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Ce que cache le report de la révision des valeurs locatives cadastrales

Ça y est ! Les dates pour le basculement vers des valeurs locatives cadastrales (VLC) révisées qui servent d’assises aux taxes directes locales (taxe d’habitation, taxes foncières, CFE (cotisation foncière des entreprises) et TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères)) ont été reportées par le gouvernement. Jugées trop sensibles, ces réformes qui sont pourtant portées depuis 2009, ont été reportées sine die à après les élections présidentielles de 2017. En cause, la « surcharge des équipes » des services des impôts chargés déjà de prendre en main la réforme de l’imposition à la source lancée par le gouvernement en juin dernier… et les risques de bugs entre les deux réformes, celle des bases des impôts locaux et celle de l’IR.  Ainsi, le 25 juin 2015 les organisations syndicales manifestaient déjà la difficulté pour les services de déployer ne serait-ce que la révision des valeurs locatives des locaux professionnels dans les temps, malgré le report d’un an intervenu en mars de la date de bascule au 1er janvier 2016… À la vérité, le système actuel d’évaluation des bases cadastrales est non seulement obsolète (datant de 1960 pour le foncier non bâti et de 1970 pour le foncier bâti et la TH et des conditions de marché de 1975 pour les deux dans les DOM) ; inéquitable (puisque figeant les écarts entre les bâtiments à cette date, donc favorisant l’ancien sur le nouveau et les centres-villes par rapport aux périphéries) ; complexe (prise en compte pour la VLC par exemple de 9 facteurs) ; illisible pour le contribuable et coûteux. Il n’est par ailleurs pas sûr que le processus d’actualisation permette une modification sensible de certains de ces éléments les plus injustes… dans ce cadre un report sine die est à la fois une mauvaise nouvelle (elle fige les inégalités acquises) et une bonne nouvelle (elle ouvre au législateur une nouvelle fenêtre de tir pour une réforme plus juste ?).

Les inefficiences du système actuel sont avérées :

Actuellement la VLC (valeur locative cadastrale) diffère dans son estimation entre les locaux commerciaux et les locaux d’habitation et sa détermination se révèle particulièrement complexe :

  • Pour les locaux commerciaux, trois méthodes sont appliquées (méthode du bail[1], méthode de la comparaison[2], méthode de l’appréciation directe[3]) ; les locaux industriels obéissant à une évaluation par l’intermédiaire de la méthode comptable (régime réel d’imposition), ou méthode particulière (entreprises obéissant au micro-BIC) ;
  • Pour les locaux d’habitation ou a usage professionnel (salariés à domicile, professions libérales et réglementées) on applique 9 paramètres : Surface totale des pièces et annexes, catégorie du logement, importance du logement (la taille faisant baisser la valeur locative proportionnellement), surface des dépendances, degré d’entretien (coefficient de vétusté), situation générale (desserte, localisation) et situation particulière (vue, etc.), existence ou non d’un ascenseur, équipement et confort mesurés en équivalence superficielles (barème).

Les biens sont ensuite soumis à un coefficient d’actualisation départemental, puis à un coefficient d’actualisation national. On le voit, les opérations sont actuellement complexes. Elles sont aussi partiales :

En théorie le législateur avait prévu que les VLC fixées à la date de référence du 1er janvier 1961 pour les PNB (propriétés non bâties) et au 1er janvier 1970 pour les PB (propriétés bâties) seraient actualisées tous les trois ans et revalorisées chaque année. Cette actualisation n’a eu lieu qu’en 1980 pour la période 1970-1980. À partir de 1981 faute de mieux, un coefficient de revalorisation nationale a été appliqué annuellement, originé au 1er janvier 1978 (puisque ce sont ces loyers qui étaient pris en compte pour leur taxation en 1980).

