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FSV : objet de refinancement des retraites mal identifié

La Cour des comptes a rendu son rapport sur l'application de la loi de financement de la Sécurité sociale. Ce rapport souligne la réduction du déficit de la branche vieillesse mais rappelle que le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est accentué. Ce fonds, qui doit prendre en charge les droits non contributifs, autrement dit les éléments de solidarité du système de retraite (chômage, droits familiaux, minimum vieillesse etc.), est à la fois victime de la conjoncture et du nombre croissant de garanties qu'il est censé couvrir. Pour le financer, les gouvernements successifs ont fait le choix de bricoler toujours plus de recettes sans entreprendre une réflexion plus profonde du champ de la solidarité. Une occasion manquée de faire preuve d'efficacité et de pédagogie.

Créé à l'occasion de la réforme des retraites de 1993, ce fonds part de l'idée qu'il faut faire une différence entre les dépenses qui relèvent de l'assurance vieillesse payées par les cotisations et celles qui relèvent de la solidarité nationale et qui doivent être payées par l'impôt. Ce sont ces dépenses que l'on appelle non contributives.

Les dépenses prises en charge par le FSV

Or celles-ci n'ont cessé de croître [1] :
- depuis sa création, le FSV a reçu pour mission d'assurer le refinancement des régimes de retraite (régime général, RSI, MSA) pour la partie des dépenses qu'ils versent pour le minimum vieillesse [2],
- les majorations à pensions pour enfants et conjoints à charge,
- les charges consécutives à la validation gratuite de trimestres pour le chômage que le FSV compense sur une base forfaitaire pour le régime général, les salariés agricoles et les régimes complémentaires depuis 2001.
- depuis 2010, le FSV prend en charge les validations gratuites de trimestres au titre des périodes d'arrêt de travail (maladie, maternité, accidents du travail,… ) servies par la CNAV, le RSI et la MSA,
- et depuis janvier 2011, le FSV prend en charge une partie du minimum contributif [3] dont le gouvernement envisage de relever le plafond de ressources pour en bénéficier.

En milliards d'€19952000200520102012
Dépenses du FSV 9,8 11 14,7 17,6 23,6

En 2012, les dépenses se répartissent comme suit :
- 10 milliards d'euros au titre des validations de périodes de chômage, etc. À elles seules ces prises en charge de cotisation représentent autant que le paiement de prestations.
- 4,5 milliards au titre des majorations de pensions
- 3,1 milliards au titre du minimum vieillesse
- 3,9 milliards au titre du minimum contributif.

Des recettes hétéroclites

Pour assurer ses missions, le FSV dispose de recettes suivantes :
- Une fraction de la CSG
- Une fraction de la C3S
- Une fraction du prélèvement social (partiellement jusqu'en 2010, en totalité depuis 2011)
- De recettes diverses sur les retraites chapeaux

Depuis 2011, s'ajoute : une fraction de la taxe sur les salaires, une fraction du forfait social, le produit de la C3S additionnelle et d'autres produits et recettes diverses (part des redevances de téléphonie mobile, contribution sur les PERCO et sur les produits des fonds en déshérence gérés par la CDC,...)

La CSG qui était la ressource historique et assurait en 2000 encore 87% des ressources ne correspond plus aujourd'hui qu'à 52% des produits :

Structure des recettes du FSV en milliards d'€2012
CSG 10,1
C3S 0,4
Contributions sur les avantages retraites 0,2
Prélèvement social 0,1
Taxe sur les salaires 2
C3S additionnelle 1
Forfait social 0,9
Versements CNAF 4.5
Total19.5

Une tuyauterie parafiscale illisible

Avec 8 taxes affectées, le FSV figure ainsi en bonne place dans la liste des établissements et opérateurs qui s'illustrent par l'empilement de taxes concourant à alimenter leur budget [4].

