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Retraites : les vrais chiffres de la réversion

Le débat enfle sur la réversion et son avenir dans la réforme globale des retraites que prépare le gouvernement. Cela mérite de faire le point sur les chiffres et les conditions de ces dispositifs qui concernent les veufs et les veuves dans les différents régimes. Les règles disparates qui cohabitent entre les régimes méritent une clarification. Et le gouvernement, même s'il ne le dit pas, prépare la nécessaire convergence des règles du public sur le privé, comme l'avait déjà recommandé la Cour des comptes en 2016, en mettant sous conditions de resssources une partie de la retraite des fonctionnaires.

La polémique enfle depuis quelques jours autour des pensions de réversion. Dans le document préparatoire à la réforme des retraites qui doit couvrir 6 thèmes de concertation, le Haut-commissaire à la réforme des retraites a posé la question qui fâche : « doit-on maintenir les retraites de réversion ? ». Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a, par la suite, expliqué que la future réforme devait être l’occasion de remettre à plat la réversion qui doit être « plus juste et plus efficace, en la réservant à ceux qui en ont le plus besoin ». La réversion sous condition de ressources constitue déjà un cas de figure très répandu puisque ce sont précisément les conditions imposées à la CNAV. Le premier ministre est intervenu pour recadrer le débat, soulignant que le gouvernement ne travaillait en aucune façon sur une réforme des pensions de réversion qui viendrait à « les remettre en cause ou les amoindrir ». Mais Christophe Castaner a relancé le débat en déclarant qu’à l’occasion de la réforme en préparation, la réversion n'est pas remise en cause mais « pour certains elle peut baisser, pour d'autres elle peut augmenter ».

Cette polémique mérite de refaire le point sur ce qu’on appelle les pensions de réversion versées aux veufs ou veuves dans les différents régimes de retraite.

 Régime général, régime de base agricole, indépendant et professions liébralesFonction publiqueArrco-AgircRégime complémentaire RSIRégime complémentaire MSA non salariés
Montant54%50%60%60%54%
Condition d'âge55 ansPas de condition55 ans Arrco/60 ans Agirc55 ans55 ans
Conditions de ressources20 550 €/an en 2017Pour connaître les revenus pris en compte dans le plafond de ressources, lire https://www.sapiendo-retraite.fr/fiche-retraite/36-les-revenus-pris-en-comptePas de conditionPas de condition79 464 €/an en 2018Pas de condition
MariagePas de durée minimale de mariage4 ans, ou avoir eu des enfants en communObligatoirementObligatoirementObligatoirement, pas de conditions s'il y a des enfants
RemariageN'annule pas le droit à pensionMet fin au droit à pensionMet fin au droit à pensionN'annule pas la réversionMet fin au droit à pension

Dans la dernière édition de la DREES sur les retraites, on relève qu’il y a 4 408 000 bénéficiaires d’une pension de réversion au 31 décembre 2016 dont 3 809 000 pensionnés résidant en France. Sur ces 3,8 millions de retraités, 596 000 perçoivent uniquement cette pension, dite de droit dérivé. Au total, les pensionnés de droit dérivé représentent un quart de l’ensemble des retraités, tandis que les pensions de réversion représentent 36 milliards d’euros fin 2016 soit 11% de l’ensemble des dépenses de retraites.

La situation des femmes

Dans 9 cas sur 10 ce sont des femmes. Elles vivent plus longtemps et sont en moyenne 2 à 3 ans plus jeunes que leurs conjoints. Par ailleurs, les hommes veufs perçoivent en moyenne une retraite plus élevée et ont donc des revenus supérieurs aux conditions de ressources fixées dans certains régimes.

Logiquement, les femmes perçoivent donc un montant mensuel moyen de droit dérivé supérieur à celui des hommes puisque fonction de la retraite de leur mari. D’ailleurs la pension  de réversion pour les femmes représente la moitié de la retraite totale contre seulement 17% pour un homme. Pour les femmes, la pension de réversion est importante car après prise en compte des pensions de réversion et des majorations pour enfants, la pension des femmes reste inférieure en moyenne de 25% à celle des hommes en 2016.