Ce dispositif a vécu : non seulement il fige les écarts de loyers intervenus entre les immeubles existants en 1970, mais surtout surtaxe les constructions plus récentes qui fictivement doivent entrer dans la grille d’évaluation (paramètres) datant de 1970 et sont donc par construction plus lourdement taxés. En l’absence de possibilité de visites domiciliaires systématiques, il n’est pas possible de prendre en compte les améliorations apportées aux locaux datant de 1970. Il existe donc une prime « centre-ville » : elle favorise les petits commerçants au détriment des grandes surfaces situées généralement en périphérie, et pour les particuliers, favorise des locaux qui disposent de « niches fiscales immobilières dédiées » comme le dispositif « Malraux » (travaux de restauration).

Enfin, d’importants éléments subjectifs subsistent notamment par l’intermédiaire des CCID (commissions communales des impôts directs), qui sont chargées de l’établissement de la liste des locaux de référence et des locaux types, de la détermination de la surface pondérée et du tarif associé, de l’évaluation des propriétés bâties, participant à celle des propriétés non bâties, et reçoivent les avis sur les réclamations relatives à la TH et à la TEOM, ainsi que sur les nouvelles valeurs locatives élaborées par les services fiscaux ; elles prennent enfin les décisions sur les révisions proposées par ces mêmes services[4]. Les CCID avec leurs commissaires désignés ont donc un pouvoir certain qui peut accroître les écarts entre les territoires et pérenniser les inégalités au sein des mêmes zones… d’où une certaine retenue des services fiscaux à leur égard (voir infra)… et une transparence discutable (date et publication des réunions et PV inexistants ou difficilement communicables, etc.) qui va rejaillir lors de la réforme des VLC appliquées aux locaux commerciaux et professionnels, les instances de concertation locales nouvellement créées étant en définitive très mal informées par les services fiscaux, sans doute pour limiter leur pouvoir d’arbitrage.

Le processus de révision des VLC, une vraie fausse réforme en deux vagues inachevées :

Le processus de révision est annoncé en 2009 à l’occasion des débats sur la taxe professionnelle. Il est lancé à la demande des élus nationaux et locaux par l’article 34 de la loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 modifiée par l’article 37 de la loi n°2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 qui fixe le cadre et le contenu de la réforme. Il s’agit alors de scinder la réforme en 2 en dissociant locaux commerciaux et professionnels lancée dans une première vague, puis passer ensuite dans un second temps aux locaux d’habitation.

a. La réforme des VLC appliquées aux locaux commerciaux et professionnels :

Elle repose sur un calcul des VL à partir de loyers réellement constatés. Ces loyers sont mis à jour par l’administration fiscale à partir des déclarations déposées par les redevables eux-mêmes. Chaque local étant rattaché à une catégorie (nature du bien) et à un secteur d’évaluation supposé homogène, non nécessairement continu, par département. Une grille tarifaire sera ensuite appliquée pour chaque secteur en fonction de la catégorie du bien, selon un échantillon représentatif des loyers déclarés. Ces tarifs seront in fine appliqués à la surface pondérée de chaque bien.

Expérimentée en 2011 dans cinq départements sur un échantillon représentatif (Hérault, Pas-de-Calais, Bas-Rhin, Paris et Haute-Vienne), la révision « en temps masqué » a donné lieu à un rapport[5] qui a permis d’apporter un certain nombre d’ajustements.

  • Un coefficient de neutralisation a été mis en place afin de travailler à recettes constantes pour les collectivités tout en conservant un rapport stable en termes de pression fiscale globale entre fiscalité directe locale sur les entreprises/professionnels, et fiscalité directe locale sur les particuliers non concernés à ce stade par la réforme (principe d’étanchéité) ;
  • L’ajustement a été réalisé sur l’assiette et non sur les taux (contrairement à ce que voulaient les associations d’élus locaux ADCF et AMF), au regard des difficultés techniques rencontrées, mais cela amoindrit la lisibilité de la réforme (puisque les bases sont à nouveau corrigées) ;
  • Exclusion des locaux industriels du champ d’application du coefficient de neutralisation à cause des transferts trop importants rencontrés vers les petits commerçants ;
  • Extension du coefficient de neutralisation à la TH et à la TEOM ;
  • Institution d’un lissage à la hausse comme à la baisse des écarts de cotisations par rapport à la situation précédant la réforme, sur les années 2015-2018, étant donné que l’on travaille globalement à somme nulle pour les collectivités.

