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Les retraites complémentaires face à la réforme Ayrault des retraites

Entretien avec Philippe Vivien, Président de l'Agirc

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Philippe Vivien, DRH du groupe Areva depuis 2004, Président de l'AGIRC (Association générale des institutions de retraite des cadres) depuis 2008 et membre du comité exécutif du groupe depuis 2005 revient pour la Fondation iFRAP sur la réforme des retraites en cours et ses conséquences sur les retraites complémentaires.

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Quelle est la situation des retraités aujourd'hui ?

Les régimes de retraite obligatoires sont le premier poste des dépenses publiques (280 milliards d'euros, 14% du PIB, plus que l'assurance maladie ou même que le budget de l'État). Ces régimes ont conduit à une amélioration très sensible de la situation des retraités : le taux de pauvreté des retraités est aujourd'hui de 10% (pour un taux de pauvreté de 14% pour l'ensemble de la population) quand il était de 35% en 1970 quand les régimes de retraite commençaient à produire leurs pleins effets.

Ces générations nombreuses de nouveaux retraités (les baby-boomers) sont les grands bénéficiaires des trente glorieuses : plus nombreux et bénéficiant d'une espérance de vie qui a crû de 15 ans pendant les 60 dernières années, ces nouveaux retraités n'ont pas connu la guerre (situation sans précédent dans l'histoire de France), ni l'entrée tardive dans le monde du travail, ni les aléas de celui-ci (chômage, précarité…)

Comment voyez-vous l'avenir de nos systèmes de retraite ?

Ces régimes promettent aujourd'hui plus qu'ils ne peuvent tenir. Ils sont en déficit et la réforme à venir repose sur un scenario économique peu réaliste. Le rapport Moreau constate un déficit de 15,8 milliards d'euros en 2012 et prévoit que ce déficit atteindra 20,9 milliards en 2020. Mais pour cela, il s'appuie sur le scenario central du COR qui se fonde sur une croissance annuelle de la masse salariale de 3,7% sur la décennie 2011-2020 (contre 3,3% sur la période 2001-2010) alors que la masse salariale n'a crû que de 2,2% en 2012 et qu'elle ne devrait augmenter que de 1,3% en 2013 ; pour tenir l'objectif de 3,7% , il faudrait que la masse salariale augmente de 4% par an d'ici 2020… Le 20,9 milliards d'euros prévu est sans doute plus proche de 25 milliards en étant un peu plus réaliste, sans pour autant noircir le tableau.

Mais dans le débat actuel sur le projet de loi en préparation, on ne parle plus de 20 milliards d'euros mais d'un besoin de financement de 7 milliards pour revenir à l'équilibre à horizon 2020. Le rapport MOREAU incite à cette analyse en indiquant que pour le régime général, le besoin de financement peut être estimé à 7 milliards d'euros. Ce chiffre est cohérent avec le fait que le régime général verse 100 milliards de prestation, soit un tiers de ce qui est alloué par l'ensemble des régimes.

Ce faisant, le rapport MOREAU indique que pour l'AGIRC et l'ARRCO (70 milliards d'euros de prestations, 25% du total), une partie du chemin a déjà été accompli avec l'accord du 13 mars 2013 (un peu plus de 3 milliards) mais il passe complètement sous silence les moyens de revenir à l'équilibre pour les régimes complémentaires (il reste entre 6 et 8 milliards d'euros à couvrir) s'il n'y a pas « d'effet rebond » de la réforme du régime de base.

Ce raisonnement conduit à ajouter que pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, « le budget de l'État est conduit à couvrir leurs déficits ». Et voilà comment d'un coup de baguette magique, 20 ou 25 devient 7 …

Comment jugez-vous la réforme en préparation ?

L'augmentation des ressources semble être au cœur de la réforme en préparation ; ce n'est pas la première fois mais il faut rappeler que les cotisations retraite qui, pour le secteur privé, représentaient 12,5% du salaire en 1970 ont plus que doublé en atteignant aujourd'hui 26,35% sur tranche A : on travaille 1 jour sur 4 pour la retraite de ses parents (le taux de cotisation sous plafond est aujourd'hui de 18,9% en Allemagne, de 16,4% en Belgique et de 9,9% au Canada).

Le débat entre CSG et cotisations sociales n'est pas tranché ; même si l'impact sur la compétitivité des entreprises n'est pas exactement le même, c'est toujours une augmentation des prélèvements obligatoires qui directement ou indirectement (moindre consommation) pèse sur la timide reprise de la croissance. Même si les cotisations sociales affectées à la retraite sont compensées pour les entreprises par une diminution des cotisations patronales pour les prestations familiales, la branche famille affiche un déficit prévisionnel de 3,2 milliards d'euros pour 2013.

