
  • Des importations qui progressent à un rythme plus soutenu que les exportations, de sorte que les échanges extérieurs contribuent négativement à la croissance ;
  • Une augmentation du pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages  « essentiellement due au dynamisme des prestations sociales en espèces et des revenus d’activité ainsi qu’au ralentissement des impôts. Le pouvoir d’achat par unité de consommation progresse à nouveau après trois années de recul » ;
  • Un taux d’épargne des ménages qui se redresse, alors que le taux de marge des sociétés non financières atteint un point bas.

Voici le point le plus important, qui concerne la nouvelle dégradation du taux de marge des entreprises, que l’Insee commente ainsi: « En 2014, la rémunération des salariés (y compris cotisations) des sociétés non financières augmente plus rapidement que leur valeur ajoutée (respectivement + 1,7 % et + 0,3 % en valeur). À l’inverse, les impôts sur la production nets des subventions baissent nettement (– 16,8 %) du fait de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). L’impact du CICE ne suffit toutefois pas à compenser le dynamisme des salaires, de sorte que l’excédent brut d’exploitation se contracte (– 0,6 %), mais moins fortement qu’en 2013 (– 1,1 %). Le taux de marge perd ainsi 0,3 point par rapport à 2013 pour s’établir à 29,4 %, son niveau le plus bas depuis 1985 (28,4 %). »

Variation 2014/2013 en %, en milliards d’euros

 

En %

En milliards d’euros

Produit intérieur brut, dont :

0,8

2 132,4

Valeur ajoutée au prix de base

0,6

1 910,2

Impôts sur les produits nets des subventions sur les produits

2,3

222,2

Valeur ajoutée des entreprises

0,2

1 301,4

Sociétés non financières

0,3

1 073,6

Entreprises individuelles

- 0,5

133,8

Sociétés financières

0,1

94,0

Valeur ajoutée des administrations publiques

1,5

360,2

Éléments de partage de la valeur ajoutée

  

Rémunération des salariés des entreprises

1,6

793,1

Excédent brut d'exploitation et revenu mixte des entreprises

- 0,4

467,6

Rémunération des salariés des administrations

1,9

278,2

Sociétés non financières

  

Excédent brut d'exploitation

- 0,6

315,8

Taux de marge

- 0,3

29,4

Taux d'autofinancement

1,3

74,9

Consommation effective des ménages

0,9

-

On note en particulier de ce tableau une augmentation de la consommation des ménages et une augmentation nette des rémunérations des salariés, que ce soit celles des salariés des entreprises et encore plus de ceux des administrations. A l’inverse, l’EBE des entreprises se rétracte encore, comme leur taux de marge.  

Ainsi donc, le CICE (qui est considéré par la comptabilité nationale comme une subvention ), ne parvient pas à compenser l’augmentation des salaires et à améliorer le taux de marge des sociétés non financières. L’Insee relève que cette augmentation des salaires est nettement supérieure à celle de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Par exemple, hors cotisations sociales, les rémunérations sont passées de 47% de la valeur ajoutée en 2000 à 50% à partir de 2010, soit environ 30 milliards par an d’augmentation. Il apparaît donc que les entreprises ont privilégié la rémunération de leurs salariés par rapport Aux autres utilisations de leur valeur ajoutée. Néanmoins, ces entreprises ont continué d’investir comme le relève l’Insee, leur situation financière ayant par ailleurs bénéficié d’une baisse des taux d’intérêts sur leur financement intermédié (bancaire).

La vérité est donc évidemment très loin, et à l’opposé, des justifications que donne par exemple la CGT  dans la pétition qu’elle fait circuler pour demander une augmentation des salaires et traitements de 10%, et où elle a tout faux, en ce qui concerne tant les salaires que la baisse de la couverture de la protection sociale.

La pétition de la CGT

« La répartition des richesses en France est de plus en plus inégale : les salaires, les pensions, les minimas sociaux stagnent. La protection sociale est malmenée par une politique de bas salaires, de chômage et de cadeaux aux entreprises notamment par une exonération croissante des cotisations sociales qui diminue les ressources de notre protection sociale.

Les conséquences des politiques menées sont graves :

  • nos salaires, nos pensions, nos ressources sont trop bas pour vivre correctement ;
  • les diplômes et les qualifications ne sont pas suffisamment reconnus et rémunérés ;
  • notre protection sociale couvre de moins en moins nos besoins face aux aléas de la vie.

.....

Moi, salarié-e, retraité-e, étudiant-e, chômeur-se :

  • je demande l’augmentation du Smic, du point d’indice des fonctionnaires et des minimas sociaux de 10 % au 1er juillet 2015 ;
  • je soutiens la proposition de la CGT pour la tenue d’une conférence sociale sur les salaires, convoquée par le gouvernement avant mi-juillet 2015 sur :
    • la revalorisation des salaires et pensions ;
    • l’égalité salariale femmes - hommes ;
    • la reconnaissance des qualifications."

Conclusion : et pour 2015 ?

L’Insee, dans sa note de conjoncture de juin dernier, établit des prévisions optimistes pour les entreprises. Il relève qu’au premier trimestre le taux de marge (rapport de l’EBE sur la valeur ajoutée) « aurait » augmenté de 1,5 point pour passer de 29,5% à 31%, sous l’effet conjugué du CICE (contribution de 0,7), de la baisse du prix du pétrole (contribution de0,5) et des mesures de baisse des charges sociales prévues par le pacte de responsabilité et solidarité (contribution de 0,3). L’Insee ajoute que jusqu’à la fin de la présente année, le taux de marge devrait encore s’affermir pour atteindre 31,2% en fin d’année.

Il faut saluer les efforts du gouvernement – et aussi le fameux alignement des planètes. Tout en gardant à l’esprit que la remontée est laborieuse. Même avec 31,2%, le taux de marge reste inférieur d’encore 1,5 point à ce qu’il était en 2007, soit 32,7%. Surtout, la performance française est franchement mauvaise comparée à celle des voisins européens, et cela ne date pas d’hier. Actuellement, le taux moyen en Europe est autour de 37%, et Espagne et Allemagne sont à 40%. Cela affecte bien entendu le développement des entreprises françaises petites et moyennes (les grandes entreprises sont internationalisées et dérivent leur rentabilité de leurs activités étrangères, qui valent comme chacun sait les deux-tiers au moins du total).

Un point de taux de marge équivaut à environ onze milliards d’euros (la valeur ajoutée des sociétés non financières se situe à moins de 1.100 milliards). Le CICE et les pactes de responsabilité et solidarité compteraient donc cette année pour une douzaine de milliards à en croire les estimations de l’Insee. Il en faudrait encore une soixantaine pour rejoindre la moyenne européenne de 37% de taux de marge. Où les trouver ?

Ce ne sont pas mesures de type keynésien qu’il faut préconiser, à l’effet d’augmenter pouvoir d’achat et consommation des ménages. Ils sont à un étiage honorable compte tenu des circonstances, comme le relève l’Insee, qui évoque aussi une augmentation du taux d’épargne des ménages. Il faut favoriser valeur ajoutée et excédent des entreprises, ce qui renvoie une fois de plus à de nouvelles baisses de la fiscalité et donc des dépenses publiques que cette fiscalité est censée couvrir : ce que cette dernière ne parvient d’ailleurs pas à faire, à voir l’augmentation du déficit et de l’endettement publics que connaît le début de l’année 2015.