Les angles morts de la révision des VLC commerciales et professionnelles

Malheureusement cette première vague montre rapidement les limites du système :

La concertation préalable écarte d’office un système fondé sur les valeurs vénales. Il s’agit pourtant du système le plus simple (remise à jour à l’occasion des mutations), disponible (via les conservations des hypothèques en lien avec les services du cadastre) et déployé chez certains de nos voisins européens (Allemagne, Grande-Bretagne, Irelande, Danemark, Norvège). Au contraire, on lui préfère toujours un système fondé sur les valeurs locatives administrées… ce qui ne permet pas de gain de productivité dans le cadre de la réactualisation des bases fiscales. Étonnant, sachant que les prix des loyers sont d’ores et déjà bien connus par les observatoires du notariat. Il serait pourtant possible de procéder à des zonages fins à moindre coût soit par signification des loyers en rapport à la valeur des immeubles enregistrés, soit directement auprès des locataires et des bailleurs (pour avoir un recoupement) ou à dire d’expert.

- Le coefficient de neutralisation étale dans le temps le rééquilibrage nécessaire, mais sans lisibilité pour le contribuable[6] : « à défaut de trouver un mécanisme « parfaitement lisible pour le contribuable », les sénateurs ont choisi de confirmer le choix du coefficient de neutralisation, c’est-à-dire appliqué aux bases, malgré la préférence affichée par les associations d’élus consultées (…) pour une neutralisation par les taux. » Le procédé évite de faire porter aux élus (taux) la décision de neutralisation en en faisant un élément du calcul même de l’impôt. Cet élément est constable techniquement (est-ce si difficile même si cela aboutissait à créer des « taux dirigés ») et politiquement (car la simplicité de la réforme devrait être un critère de son acceptation).

- La mise en évidence de la piètre qualité des bases des services fonciers. S’agissant des locaux relevant du secteur sanitaire et social, les hausses très importantes constatées (par les modélisations) résultaient d’erreurs commises par les services fiscaux eux-mêmes lors de l’évaluation initiale des locaux. De là à y voir la volonté de ne pas surcharger d’impôts le secteur parapublic (maisons de retraites, hôpitaux), il n’y a qu’un pas. La solidarité faisant le reste (les impôts locaux sont des impôts de répartition) au détriment des autres redevables.

- Sont également conservés les principes d’implication des acteurs locaux en matière de taxes locales professionnelles : via les CDVLLP (commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels (qui doivent définir les secteurs d’évaluation ainsi que les tarifs par catégorie de locaux) et les CDIDL (commissions départementales des impôts directs locaux) compétentes en matière de différends entre la CDVLLP et les CIID (commission intercommunales des impôts directs), instituées dans chaque EPCI à fiscalité professionnelle unique (loi de finances rectificative pour 2012) en remplacement des CCID (commissions communales des impôts directs) des communes membres lorsqu’elles seront consultées pour avis par les CDVLLP dans le cadre des remises à jour et d’évaluation des valeurs locatives ainsi que pour la détermination des grilles, secteurs, tarifs applicables, etc. On ne voit pas là non plus où est la simplification, ni le changement de paradigme par rapport au régime antérieur.

À compter de 2013, la réforme des valeurs locatives des locaux professionnels devait être en phase de généralisation. Il aurait fallu pour cela collecter les informations nécessaires auprès des propriétaires, qui devaient être soumises aux commissions consultatives (CDVLLP et CDIDL). C’est ce travail de recollement et de production qui prend aujourd’hui le plus de temps et dont la date butoir a encore une fois été reportée. Le décret du 7 novembre 2013 modifié par le décret du 30 juin 2014 fixe les modalités de mise en place et de fonctionnement des CDVLLP.

