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Réforme des universités françaises : le bilan

La réforme des universités [1] restera comme l'une des réformes majeures de la législature 2007-2012. Cette réforme a consacré l'autonomie des universités françaises. L'autonomie théorique des universités existait déjà en France depuis 1893 [2]. Mais cette notion d'autonomie signifiait alors plutôt "inamovibilité des enseignants" et "liberté de la chaire" que liberté de gestion comme dans les universités américaines (caractère privé des universités ou à tout le moins, possibilité d'avoir un patrimoine et de s'autogérer).

Le titre même de la loi montre un changement véritable du modèle de l'Université française. On passe ainsi de la tradition napoléonienne à une Université d'inspiration davantage humboldtienne (voir encadré), c'est-à-dire une institution autonome et responsable intégrant enseignement et recherche, un modèle performant à l'étranger. "Le gouvernement fait le pari de la liberté et de la responsabilité qui sont les valeurs cardinales, les principes fondateurs de notre projet politique" affirme Valérie Pécresse, alors Ministre de l'Enseignement supérieur au Sénat le 12 juillet 2007.

Le modèle universitaire allemand inspiré par Wilhelm Von Humboldt est une organisation où "les professeurs pratiquent en parallèle l'enseignement et la recherche et où la réflexion personnelle des étudiants est encouragée", ce qui conduit à juger ce modèle maximisant la liberté académique plus "novateur et plus fécond sur le plan scientifique". L'efficacité de l'Université humboldtienne est manifeste. Elle devient une référence à suivre : l'Angleterre comme les États-Unis d'Amérique y chercheront leur inspiration.

Les points forts de la loi LRU :

Une gouvernance assouplie

La loi LRU assouplit la gouvernance des universités en réduisant notamment la collégialité (entre 20 et 30 membres seulement dans le conseil d'administration contre le double auparavant), en généralisant le vote à la majorité absolue, et en renforçant le rôle du Président d'Université désormais légitimement élu par les membres du conseil d'administration [3]. La loi LRU a aussi instauré le contrat d'établissement entre l'État et l'Université avec un champ d'application étendu. En effet, l'Université disposera désormais d'une dotation globale élaborée par l'État en association avec les composantes de l'Université. De plus, la loi LRU a permis la simplification de la création ou du regroupement de facultés ou autres centres au sein de l'Université.

Une gestion plus souple des crédits

Auparavant, la tutelle de l'État était prédominante et les crédits librement utilisés par l'Université, très marginaux. Aujourd'hui, les universités reçoivent une dotation globale de l'État en distinguant les montants affectés à la masse salariale (notamment la possibilité de récompenser de façon marginale les agents les plus méritants), les autres crédits de fonctionnement et les crédits d'investissement. Les universités ont désormais la possibilité de moduler leurs ressources humaines librement entre les différents postes (recherche, administration, enseignement…) sans plus être contraintes à suivre le fléchage des crédits. Le recrutement de personnels contractuels est rendu possible dans les limites de la dotation globale de l'Université.

Une autonomie de gestion immobilière et la possibilité d'avoir des financements privés

Cette loi a octroyé la compétence (optionnelle) d'une autonomie immobilière où les universités pourraient devenir à terme propriétaires de leur patrimoine : cette évolution est à saluer car elle est la condition nécessaire à l'optimisation des lieux et ainsi des formations proposées. En effet, l'Article 32 de la loi LRU autorise l'État à transférer à titre gratuit aux universités les bâtiments qu'elles utilisent. Parce qu'environ 25% des bâtiments ne répondent pas aux normes de sécurité et 35% des bâtiments sont considérés comme vétustes [4] et ainsi ce transfert peut être source de charges de rénovation, seulement 5 universités sont, en 2011, dans la procédure de transfert : Clermont I, Corte, Poitiers, Toulouse I, Pierre et Marie Curie. Le potentiel de dévolution du patrimoine : propriétaire d'un gigantesque parc de plus de 15 millions de mètres carrés de foncier bâti concernant l'enseignement supérieur, l'État peut potentiellement transférer aux universités un patrimoine d'une valeur de 20 milliards d'euros.