Pour illustrer la complexité des règles de financement, le FSV dans son dernier rapport d'activité indique que la C3S constitue une ressource d'équilibre des régimes de base d'assurance maladie et d'assurance vieillesse du régime social des indépendants (RSI). De ce fait, la part de la C3S dont peut bénéficier le FSV est tributaire des résultats de ces régimes avant affectation de C3S. En 2011, la réduction des déficits des branches maladie et vieillesse du RSI avait permis à la fois de financer le régime agricole et d'augmenter le montant net de C3S affecté au FSV. En 2012, la C3S affectée au FSV a au contraire diminué.

[(Dernière minute : Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale vient encore d'en rajouter une couche :

"la contribution de 0,3 % sur les pensions des retraités au titre de l'autonomie (Casa) créée en 2012 et destinée à renflouer le trou de la sécu en 2013, avant de financer la perte d'autonomie en 2014, n'abondera pas la Caisse nationale de solidarité pour l'auto­nomie, mais le Fonds de solidarité vieillesse (FSV)" - Le Figaro 02/10/2013 )]

Par ailleurs, il faut savoir que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu une reprise par la CADES des déficits programmés de la branche vieillesse du régime général et du FSV jusqu'en 2018, dans la limite de 68Mds € au total et de 10 Mds € par an. Le déficit cumulé CNAV+FSV étant estimé pour 2013 à 6 milliards, le gouvernement a jugé que la CADES pourrait également reprendre une partie du déficit de la CNAMTS et de la CNAF. Un montage précaire avec la crise qui dure et qui pourrait faire déraper à nouveau les déficits. La dette de la CADES de 137,5 milliards d'euros à amortir n'est donc pas encore prête de s'éteindre.

La place des mécanismes de solidarité dans le système de retraites

Le rapport Moreau citant les travaux du COR considère que grâce à ces prises en charge, le système de retraite a atteint un niveau acceptable de solidarité : "le XIIe rapport du COR souligne que pris dans leur ensemble, les dispositifs de solidarité jouent globalement dans le sens d'une nette réduction des inégalités et qu'au total, le système de retraite opère bien une redistribution qui contribue à réduire les inégalités entre retraités et pallier en grande partie les ruptures professionnelles." Mais le rapport souligne au passage que notre système fait plutôt l'objet d'une demande accrue d'équité entre les règles qui régissent les différents régimes.

Pourtant les chiffres du dernier rapport de la Cour des comptes sont sans appel : le FSV et le déficit de la branche vieillesse du régime général représentent à eux deux la moitié du déficit de la Sécurité sociale (17,4) soulignant l'urgence absolue d'agir [5]. Et c'est aussi parce que le gouvernement prévoit qu'un tiers des 20 milliards de déficit des seuls régimes de retraites en 2020 proviendra de la CNAV et du FSV qu'il a lancé la réforme qui sera bientôt discutée au Parlement.

Déficit en Md€201020112012
Branche vieillesse -8.9 -6.0 -4.8
FSV -4.1 -3.4 -4.1
Source : Rapport de la Cour des comptes sur l'application de la loi de financement de la Sécurité sociale

Pour les partisans du financement par les cotisations sociales des mesures de solidarité, c'est le principe même de la répartition que de prévoir des mesures de redistribution. Car sortir le non-contributif des systèmes de retraites à la manière dont l'ont fait les Suédois revient à renforcer l'idée que chacun cotise pour sa future retraite et non pour payer la retraite des actuels pensionnés.

Mais le système actuel en France n'est pas clair : tantôt financé par des impôts, tantôt financé par des contributions sociales ou par d'autres branches de la Sécurité sociale, voire par de la dette sociale. Finalement cette organisation ne fait pas œuvre de pédagogie :