L’inclusion partielle des commissions consultatives brouille la réforme et est une source d’erreurs :

Le rôle de chaque commission, on l’a vu (voir supra encadré), est de modifier et de valider la géographie des zonages, ainsi que les coefficients de localisation. L’administration doit réaliser pour chaque département un avant projet de sectorisation et de grille tarifaire à partir des informations notifiées par les propriétaires des locaux professionnels. Chaque avant-projet comporte :

  • Une carte départementale présentant le découpage en secteurs ;
  • Des cartes communales pour les communes, donnant lieu à un découpage en plusieurs secteurs (ils ne sont pas nécessairement contigus).

Saisis pour avis les CIID (commissions intercommunales des impôts directs) ne sont là que pour faire de la figuration ou presque : leur rôle n’est que purement consultatif et elles disposent de seulement 30 jours pour se prononcer sur la sectorisation de leur département, la grille tarifaire arrêtée pour les différentes collectivités de locaux sur chacun des secteurs et l’application du coefficient de localisation[7].

À la clé, la possibilité pour les commissions départementales de changer de secteur de rattachement une commune entière ou une section cadastrale, ainsi que le nombre de secteurs ou les bornes de loyer correspondant à chaque tranche. L’ensemble devant au départ se dérouler entre le 24 novembre 2014 au plus tard et finir dans la semaine du 12 janvier 2015.

Mais pour ce faire, l’administration fiscale, on l’a vu, n’a délivré que des informations au compte goutte, et compte bien s’en tenir à cette attitude. De ce fait elle limite la capacité d’amendement des CDVLLP qui risquent en modifiant à la marge les données fournies d’adopter des démarches subjectives. C’est en substance ce que constate l’AFIGESE dans son rapport de janvier 2015 : « Aujourd’hui il apparaît que ces modifications s’appuient très largement sur la seule connaissance subjective des membres des CDVLLP en l’absence de critères objectifs. [8]» La réponse à cette incertitude par Bercy (bureau GF3A) est très claire : « Ce « contrôle » de la méthodologie n’aurait pas de sens. Il est vrai que certaines communes (ou sections de communes) ont été sectorisées en l’absence d’observations (ou en l’absence d’observations suffisantes) par la DGFiP. »

Si la méthodologie n’est pas communicable, ne l’est pas davantage celle à suivre en matière de reclassement des communes et des sections cadastrales : l’administration en effet oppose : « il n'est en tout cas pas possible pour les représentants de la DGFiP de donner des informations aux commissaires sur d’autres locaux (autres que les MAG1 (magasins 1, catégorie ndlr) présents dans les communes concernées pour permettre aux commissaires de sectoriser. Si on ne veut pas que les grilles tarifaires prêtent le flanc à des recours pour excès de pouvoir dès leur publication, il faut rester sur des données objectives que la DGFiP pourra présenter. Dans le cas d’un recours, ce sont en effet les évaluations de tout un département qui peuvent tomber. » En réalité les CDVLLP n’ont pu avoir communication des grilles tarifaires et fiches d’impact par commune ou section cadastrale, ni la possibilité de comparer le montant global des valeurs cadastrales avant et après révision par catégorie, ou avant et après application des coefficients de neutralisation au niveau départemental. En effet « tous les locaux ne disposent pas actuellement de données révisées, et dès lors les coefficients de neutralisation calculés par niveau de collectivité demeurent approximatifs et ne peuvent être appliqués à des observations individuelles. Pour une approche plus fine il faudra attendre les simulations réalisées en 2015 […] À ce stade, la DGFiP ne peut pas fournir de simulations plus fines que la fiche d’impact départementale. » Dans ces conditions, les CIID/CCID qui ont 30 jours pour se prononcer ne disposent pas des éléments nécessaires pour effectuer les aménagements dont elles ont la charge à titre consultatif, et les DDFiP (directions départementales des finances publiques) n’assisteront pas à leur réunion. Il est donc évident que sans marge de manœuvre, peu d’éléments méthodologiques et des difficultés de comparaison, il n’est pas possible de réaliser des arbitrages sans commettre d’erreur… Les commissions sont donc tenues de ne pas réviser les données transmises hors erreur manifeste d’appréciation, ce qui était le but premier de l’administration.