Cette loi a également instauré la possibilité pour les universités de lever des financements privés par la création de deux nouveaux types de fondations (fondation universitaire sans personnalité morale et fondation partenariale regroupant acteurs publics et privés). Aux côtés de ces fondations, l'Article 38 de loi LRU encourage le mécénat en assouplissant le régime de réduction fiscale pour les dons d'entreprises ou de particuliers directement aux universités par la suppression de l'ancienne procédure d'agrément préalable des Ministres du Budget et de l'Enseignement supérieur tandis que l'Article 28 de cette loi étend aux dons faits aux fondations d'université les réductions d'impôts. Et le retard des universités en termes de financement privé est important par rapport aux grandes écoles, et considérable par rapport aux universités étrangères. Si la seule Université de Manchester récole chaque année 100 millions d'euros environ, la moyenne actuelle pour les universités françaises est de récolter seulement 1,2 million d'euros. La disparité est moindre mais néanmoins importante entre universités françaises et grandes écoles. Ainsi, si les universités les plus efficaces en termes de fundraising telles que les universités de Strasbourg et de Bordeaux, récoltent annuellement 7 millions et 5 millions d'euros respectivement, HEC récolte en 2010 environ 14 millions d'euros tandis que École Centrale table sur une levée de fonds de 75 millions d'euros entre 2010-2013. L'autonomisation des universités et la possibilité pour les mécènes d'impacter sur la gouvernance d'université ne peuvent que conduire à réduire la carence des investissements privés des universités à l'avenir grâce à la loi LRU. Depuis cette loi, 39 fondations ont été créées sur les 89 universités avec une levée de fonds totale depuis 2007 d'environ 80 millions d'euros… Un début prometteur pour ces fondations d'universités.

L'impact de l'autonomie sur la performance des universités

Les États ou pays dans lesquels les universités sont les plus autonomes et jouissent de cette autonomie depuis le plus grand nombre d'années enregistrent le plus grand nombre de brevets par million d'habitants. Ainsi, la présence d'universités entièrement autonomes depuis une longue date sur un territoire est gage d'innovation et de création d'entreprises innovantes.

L'impact de l'autonomie sur la performance des universités, Source : Bruegel 2007/04

Source : Why Reform Europe's Universities ? Bruegel policy brief 2007/04, September 2007

La rémunération au mérite, la recherche de l'excellence

Le tabou qui existait en France sur la question de l'excellence universitaire semble être tombé avec la loi LRU [5]. En effet, la rémunération au mérite, et son corrélat : la différentiation entre professeurs, devient désormais possible. L'avancée rendue possible par la loi LRU vient du décret ultérieur introduisant le principe d'une évaluation périodique et globale des activités des enseignants-chercheurs pour la première fois depuis qu'existe le statut des enseignants-chercheurs. Cela dit, les sanctions (en termes de rémunérations ou de recrutements) restent impossibles.

La distribution de crédits budgétaires à l'occasion du Plan Campus et du Grand Emprunt a permis de sélectionner certains projets selon leur pertinence et donc de ne pas "récompenser" toutes les universités de façon indifférenciée. Cela a permis de restaurer en France l'esprit de compétition qui avait été annihilé depuis plusieurs décennies. On a ainsi pu observer un nivellement par le haut des projets déposés. Espérons que ce nivellement par le haut perdurera avec l'autonomie retrouvée grâce à la loi LRU. Mais le manque de liberté persistant dans le contenu des formations et l'absence de sélection des étudiants dissuadent les universités de s'engager pleinement dans une concurrence à l'image de ce qui se passe dans d'autres pays.

Les points faibles de la LRU

La loi LRU assouplit la gouvernance des universités par "la présidentialisation accentuée et le resserrement du Conseil d'administration peuvent favoriser la naissance d'organismes puissants" (D. Bonnamy), il n'en demeure pas moins que l'on reste dans le cadre d'une loi centralisatrice déterminant de façon uniforme la composition d'universités diverses aux stratégies multiples. Les universités devront ainsi se contenter d'une simple autonomie accrue plutôt que d'une véritable indépendance universitaire.

La loi LRU fait aussi courir le risque d'une politisation accrue de l'élection du conseil d'administration de l'Université. En effet, elle laisse les étudiants et les personnels administratifs plus politisés que les enseignants, décider de la gouvernance de l'établissement. On en a vu les effets pendant le blocage persistant de La Sorbonne en 2009.

D'autre part, si les universités peuvent librement créer leurs facultés ou centres, en ce qui concerne les instituts et les écoles, ceux-ci ne pourront être créés qu'après un arrêté du Ministre chargé de l'Enseignement Supérieur après avis du Conseil National de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (!). Ainsi, le carcan administratif est largement maintenu en dépit des souhaits initiaux.

