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SNCM, Corsica Ferries : le contribuable aussi peut être gagnant

La SNCM est une compagnie de navigation maritime qui assure les traversées entre la France continentale et la Corse, la Sardaigne et l'Afrique du nord. C'est aussi une société à capitaux mixtes qui a régulièrement défrayé la chronique par ses grèves, la dernière s'étant déroulée le 15 juin dernier, les syndicats voulant marquer la prise de fonction du nouveau ministre des Transports. Confrontée à une concurrence directe de Corsica Ferries qui a développé les techniques du low cost pour ouvrir le marché à de nouveaux clients, la SNCM pensait certainement être à l'abri grâce à la délégation de service public dont elle bénéficie au titre de la continuité territoriale. Mais son modèle est aujourd'hui en péril.

Illustration : Louis Moutard-Martin, shipmania.jimdo.com

Un monopole public bousculé par l'arrivée de la concurrence

Originellement, Compagnie générale transméditerranéenne (CGTM), la société a été rebaptisée SNCM en 1976, en même temps qu'elle devenait publique (75% Compagnie générale maritime (CGM) et 25% SNCF). Elle fait partie des 3 opérateurs maritimes sur la liaison Continent/Corse avec la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN) et Corsica Ferries (CF) (depuis 2011 MobyLine assure des liaisons uniquement au départ de l'Italie). Progressivement privatisée en 2005, la SNCM est aujourd'hui une filiale de Véolia.

 SNCMCMNCF
Date de création196919311968
StatutPrivatisée en 2006 avec toujours 25 % de participation de l'ÉtatSociété privée du groupe STEFSociété privée
Chiffre Affaires 2009281 millions d'euros87 millions d'euros196 millions d'euros
EffectifsEnviron 1600 *4351.200
Nombre de bateaux9 (dont 6 sur la Corse)*313

* selon les sources, les chiffres varient

Comme on le voit à partir des deux graphiques ci-dessous, c'est à partir des années 1999-2000 que la part de marché de la SNCM s'effondre. A cette date, son concurrent Corsica Ferries qui n'opérait des liaisons sur la Corse qu'au départ de l'Italie profite de l'ouverture du cabotage maritime pour développer des liaisons au départ de Toulon en mettant en place deux bateaux méga-express assurant trois rotations par jour. Avec un positionnement low-cost, cette arrivée de la concurrence provoque un changement de la physionomie du trafic et une chute vertigineuse pour la SNCM même si les résultats de 2011 montrent une légère amélioration.

Détail de l'évolution des parts de marché et du nombre de passagers

Pax : Passagers, PDM : Part de marché (Source l'Observatoire Régional des Transports de la Corse)

Evolution des trafics par compagnie


(Source l'Observatoire Régional des Transports de la Corse)

L'État a mis en place plusieurs plans de sauvetage à mesure que la situation financière de la SNCM se dégradait jusqu'à ce qu'en 2003 la Commission européenne impose des cessions d'actifs, dont une partie de la flotte. C'est le gouvernement Villepin qui initie le processus de privatisation avec tout d'abord l'entrée du fonds Butler au capital qui provoquera l'épisode fameux du détournement du bateau Pascal Paoli par les marins corses avant d'être repris par le GIGN. Malgré ces rebondissements, la privatisation sera finalisée aboutissant à la composition actuelle du capital : Veolia Transdev 66 % ; État français 25 % ; Salariés 9 %.

Une concurrence low cost contestée par le monopole historique

Pour les marins CGT, la raison des difficultés de la compagnie est clairement identifiée : ils réclament l'application des lois sociales françaises à bord des navires battant pavillon italien, Corsica Ferries. La réglementation qui s'applique est la suivante : un pays d'accueil européen peut imposer ses règles sociales aux compagnies maritimes dans le cadre du cabotage. En 1999, lorsque la libéralisation des conditions de cabotage a été mise en place, Jean-Claude Gayssot alors ministre des Transports avait fait définir les règles à respecter par les compagnies maritimes (décret 99-195 du 16 mars 1999) :

  • Les membres de l'équipage doivent être des ressortissants d'un Etat membre
  • Un contrat de travail doit être établi avec la durée d'engagement, les éléments constitutifs du salaire, emploi occupé, congés payés, etc.
  • Les règles en vigueur en matière de durée du travail, de repos et de congés sont celles auxquelles sont soumis les marins embarqués sur les navires battant pavillon français
  • Les marins sont soumis à un SMIC maritime calculé à partir du SMIC français
  • Les marins doivent être couverts par la législation applicable en matière de sécurité sociale de l'un des États membres de l'Union européenne. Les risques maladie-maternité, vieillesse, accident du travail, invalidité et chômage doivent, en tout état de cause, être couverts. D'après nos informations, Corsica Ferries qui cabote depuis 13 ans et qui était visée à l'origine par ce décret, n'a jamais été mis en cause.