  • Ainsi s'agissant des majorations de pension pour 3 enfants, celle-ci a été partiellement financée puis en totalité au point aujourd'hui de mettre la branche famille en déficit : ce report en cascade des déficits (CNAV puis FSV puis CNAF) contraste avec les mesures douloureuses mais nécessaires mises en œuvre par les retraites complémentaires. Celles-ci ont décidé en mars 2011 de plafonner ces avantages à 1000 euros par an pour les bénéficiaires. Aujourd'hui, le gouvernement entend limiter l'augmentation des coûts qu'entraîne cette mesure d'autant plus que bénéficiant aux deux parents, elle ne réduit pas par définition l'écart de pension hommes/femmes et augmente progressivement avec la pension. Mais même là, la solution retenue (la fiscalisation prévue avec le PLF 2014 de la majoration des 10% pour 3 enfants qui devrait rapporter 1,3 milliard aux caisses de l'État) paraît encore trop détournée…
  • Le coût de la validation des périodes de chômage dont on a vu qu'il représente 50% des dépenses du FSV est financé notamment au moyen de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S, C3S additionnelle) et de la taxe sur les salaires, ce qui va à l'encontre des recommandations de tous les rapports qui préconisent de limiter ces taxes sur la production qui pénalisent les entreprises sans appréciation du résultat : en effet quel est la logique à alourdir la charge fiscale sur les entreprises pour financer la validation de périodes de chômage tout en mettant en place le CICE ? jusqu'où cette logique est-elle tenable ?
  • Le minimum vieillesse est typiquement une dépense non contributive qui doit être payée par l'impôt mais dans ce cas quelle logique pousse à l'inclure dans un dispositif relevant du système de retraites plutôt que de le gérer comme une allocation au même titre que la pauvreté ? Ajoutant au passage à la complexité du système.
  • La réversion qui est une forme de solidarité vis-à-vis des conjoints survivants est aussi une mesure non contributive (30 milliards d'euros tous régimes non financée par le FSV) puisqu'elle ne fait l'objet d'aucune majoration de cotisation. Certains pays ont renoncé à cette solidarité en introduisant une surcotisation pour financer une part variable de pension de réversion.

Notre système de retraites doit clairement identifier le coût des mesures non contributives et leur financement. Et surtout se demander jusqu'où doit s'étendre la solidarité en matière de retraites alors même que l'on constate son déficit croissant. La réforme en préparation prévoit pourtant d'étendre encore le périmètre de la solidarité : à compter du 1er janvier 2015 les périodes de stage et de formations professionnelles pourraient être validées dans les mêmes conditions que les périodes de chômage.

[(L'exemple suédois :

En Suède, comme l'expliquent les sénateurs Alain Vasselle et Bernard Cazeau auteurs d'un rapport sur les leçons du modèle suédois [6] une clarification a été opérée en même temps que la réforme des retraites et la mise en place des comptes notionnels. Les Suédois ont alors fait le choix d'un système de retraite essentiellement contributif : ils ont ainsi « sorti » du système les droits non contributifs comme les périodes d'invalidité, de maladie ou les avantages familiaux et même l'assurance veuvage, autrement dit les pensions de réversion. Les droits non contributifs, correspondant en moyenne à 15 % des prestations versées, sont dorénavant financés par le budget de l'Etat. En effet, certaines allocations donnent lieu au versement par l'Agence de Sécurité sociale d'une cotisation de retraite pour le compte des assurés, équivalente à celle d'un employeur. D'autres droits de retraite comme la prise en compte des périodes d'éducation des enfants sont calculés en fonction d'un revenu fictif. En moyenne, un cinquième des droits à retraite accordés aux femmes provient de contributions publiques ; cette part n'est que de 12 % pour les hommes. Il existe donc une importante redistribution des hommes vers les femmes.)]

[1] Voir rapport d'activité du FSV 2012.

[2] Allocation destinée aux personnes âgées disposant de faibles revenus, en vue de leur assurer un niveau minimum de ressources.

[3] Allocation versée à ceux qui ont cotisé sur des revenus modestes et qui ont liquidé leur retraite à taux plein, leur pension ne peut être inférieure à un minimum.

[4] Voir rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur les taxes affectées, juillet 2013. La CNAMTS étant en tête avec 22 taxes différentes alimentant son budget, en plus des cotisations...

[5] Les scénarios très optimistes du COR qui prévoient un retour à l'équilibre du FSV dès 2017/2018 risquent d'être démentis si le chômage continue sur sa lancée.

[6] Rapport d'information n°377 sur la protection sociale et la réforme des retraites en Suède, juillet 2007.