Il est donc clair que la saisine des instances locales relève d’un mécanisme globalement de pure forme. Le meilleur exemple est la demande effectuée auprès de la DGFiP du détail du calcul du coefficient de neutralisation applicable. La réponse est limpide : « S’agissant de comparaison des sommes de valeurs locatives avant et après révision, hors application de la neutralisation (c’est-à-dire les VL révisées brutes) : ces éléments ne nous semblent pas apporter d’information pour une meilleure appréhension des paramètres départementaux d’évaluation. » Fermez le ban !

Mais au-delà il convient de s’interroger sur les méthodes : pourquoi laisser des commissions consultatives lorsque l’ensemble de la réforme aurait pu être pilotée directement par la DGFiP ? Pourquoi dans le cas contraire leur interdire les moyens d’agir ?

Évidemment l’ensemble du processus n’est pas concerné par une véritable démarche de transparence. La population locale ou l’observateur externe ne peuvent pas consulter les documents présentés dans ces commissions, ni les PV accessibles en open data et c’est bien dommage. Par ailleurs les documents fournis par l’administration sont limités : une fiche d’impact départementale est prévue sans que des éléments plus précis ne soient fournis ; par ailleurs, ce n’est qu’une fois que la sectorisation et que la grille tarifaire auront été stabilisées qu’il sera possible « de réaliser des simulations à partir des nouvelles valeurs locatives révisées, mais ces simulations restent globales et ne s’apparentent pas à une taxation à blanc.[9] »

L’arbitrage entre réforme d’en haut en réforme coproduite d’en bas avec les risques d’arbitraires inhérents n’a pas été tranchée, ce qui aboutit à une opacité préjudiciable à l’ensemble des acteurs. Cependant après un premier report demandé pour 2016 puis un second à 2017 et maintenant un report sine die, la réforme des valeurs locatives des professionnels ne semble pas pour autant gelée. À compter de 2015 s’applique la nouvelle obligation déclarative des occupants des locaux professionnels non industriels, via un document spécifique distinct de la déclaration de résultats et obligatoirement dématérialisé (une procédure EDI-requête pour réceptionner les informations de l’administration et en retour une procédure EDI-Decloyer avec des indicateurs d’occupation (loyers annuels). La remontée des données continue. Le report n’est donc sans doute que de pure façade et ne semble pas infirmer la possibilité d’un futur déploiement. Nous ne sommes pas dans une logique à la 1990.

Enfin la procrastination et les délais de déploiement ont un coût : si du côté de Bercy dès la première annonce de report pour 2017, on affirmait que « ce délai permettrait d’équilibrer la réforme » pour redonner du souffle aux petits commerces de proximité, il est évident entre les lignes, que cela devrait donner du temps à la mobilisation des syndicats pour limiter au maximum les reports de charge, non seulement entre les professionnels mais également avec les particuliers. En effet le coefficient de neutralisation ne joue que tant que la mise en place d’une révision des VLC aux locaux d’habitation n’est pas effective (ensuite se produira un ajustement par les taux). Si l’on travaille à prélèvement constant, il va de soit qu’une montée en puissance des recettes d’impôts locaux des professionnels par rapport aux recettes d’impôts locaux des particuliers va apparaître (les baux commerciaux étant beaucoup plus élevés que les baux privés). Sans parler du rattrapage des petits commerces au bénéfice des grandes surfaces qui ont été privées artificiellement de coefficient de neutralisation. Même à enveloppe constante (impôt de répartition) hors ajustement de bases physiques, tout porte à croire que les reports seront particulièrement intenses, sitôt les coefficients de neutralisation supprimés. Les professionnels ont donc intérêt à un déploiement à deux vitesses dont le second serait renvoyé aux calendes grecques.

