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La Caisse de retraite du personnel navigant de l'aviation commerciale : grandeurs et vicissitudes d'une caisse par répartition sectorielle

La CRPNAC est un système unique en France touchant une population minuscule. Elle concerne le personnel des compagnies commerciales, les instructeurs d'aéroclubs et les pilotes d'essais. À sa création, il n'y avait pas de retraités navigants. Les cotisations ont donc été capitalisées et le capital très bien géré (immobilier, actions, etc.), le tout dans une période de grande euphorie pour le transport aérien français et pour l'économie. La Caisse a ainsi pu payer les pensions avec le seul revenu du capital placé jusque dans les années 1980 !

À l'origine il y avait dans un avion cinq navigants techniques (commandant, copilote, mécanicien, radio, navigateur) pour 2 à 3 hôtesses. Extrêmement bien payés à l'époque, les pilotes se sont montrés généreux avec les hôtesses : ils ont donné leur accord pour qu'elles puissent prendre leur retraite à 50 ans, à taux plein après 15 ans de service. Les cotisations ont été progressives en fonction du salaire et le rendement des pensions dégressif, et un complément de retraite (la « majoration », censée payer les cotisations de sécurité sociale) était versé de 50 à 60 ans. Les stewards embauchés par la suite ont pu bénéficier d'une bonne partie de ces avantages.

Les pilotes, qui cotisaient à des taux élevés, touchaient ainsi environ 30% de leur dernier salaire en partant à 60 ans (90% allaient jusqu'à cet âge). Les mécaniciens, les navigateurs et les radios, qui partaient vers 55 ans, environ 40%. Avec les bonifications décrites ci-dessus, le personnel commercial qui partait à 50 ans pouvait espérer 50% du dernier salaire, voire plus.

Si le système a bien fonctionné, c'est parce qu'il était géré par des gens issus d'un petit monde. Chacun était conscient de sa part de responsabilité, et les pilotes ont accepté ces retraites relativement faibles dans le but de pérenniser la caisse… jusqu'à la crise pétrolière de 1974 et l'arrivée simultanée des avions gros porteurs. Les navigants « commerciaux » (PNC) sont progressivement devenus plus nombreux que les navigants « techniques », tandis que la croissance jusque-là exponentielle du transport aérien français s'arrêtait brutalement. Les pilotes se sont rendu compte que leur espérance de retour (le rapport entre les cotisations payées et le total du montant des retraites touchées) était statistiquement proche de 1, tandis que l'espérance de retour du personnel commercial se situait entre 3 et 4.

Or dans les avions modernes, il n'y a plus que 2 pilotes pour 3 à 18 PNC. Par ailleurs de très nombreux PNC font des carrières très courtes (donc avec des salaires bas et une espérance de retour beaucoup plus élevée que la moyenne du fait des bonifications ci-dessus). Ces « carrières courtes » bénéficient d'une espérance de retour de 6 ou 7 fois la mise, l'espérance de vie des très nombreuses femmes ajoutant au déséquilibre.

La CRPNAC allait donc se ruiner en distribuant une infinité de petites pensions à une multitude d'ayants-droits. Les pensions ne pouvaient donc que baisser. Seules solutions : augmenter le taux des cotisations et augmenter l'âge de départ. Mais la compagnie Air France ne voyait pas d'un très bon œil les hôtesses poursuivre après 60 ans, au moment même où le gouvernement de gauche prônait le partage du travail et les embauches (1983). Le gouvernement fit donc voter une loi interdisant aux pilotes de poursuivre après 60 ans !

Une fraction des pilotes prit alors contact avec le syndicat des cadres, la CGC, pour envisager une fusion des deux régimes. La CRPNAC apporterait son argent frais, l'Agirc une espérance de pérennité. L'accueil fut très favorable. Dans l'affaire les pilotes auraient vu leur retraite largement majorée pour un départ à 60 ans, et plus que doublée dans l'hypothèse d'un départ à 65 ans. En revanche les départs à 50 ans et les plus bas salaires étaient pénalisés avec une amputation des retraites pouvant dépasser 50%. La majorité des pilotes ne comprit pas l'intérêt de se voir priver du pactole accumulé, les mécaniciens et les PNC majoritaires refusèrent, et le projet fut enterré.

Une grève des pilotes en 1984 a finalement débloqué la situation : Les cotisations ont légèrement été relevées, le régime des hôtesses s'est aligné sur celui des stewards et des pilotes : il faut désormais avoir 50 ans et 15 années de cotisation pour avoir droit à la retraite, sinon il faut attendre 60 ans. Depuis cette date, le régime se maintient à peu près à l'équilibre par une augmentation régulière de la base et du taux des cotisations. De 1987 à ce jour, les crises boursières sont venues amputer le capital, et les difficultés du transport aérien ont bloqué l'expansion d'Air France, principale entreprise cotisante.

Vers 2007, la loi interdisant aux navigants de poursuivre après 60 ans a été abrogée, donnant ainsi une bouffée d'oxygène à la caisse : 90% des pilotes attendent maintenant 65 ans pour partir. Mais le PNC n'a pas changé ses habitudes. Pire la compagnie lance régulièrement des plans de départs anticipés. Ce qui impacte l'équilibre financier de la CRPNAC. Pour survivre, la caisse a recherché de nouveaux cotisants. Elle les a trouvés dans les pays francophones, principalement au Maroc. Les navigants volontaires peuvent adhérer à la caisse dans les mêmes conditions que les cotisants français. Mais de nouveaux droits s'accumulent dont personne ne sait comment ils seront payés.

Les conclusions à en tirer sont :

  • Même dans les meilleures conditions, (assujettis solidaires, pensions modérées, cotisations élevées) une caisse par répartition ne peut assurer une espérance de retour supérieure à 1 sans croissance économique.
  • Si cette croissance se traduit uniquement par l'augmentation des effectifs, on a affaire à un système pyramidal « à la Madoff » qui nécessite de rechercher éternellement de nouveaux cotisants. Dans ce cas, la dernière génération de cotisants ne peut rien espérer.
  • Le facteur principal, permettant de ne pas dépasser une espérance de retour supérieure à 1, est l'équilibre « durée du travail/durée de la retraite ». Cet équilibre est socialement très difficile à admettre, particulièrement lorsque la population d'ayants-droits comprend une majorité de femmes en raison de leur espérance de vie élevée.
  • La présence d'un capital assurant une rente à la caisse peut permettre un taux de retour supérieur à un, mais il faut dans ce cas accepter qu'en cas de retournement économique le montant des retraites puisse provisoirement ou définitivement baisser.