Le montant moyen perçu est de 640 euros pour une femme et 300 euros pour un homme. Cependant, il faut souligner que la part dans la retraite totale est plus élevée pour les veuves des anciennes générations qui disposaient de droits directs plus faibles que pour les retraitées actuelles, en raison d’une plus grande insertion sur le marché du travail et de meilleures carrières au fil du temps. Voir l'étude très complète de la DREES, La part de la réversion dans la retraite des femmes diminue au fil de générations. Et parmi les personnes percevant uniquement une pension de réversion, il s’agit dans 45% des cas de personnes vivant à l’étranger.

Les conditions d’âge et conditions de ressources

Il y a bien entendu une très forte part de bénéficiaires de plus 65 ans (87%) puisque plusieurs régimes fixent des conditions d’âge – entre 50 et 60 ans - pour bénéficier de la réversion au régime général et dans les régimes alignés (artisans, commerçants, salariés agricoles). En revanche, il n’y en a pas pour la fonction publique et les régimes spéciaux. Dans un rapport de 2016, la Cour des comptes avait chiffré que le seul alignement des conditions d’âge requis pour l’ouverture des droits à réversion entre public et privé procurerait une économie de 70 M€ à la fonction publique d'Etat et de 46 M€ à la Caisse de retraites des agents locaux et hospitaliers (CNRACL).

Les régimes les plus concernés par la réversion sont en premier lieu la CNAV (2,8 millions de pensionnés de droit dérivé) et l’Arrco (2,9 millions). Mais a contrario les pensions de réversion de la CNAV représentent 21% de la masse des pensions de réversion alors qu’en matière de droit direct la CNAV représente 34% des versements. Cela s’explique par la condition de ressources fixée à la CNAV.

Les régimes de la fonction publique n'ont pas de conditions de ressources. Malheureusement on ne connaît pas le poids des pensions de réversions de la fonction publique dans l’ensemble des retraites en réversion versées. Cependant, dans un rapport plus ancien rédigé à l’occasion de la réforme des retraites de 2010, le sénateur Jégou avait demandé une simulation au ministère de la fonction publique incluant une condition d’âge minimum de 55 ans, l’introduction d’une condition de ressources sur une partie de la réversion (50%) et l’augmentation du taux de réversion de 50 à 54%. Le rapport concluait à une économie de 220 millions d’euros pour la fonction publique d'Etat et la CNRACL au bout de 5 ans et près de 500 millions d’euros d’économies au bout de 10 ans. Le rapport concluait qu’une telle mesure serait favorable aux veuves de fonctionnaires ayant de faibles ressources (en raison de la hausse du taux de réversion) et réduirait le montant de la réversion pour les veuves ayant des revenus moyens et supérieurs (en raison de la mise sous condition de ressources d'une partie de la réversion).

Montant moyen de la pension de réversion versée par les principaux régimes

FPE civilsFPE militairesCNRACL hospitalierCNRACL territorialCNAVArrcoAgirc
961 €844 €638 €606 €297 €196 €516 €

Le gouvernement va-t-il s'attaquer aux pensions de réversion ? Il s’agit d’un enjeu de 36 milliards d’euros qui concerne plus de 4 millions de Français. Par ailleurs, ces pensions constituent des droits non-contributifs c’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet de cotisation spécifique et sont financés comme l’ensemble des dispositifs de solidarité par les cotisations des salariés et employeurs. Il s’agit donc d’un transfert des célibataires vers les mariés, dont l'exécutif voudra surement revoir le financement. Et les règles très disparates qui régissent la réversion méritent une clarification.

Pour autant le gouvernement doit clairement dire ses intentions qui sont visiblement d'aligner pour tout ou partie les conditions du public sur le privé.

Enfin, si le gouvernement veut faire des économies sur les retraites, il ne doit pas fermer la porte à la capitalisation, hypothèse qui a pour l'instant été écartée par Jean-Paul Delevoye. Et il doit passer un "nouveau contrat" aux retraités en revoyant les règles d'indexation des pensions pour que les retraités ne soient pas laissés de côté en cas de retour de la croissance.