Une obligation de service public renégociée

Mais ce qui pourrait bien déterminer l'avenir de la compagnie c'est la remise en cause de la Délégation de service public : la SNCM devrait voir une baisse importante de ses subventions de plus de 30 millions d'euros. En avril dernier, le président du conseil de surveillance de la société a annoncé l'hypothèse d'un plan social de près de 800 personnes, soit la moitié des effectifs. C'est assurément un coup dur pour son modèle économique qui n'est plus adapté.

Il existe en effet une distinction dans l'obligation de service public qui s'applique aux trois opérateurs, SNCM, CMN et Corsica Ferries, pour le transport de fret et de passagers :

  • Il y a d'une part la délégation de service public uniquement sur la liaison Marseille/Corse introduite en 1976. C'est l'application du concept de continuité territoriale dont le principe est simple "le coût de la traversée maritime pour un insulaire doit être équivalent à celui d'un trajet ferroviaire sur une même distance". La DSP bénéficie d'une dotation de l'État garantissant ce service public de continuité territoriale entre le continent et la Corse. Ce service est assuré seulement à partir de Marseille par les deux opérateurs historiques : la SNCM et la CMN.
  • Il y a d'autre part l'aide sociale aux passagers, instituée en 2002 en complément de la DSP sur les liaisons à partir des ports de Nice-Toulon/Corse. Cette aide est distribuée à toutes les compagnies qui opèrent à partir de Nice et de Toulon avec des conditions d'attribution pour les passagers, soit des familles et résident Corse, des seniors, des jeunes …

Détail de la DSP et de l'Aide Sociale

Année 2010Régime DSPRégime Aide Sociale
Nb de traversées2.6414.028
Montant des compensations113 millions d'euros17 millions d'euros
Montant par traversée42.000 euros4.000 euros

Tableau extrait de l'avis du 17 février 2012 de « Autorité de la concurrence »

Or, le 7 novembre 2011 la délégation de service public accordée à la SNCM et à la CMN pour la période 2007 à 2013 a été annulée par la Cour d'appel administrative de Marseille avec menace de devoir rembourser quelques dizaines de millions déjà perçus au titre des "services complémentaires" et le 23 mars 2012, la Collectivité territoriale de Corse a redéfini les fondamentaux de la DSP que l'on peut résumer ainsi :

  • La subvention ne concerne que le fret et le passage voyageurs pour les seuls insulaires avec une emphase particulière sur le fret au détriment du passager (le volume étant fixé à 600.000 contre 1.000.000 actuellement).
  • La Collectivité territoriale de Corse ne financerait plus les "services complémentaires" octroyés lors des passages en période de pointe, vacances scolaires, etc.

Ces décisions auront bien sûr un impact financier pour les deux opérateurs principaux. Malgré cela Corsica Ferries continue à gagner de l'argent avec pratiquement 10 fois moins de subventions :

  • par une forte rationalisation de sa flotte,
  • le choix du port de Toulon qui perçoit des taxes plus faibles,
  • une traversée plus courte et un temps de rotation optimisé (3 A/R par jour avec 2 bateaux)

Autrement dit, Corsica Ferries applique les méthodes du low cost c'est-à-dire une intensification de l'utilisation des matériels et une réduction des services annexes. Il ne s'agit donc pas de dumping social comme l'affirment les marins de la SNCM. D'ailleurs le quotidien économique les Echos en mai 2011 soulignait : "plus que les écarts sur les coûts salariaux c'est la productivité des marins de la SNCM ainsi que le mille feuilles d'avantages obtenus au fil des ans qui fait la différence". Et de préciser : "L'entreprise marseillaise (SNCM) doit gérer une cinquantaine de primes et des salaires différents d'un navire à l'autre." Sans oublier bien sûr les multiples recours à la grève (47 jours au début 2011).

Dans son étude sur le low cost aérien [1], Emmanuel Combe explique que le low cost aérien se révèle être une source de richesse en élargissant la taille du marché à de nouveaux clients et en générant du pouvoir d'achat pour les passagers. Dans le cas de la SNCM face à la concurrence de Corsica Ferries, on voit que les pouvoirs publics ont longtemps préservé l'opérateur historique. Mais la décision récente de la Collectivité de revoir les conditions de la DSP montre qu'elle veut désormais tirer profit du low cost pour les finances publiques : ce modèle peut donc se révéler une bonne nouvelle aussi pour le contribuable.

Sources :

"La continuité territoriale avec la Corse", rapport février 2011 de la Cour des comptes

Avis de l'autorité de la concurrence du 17/02/2012 relatif au transport maritime entre la Corse et le continent

Observatoire régional des transports Corses

Rapport parlementaire sur la desserte maritime de la Corse de mai 2010

[1] Les vertus cachées du Low Cost aérien, novembre 2010, Fondation pour l'innovation politique