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Économies d’énergie : un rendement décroissant

Pour tenir leurs promesses prises à la COP21, le gouvernement et le parlement français précédents ont décidé que notre consommation finale d’énergie serait deux fois plus faible en 2050 qu’en 2012. Cet engagement N°2, commode pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO₂, correspond à une baisse moyenne de 2% de la consommation d’énergie par an pendant 38 ans. Sur le début de la période, de 2012 à 2017, elle n’a été que de 0,4% par an. Les premières mesures d’économie étant les plus rentables :

  • L’objectif de réduction de 50% de la consommation d’énergie en 2050 est-il crédible ?
  • Quel risque peut-on raisonnablement prendre sur la capacité de production électrique ?
  • Cet engagement N°2 doit-il être rangé par Nicolas Hulot au rayon des « mensonges » comme il l’a fait en novembre 2017 pour l’engagement N°1 : réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité, de 75% en 2012 à 50 % en 2025 ? 

Indépendamment de la question du réchauffement climatique, une baisse de la consommation d’énergie serait positive pour notre pays, surtout s’il s’agissait de charbon, pétrole, gaz ou électricité importés. Mais à condition que cela ne prive pas les Français des commodités et des opportunités auxquelles ils aspirent légitimement. Et sous réserve, notamment, que le coût des énergies soit compétitif. Réduire notre consommation d’énergie en pénalisant l’activité en France et en accroissant nos importations, serait perdant-perdant.

Consommation finale d’énergie par secteur en méga tonnes d’équivalent pétrole[1]

2016

Résidentiel
Tertiaire

Transport

Industrie

Agriculture

Usage non énergétique

Total

Mtep

67,0

49,4

28,4

4,5

12,9

162,2

%

41,3%

30,5%

17,5%

2,8%

8,0%

100,0%

Pour les ménages, la part de l’énergie dans leur budget est de 8 à 9%, relativement stable depuis 60 ans, avec des écarts sensibles au moment des crises pétrolières. Ces dépenses se partagent plus ou moins à égalité entre logement et déplacement.    

Qu’ils résultent des évolutions économiques, techniques ou sociologiques, ou de l’action des gouvernements,  de multiples facteurs influent sur la consommation finale d’énergie, à la baisse et à la hausse.

Facteurs favorables à une baisse de la consommation

Pour réduire la consommation d’énergie, le cas idéal est celui d’un saut technologique, à condition qu’il n’entraine pas de surcoûts importants, auquel cas un calcul de rentabilité est nécessaire.

Exemples de sauts technologiques

 

Ampoules LED

Plaque à induction

Pompe à chaleur

Lessive basse température

Batteries (voiture électrique)

Baisse de le consommation

66 %

33 %

66 %

50 %

66 %

Coût actuel

élevé

neutre

élevé

neutre

élevé

Note : la voiture 100% électrique étant très ancienne ne constitue pas un saut technologique, mais des batteries révolutionnaires constitueraient un progrès décisif quand elles seront de grande capacité, à un coût acceptable, rechargeables rapidement et de nombreuses fois sans dégradation importante de leurs performances. 

D’autres sauts technologiques positifs à venir sont probables, mais dans de nombreux secteurs, les baisses de consommation correspondent à des améliorations techniques progressives, qui se développent depuis longtemps et dont le rendement est souvent décroissant. Après une première période d’augmentation des rendements, on obtient des périodes de grande efficacité obtenue par la diffusion massive des technologies les plus prometteuses, puis on atteint progressivement les limites des phénomènes physiques et la courbe s’aplatit. Les analyses des statistiques européennes du site géopolitique de l’électricité semblent confirmer cette inflexion. C’est le cas des appareils ménagers, et celui de l’isolation des bâtiments où une fois les cas les plus rentables traités, les suivants le sont de moins en moins.

 

Electroménager

Automobile
essence

Equipements

industriels

Baisse de le consommation

Lente

Lente

Lente

Lente : 0,5% d’amélioration par an de 2018 à 2050

 Dans l’industrie, les efforts d’économie d’énergie ont été rationnels et massifs dès la crise pétrolière de 1974 et se sont poursuivis depuis. Les fortes réductions de consommation des années 2000-2015 ont correspondu en France à des baisses et des délocalisations de production plus qu’au résultat de progrès technologiques bénéfiques. La reprise brutale de la consommation d’électricité en 2017 par l’industrie le confirme

(diagramme RTE à gauche).