Un risque de pérennisation du coefficient de neutralisation

L’application des coefficients de neutralisation devrait cesser avec l’entrée en vigueur de la révision des locaux d’habitation. Or cette substitution par les taux risque de bénéficier aux particuliers au détriment des professionnels. Par ailleurs, la hiérarchie des territoires risque de se retrouver alors bouleversée. En effet, la revalorisation des VLC va rebattre les cartes entre les territoires et modifier les règles de péréquation. Il va y avoir des conséquences importantes en matière d’allocation de la DGF (dotation générale de fonctionnement). Les mécontents peuvent donc être nombreux avec l’entrée en vigueur de la réforme des VLC appliquée aux locaux d’habitation. Le coefficient de neutralisation lui permet de faire perdurer les situations acquises entre territoires. Il y a donc fort à parier que si la question de la révision des VLC aux locaux d’habitation est reportée à une date indéfinie, il n’en sera peut-être pas de même en ce qui concerne les locaux professionnels, car dans l’intervalle les reports de charge sont encore assez limités (malgré la fronde des petits commerçantfs comme à Paris justifiant une demande expresse de report de la réforme par la maire de Paris, Anne Hidalgo (février 2015)). Il y a donc un risque d’avoir un double effet pervers : un coefficient de neutralisation majoré pour les centres-villes en matière de fiscalité locale professionnelle et un report indéfini de la réforme des bases cadastrales pour les particuliers.

b. La révision des VLC appliquée aux locaux d’habitation :

La révision a été lancée le 13 février 2015 par une première expérimentation au sein de 5 départements pilotes, la phase de concertation étant intervenue dès 2013 ; et ce, en vertu de l’article 74 de la loi n°2013-1279 du 29 décembre 2013, puis par arrêté du 18 décembre 2014 fixant la liste des départements d’expérimentation. Elle concerne la Charente-Maritime, le Nord, l’Orne, Paris et le Val-de-Marne.

Dans ce cadre les propriétaires ont reçu une déclaration par locale ou par télé-déclaration avec date butoir et mande. Il est prévu en effet en cas de non-réponse une pénalité de 150€ par déclaration ou de 15€ par omission ou inexactitude, sans que le total puisse être inférieur à 60€ ni supérieur à 150€. Dans ces conditions, il est clair que l’avantage de tout propriétaire est précisément de ne pas remplir son devoir déclaratif. Etant donné les reports de charge potentiels sur la durée, la reddition d’une déclaration incomplète a un coût tout à fait supportable pour le propriétaire, et ce, d’autant plus qu’aucune visite domiciliaire n’est prévue par les textes. Les risques de déclarations frauduleuses ou incomplètes sont donc réels.

Il est par ailleurs prévu la reddition d’un rapport au Parlement au plus tard le 30 septembre 2015 retraçant et évaluant les conséquences de cette révision pour les contribuables, les collectivités territoriales, les EPCI et l’État ; en particulier les transferts de fiscalité entre catégories de contribuables et l’impact de la révision sur les potentiels financier et fiscal des collectivités territoriales[10].

Dans les grandes lignes le dispositif envisagé pour les locaux d’habitation est calqué sur celui applicable aux locaux professionnels : « Pour l’expérimentation, les principes mis en œuvre dans le cadre de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels seraient repris et adaptés aux spécificités des locaux d’habitation. »

  • La classification et la notion de local de référence serait abandonnée au profit d’un classement par tranche de surface (consistance), de l’institution de grilles tarifaires et de secteurs d’évaluation ;
  • Les tranches de surface s’appuieraient sur les catégories définies par l’INSEE, et les surfaces prises en comptes obéiraient à la surface dite « Carrez » ;
  • Chaque secteur d’évaluation correspondant à un marché locatif homogène ;
  • La prise en compte d’un coefficient d’entretien.

Comme la révision des valeurs locatives des professionnels, la révision des valeurs locatives des particuliers s’opérerait elle aussi à produit constant pour la collectivité.