Quelles sont les voies d'économies possibles ?

La maîtrise des charges par une sous-indexation exceptionnelle des pensions ne semble plus à l'ordre du jour pour le régime de base. Certes, le niveau de vie des retraités peut diminuer si des prélèvements fiscaux nouveaux concernent les retraités (alignement des taux de CSG ou fiscalisation des majorations familiales) ; mais il s'agirait là encore plus d'une augmentation des ressources que d'une diminution des charges.

S'agissant des charges, on peut s'attendre d'ici 2020 à une augmentation avec la prise en compte annoncée de la pénibilité, voire la possibilité de racheter, à un prix réduit, des trimestres pour les périodes d'études.

Il est impossible de chiffrer les surcoûts de ces mesures envisagées (la montée en charge sera sans doute très progressive mais on ne peut exclure que le surcoût avoisine 1 milliard d'euros à moyen terme), tant sont encore floues les caractéristiques précises de tels dispositifs. Mais l'expérience des carrières longues dans la loi de 2003 et son extension récente avec le décret de juillet 2012, montrent que ces nouveaux droits s'accompagnent généralement de ressources dans le régime de base sans que soit financé, dans les régimes complémentaires, l'effet rebond consistant à servir plus longtemps les points acquis (pour mémoire, le décret de 2012 devrait entraîner pour les régimes AGIRC et ARRCO, un surcoût de près de 1,2 milliard d'euros en 2020).

S'agissant de la durée, le Premier ministre a rappelé qu'elle n'évoluerait pas avant 2020 et il y a une incertitude sur le rythme et l'ampleur d'une augmentation du nombre de trimestres requis pour bénéficier de la retraite sans abattement ; dans l'hypothèse la plus progressive (et la plus probable ?) du rapport MOREAU, la durée d'activité requise passerait progressivement, à partir de 2022, de 168 à 176 trimestres en 2049 pour la génération née en 1989 (qui a aujourd'hui 24 ans) … L'effet rebond serait limité et très progressif et ne permettrait pas aux régimes d'atteindre cette échéance.

Comment les régimes complémentaires vont-ils réagir ?

Une étude rétrospective a montré que si les partenaires sociaux n'avaient pas, depuis 20 ans (depuis les accord ARRCO de 1993), piloté en permanence les régimes, l'AGIRC et l'ARRCO auraient constaté sur la période 1993-2007 un déficit de 92 milliards d'euros alors qu'ils ont engrangé pendant cette période un excédent de 33 milliards, permettant de reconstituer des réserves qui s'élèvent encore aujourd'hui à 53 milliards d'euros (différence notable entre ces réserves et les déficits transférés à la CADES pour le régime de base)

Dès la mi-2012 , en réévaluant les prévisions, compte tenu du retour en récession, les partenaires sociaux ont engagé une négociation qui a abouti à l'accord du 13 mars dernier. Indépendamment des mesures sur les réserves qui devraient encore garantir en 2017 un niveau représentant 60% des allocations annuelles (45 milliards), les dispositions de l'accord permettent de réduire à cette date le déficit du compte de résultat de 3,1 milliards d'euros avec une diminution des charges (sous-indexation des pensions) représentant 2/3 des efforts.

Néanmoins, les organisations syndicales n'ont pas voulu agir sur le levier âge et/ou durée, en soutenant que les régimes étant complémentaires, c'était au législateur, responsable du régime de base, d'actionner ce levier. Si cette réforme ne devrait pas entraîner d'effet rebond positif pour les régimes complémentaires, elle devrait, au contraire, entraîner des charges supplémentaires. Bien plus, les ressources nouvelles affectées au régime de base vont assécher toute possibilité d'affecter de nouvelles ressources aux régimes complémentaires.

Reste pour les partenaires sociaux, s'ils veulent continuer de gérer les régimes, à travailler essentiellement sur deux mesures qui peuvent être moins brutales si elles sont combinées :

  • en gelant la valeur du point pendant X années (l'Allemagne l'a fait pendant 3 ans dès la survenance en 2008 de la crise financière) : avec une prévision d'inflation de 1,5%, le gel rapporte un peu plus d'1 milliard d'euros par an et ces diminutions de charges sont cumulatives si elles s'exercent pendant plusieurs années [ON PARLE ICI UNIQUEMENT DES COMPLEMENTAIRES]
  • ou de reporter l'âge de prise en charge des allocations au-delà de 62 ans à partir de 2019.