Par ailleurs, la loi LRU n'a pas remis en question les principaux privilèges des enseignants–chercheurs. Leur sont toujours garantis :

- l'inamovibilité ;
- la dispense de toute inspection : ils sont évalués par leurs seuls pairs ;
- le privilège de juridiction : leur régime disciplinaire leur garantit que le prononcé d'une sanction ne dépend que des pairs, dans le cadre d'une justice administrative spécialisée, c'est-à-dire une « justice d'exception".

Pourtant, les sanctions à l'encontre des enseignants-chercheurs ne seraient pas incompatibles avec la liberté académique. Car ces privilèges ne sont octroyés qu'aux fins de permettre aux universitaires de remplir leurs devoirs d'enseignement et de publication de leurs résultats. Ce sont donc : non pas des privilèges en tant que tels mais bien des privilèges liés à une mission professionnelle qui, si elle venait à être considérée, après évaluation, comme non remplie, pourrait conduire à des sanctions.

Mais ce n'est pas sous cet angle que les enseignants-chercheurs voient leur statut. Or, c'est bien la défense sans compromis au fil des décennies par les enseignants-chercheurs de leur statut et leur déconnexion des besoins de formation moderne qui a conduit à proposer des formations plus « professionnalisantes » comme les grandes écoles. Les incitations à l'"excellence" des enseignants-chercheurs (par les primes aux mérites) ne sont pas prises en compte à la hauteur de ce qu'elles devraient être dans les évolutions récentes des universités.

Par ailleurs, on assiste aussi, dans le cadre de la LRU, à la reproduction du vieux réflexe français qu'est la création de nouvelles bureaucraties censées compenser les limites encore importantes des universités. Ainsi, on crée un Haut Conseil de la Science et de la Technologie aidant à "décrypter l'avenir et à fixer des priorités" ; l'Agence Nationale de la Recherche Française aidant à donner une "dimension internationale à la recherche française" (le prestige international ne serait-il pas la suite logique d'une recherche française de qualité hautement compétitive plutôt que le prélude ?) ; l'Agence d'évaluation et de la recherche de l'enseignement supérieur (l'évaluation ne serait-elle pas mieux faite en interne par une rémunération aux mérites et en externe par les étudiants choisissant leur université dans un cadre concurrentiel ?).

De plus, le Conseil National des universités (CNU) s'est vu investit en 2009 de la mission d'évaluer des enseignants-chercheurs lors de leur recrutement et pour leur avancement. Encore cette approche centralisatrice. On réforme ainsi un système centralisé ayant fait preuve de son inefficacité plutôt que d'adopter un changement révolutionnaire incarné par un système entièrement décentralisé où l'employeur (le Président d'Université ou le conseil d'administration) serait tout naturellement l'évaluateur.

Enfin, si des moyens financiers importants ont été octroyés aux universités simultanément à l'adoption de la loi LRU [6], les contraintes institutionnelles empêchent toujours les universités de se développer rapidement et librement. Exemples de ces contraintes : une gouvernance d'université certes assouplie mais encore imposée par la loi, une évaluation centralisée des enseignants-chercheurs, un patrimoine immobilier difficilement dévolu, un droit de veto du Ministre sur toute une série d'actions (créations d'instituts de recherches, programme de formation…), l'impossibilité pour les université de sélectionner leurs étudiants, l'impossibilité de déterminer librement les droits d'inscription, l'impossibilité pour les investissements privés d'avoir un droit de regard sur les formations pour lesquelles elles investissent… Ces contraintes institutionnelles expliquent en partie la faiblesse des financements privés dans l'Université. Or l'Université française ne manque pas de financements publics, mais bien d'investissements privés.

La dépense par étudiant aux États-Unis et en France

Dans l'enseignement supérieur, le différentiel de dépense publique entre la France et les États-Unis est minime : 1% du PIB contre 1,5% du PIB. La différence principale tient à la place du financement privé [7] de l'enseignement supérieur : alors qu'il est quasiment inexistant en France et concentré au sein des écoles de commerce (0,2% du PIB), il est 9 fois plus important aux États-Unis (1,8% du PIB). Ainsi, le résultat est un différentiel de dépenses publiques et privées du simple au double (1,2% pour la France et 3,3% aux États-Unis). De plus, cet apport massif d'argent aux États-Unis se conjugue avec une forte sélectivité qui réduit le nombre d'étudiants et permet ainsi arithmétiquement d'accroître considérablement les dépenses consacrées par étudiant. Alors qu'elles sont de 8.000 euros par étudiant en France, elles atteignent 36.500 euros aux États-Unis.