La réforme était prévue pour que les premiers travaux se déploient en 2016, l’année 2017 étant consacrée à la fixation des secteurs d’évaluation, des grilles tarifaires et éventuellement des coefficients de localisation ou d’entretien ; les résultats de la révision étant intégrés dans les bases des impôts directs à l’automne 2018.

Les récentes annonces évidemment mettent un frein à ce scénario de déploiement. Mais il pourrait néanmoins perdurer en rééchelonnant ses propres échéances, sitôt la réforme de l’imposition à la source implémentée (d’autant plus que les engagements gouvernementaux de stabilité de la pression fiscale ne courent que jusqu’en 2017).

Le report sine die des réformes des VLC, une bonne et une mauvaise nouvelle :

Le report après 2017[11] de la réforme des VLC est une bonne et une mauvaise nouvelle

  • Une mauvaise nouvelle tout d’abord, parce qu’elle pérennise un système qui est largement anachronique et qui fossilise des rapports inéquitables entre contribuables et entre collectivités (centre-ville/périphérie : indépendamment de la valeur des biens et donc des baux) et territoires (en cas de réformes abouties les potentiels fiscaux seront rebattus ce qui devrait conduire à des ajustements des dotations d’État et des dispositifs de péréquation). Mais aussi entre professionnels et particuliers, et entre professionnels eux-mêmes : grosso modo les particuliers paient trop par rapport aux professionnels, tandis qu’au sein de ces derniers les grands commerces paient trop par rapport aux petits.
  • Une bonne nouvelle ensuite parce que les bases ainsi définies ne sont pas les bonnes : le système déclaratif sous forme de « valeur locative révisée virtuelle brute » - valeur administrée -, suppose un caractère fortement intrusif de la puissance publique pour être fiabilisé et une participation minime des instances locales (afin de disposer de la meilleure harmonisation possible). Or ce choix n’a pas été fait. Il en résulte des évaluations hors sol fluctuantes et une participation locale de façade afin de limiter les incohérences (mais sans éviter les nuisances, faute d’information fiable fine), hors de tout contrôle citoyen. Il aurait mieux valu s’appuyer sur un système reposant sur la valeur vénale, connue par les services fonciers et actualisée. Un contrôle à dire d’expert tout les dix ans pour les biens ne changeant pas de main aurait suffi à permettre une remise à jour efficiente, pour un poids administratif faible, sans caractère intrusif marqué, hors de toute correction locale au doigt mouillé.

Ce choix n’a pas été fait, on en voit les conséquences.


[1] Pour les immeubles loués dans des conditions normales au 1er janvier 1970 (article 1498-1° du CGI).

[2] Pour les immeubles non loués ou loués dans des conditions anormales (article 1498-2° du CGI).

[3] À partir de la valeur vénale pour les immeubles ne rentrant pas dans les deux précédentes catégories (article 1498-3° du CGI).

[4] Voir Uamc.fr 

[5] Rapport remis fin janvier 2012 au Parlement, mais diffusé bien après par le Sénat à l’occasion d’un rapport des sénateurs JARLIER et MARC, de juin 2012.

[6] Voir, AMF, Révision des valeurs locatives, évolution du dispositif et du calendrier de révision, 2 novembre 2012.

[7] Voir, Commission finances AMGVF ACUF du 5 février 2015, La révision des valeurs locatives des locaux professionnels, note d’actualité.

[8] AFIGESE, Révision des valeurs locatives des locaux professionnels, travaux des CDVLLP, communication de données par les DDFiP, 30 janvier 2015.

[9] Voir, CGPME, 7 janvier 2015, Fiche sur la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.

[10] L’article 74 de la LFR 2013 du 29 décembre 2013 a été introduit par l’intermédiaire d’un amendement gouvernemental n°460. 

[11] Avec le déploiement à partir de la LFI 2010 de la révision des bases locatives pour les entreprises (3,3 millions de locaux) et qui devait se déployer à partir de 2015, repoussée dans un premier temps au 1er janvier 2016 et pour les particuliers à partir de 2016 (33 millions de logements) pour une application au 1er janvier 2017