La dépense publique et privée dans l'enseignement supérieur

Source : Why Reform Europe's Universities ? Bruegel policy brief 2007/04, September 2007

Conclusion

La loi LRU, si elle constitue une étape essentielle vers davantage de liberté académique et doit être saluée comme telle, ne saurait être la seule réforme permettant de rattraper le retard accumulé dans la concurrence internationale pour la production universitaire des savoirs dans des économies de la connaissance. Comme l'affirme Jean-Louis Halpérin, "le fossé qui sépare les institutions européennes, et spécialement françaises, de la majorité des universités américaines paraît encore immense et infranchissable… sauf privatisation massive" [8].

L'Université française souffre toujours des anachronismes (statut des enseignants-chercheurs, absence de sélectivité des étudiants, frais d'inscriptions quasi-inexistants) qui constituent des freins majeurs au développement d'une Université d'avenir compétitive, créatrice d'emplois et d'idées. Nos universités demeurent des concurrentes déloyales pour les grandes écoles et écoles de commerce, et en concurrence déloyale sur le plan de la recherche avec le CNRS. A l'avenir, une « Université entrepreneuriale » doit s'imposer.

[1] Loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités dite LRU.

[2] Article 71 de la Loi de finances du 28 avril 1893, JO avril 1893, p.2141 accordant la personnalité civile au "corps formé par la réunion de plusieurs facultés d'État dans un même ressort académique". La loi du 10 juillet 1896 donnera le statut d'"université" à ces corps. Loi du 10 juillet 1896 relative à la constitution d'universités, JO 11 juillet 1893, p.3957. Voir Charles Fortier (2010) Autonomie, hétéronomie de l'Université, in Charles Fortier (Dir.) Université, Universités. Paris : Dalloz.

[3] La présidentialisation de l'Université pourrait permettre à terme de limiter les blocages institutionnels internes à l'Université où s'est multiplié au fil des ans le mille-feuille bureaucratique avec UFR et Facultés, Départements de recherche, centres de recherche, Instituts, laboratoires, écoles doctorales….

[4] Voir l'article du Figaro du 5 Novembre 2010, Cinq universités propriétaires de leurs murs en 2011.

[5] Bien que le tabou de l'excellence universitaire remonte naturellement à la centralisation de l'Université avec Napoléon et à l'égalitarisme d'accès de 1968, la loi essentielle consacrant la médiocrité au nom d'un égalitarisme universitaire est la loi Savary de 1984. Afin de surmonter un autre vice de l'enseignement supérieur français qu'est le système à deux vitesses avec la reproduction des élites au sein des grandes écoles et la paupérisation de l'Université pour le reste de la population, la loi Savary établit un service public de l'enseignement supérieur regroupant à la fois les grandes écoles et les universités qui ont désormais les mêmes missions. Laurent Schwartz, président du Conseil national d'évaluation des universités, affirmera qu'avec ce texte "la qualité disparait au profit de la médiocrité, la diversité au profit de l'uniformisation, la responsabilité est battue en brèche par une politisation au mauvais sens du terme", In Le Quotidien de Paris 24 novembre 1986. Damienne Bonnamy, quant à elle, parle de "texte rétrograde" favorisant un "égalitarisme niveleur", In Damienne Bonnamy (2010) « La réforme libérale de l'Université en France : échecs apparents, progression continue », Charles Fortier (Dir.) Université, Universités, op.cit., p.34.

[6] Le plan Campus de 2008 représente 1,3 milliard d'euros issus de la vente de 3% du capital d'EDF. Il concerne douze campus de regroupement d'universités (les PRES ou Pole de Recherches et d'Enseignement Supérieur) pour lesquels les travaux doivent débuter mi-2012. Le grand emprunt de 2010 est constitué de dépenses publiques en faveur d'"équipement d'excellences" (1 milliard d'euros) ; de "laboratoires d'excellence" (1 milliard d'euros) ; d'"initiatives d'excellence" (7,7 milliards d'euros) ; de la création du Campus du Plateau de Saclay (1 milliard d'euros).

[7] 0,2% du PIB en France mais 1,8% du PIB aux États-Unis, soit une dépense privée 6 fois supérieure.

[8] Jean-Louis Halpérin (2010) « Les universités au sein de l'enseignement supérieur : perspectives historiques et comparées », Charles Fortier (Dir.) Université, Universités, p.232.