Dans le secteur du transport automobile, les baisses de consommation ont été régulières mais très surestimées par les protocoles officiels de mesure. Les annonces gouvernementales comme celle de 2012 intitulée « L’auto à 2 litres aux 100 km en 2022 » entretiennent des attentes irréalistes. D’après le GFEI (Global Economy Fuel Initiative), la baisse de la consommation de carburant des voitures neuves est passée en 10 ans (2005-2015) de 1,8 à 0,5% par an dans les pays de l’OCDE. Des contraintes trop strictes sur les constructeurs aboutissent à des surcoûts considérables pour les clients (GFEI : 1.500$ pour 1%) ou au risque de fraude. En France, depuis le 1er janvier 2017 les livraisons de produits pétroliers, sont en hausse de 1% par rapport à la même période 2016. De son côté, la disparition des véhicules diesel provoquerait une augmentation de 10 à 20% de la consommation de carburant automobile en France.  

Pour les logements, l’isolation est la méthode d’économie d’énergie la plus fréquente, bien adaptée aux logements neufs. Pour les logements anciens, l’isolation est souhaitable pour le confort des habitants, mais est très rarement rentable[2], sachant que les Français dépensent environ 1.200 euros par an de chauffage pour un logement moyen de 70 M2. Les pompes à chaleur sont très efficaces mais avec des coûts d’installation élevés et des performances variables selon les cas (mode de chauffage existant, climat). Elles doivent en principe être entretenues chaque année, demandent parfois un chauffage d’appoint, sont un peu bruyantes et sont peu applicables dans les immeubles anciens (emplacement, module extérieur). De nouvelles générations de pompes à chaleur sont régulièrement proposées de plus en plus performantes. La possibilité de réversibilité apporte un confort supplémentaire mais sans générer d’économies d’énergie pour les logements qui ne sont pas et ne seraient climatisés autrement. 

Isolation

Économie sur les 1.200 euros

Amortissement

10.000 euros

10 à 15%

120 à 180 euros par an

55 à 83 ans

50.000 euros

40 à 60%

480 à 720 euros par an

69 à 104 ans

Pompe à chaleur

Économie

Amortissement

8.000 euros

40 à 60%

480 à 720 euros par an

11 à 21 ans

Notes : 1) l’amortissement est calculé ici hors taux d’intérêt et coût d’entretien, 2) de nombreuses « passoires thermiques » présentent d’autres sérieux inconvénients (ex. localisation, architecture, isolation phonique) et seront détruites bien avant la durée d’amortissement.   

Le projet du gouvernement de dépenser 14 milliards sur cinq ans à la rénovation énergétique des bâtiments est à la fois considérable et avec des effets limités. L’objectif de 1,4 millions de logements rénovés correspond à une dépense moyenne de 10.000 euros par logement. En réduisant de 15% la consommation d’énergie de 5% des logements, la consommation d’énergie liée au logement baissera de moins de 1%. La grande majorité des logements chauffés à l’électricité sont déjà bien isolés. Et pour beaucoup de « pavillons passoires », la solution qui associe au mieux économie et écologie consiste à isoler raisonnablement et à investir dans une pompe à chaleur fonctionnant à l’électricité.

Facteurs favorables à une hausse de la consommation

Les causes d’augmentation de la consommation d’énergie sont soit automatiques, fonction par exemple de l’augmentation de la population, soit sociétales reflétant le souhait de chaque personne de bénéficier d’un mode de vie qu’elle estime plus satisfaisant.

Facteurs d’augmentation

Causes

Augmentation de la population de 0,5% par an

Natalité, immigration, longévité

Augmentation de la surface des logements par personne de 0,5% par an

Résorption de la suroccupation, décohabitation précoce des jeunes, séparations des couples, gardes alternées, souhait de confort, augmentation du niveau de vie.

Équipements électroniques

Télévisions, ordinateurs, téléphones, box internet, consoles de jeux

Développement des Data center

Utilisation d’Internet

Climatisation des bureaux, des logements, des établissements publics (ex. hôpitaux, maisons de retraite, ministères, mairies, conseils départementaux et régionaux)

Choix de confort et de santé

Piscines publiques et privées (2 millions)

Tendance cocooning

Préférence d’une partie de la population pour les maisons individuelles

Choix personnel

Effet rebond (télévision, chauffage, éclairage…)

Les personnes augmentent leur confort et leur consommation quand les prix baissent

Voyages, activités sportives, culturelles, sociales

Augmentation du niveau de vie

A titre d’exemple des choix personnels, l’affichage moyen de la consommation des lave-linge est descendu à 170KWh/an, mais les industriels proposent des machines capables de laver et de sécher le linge. Une facilité considérée comme très utile par une partie des ménages, notamment en immeuble collectif. De même, le poids moyen des voitures augmente malgré les optimisations réalisations des constructeurs, en raison des nouveaux équipements plébiscités par les acheteurs (écrans, climatisation, aides à la conduite, sécurité). Croire que l’ardente exhortation du politique pourrait infléchir davantage les tendances actuelles relève de l’illusion.

Le risque électrique est inacceptable

Vu le très grand nombre de facteurs, il est difficile de faire la balance entre plus et moins de consommation d’énergie à long terme. Il est souhaitable qu’une ou des révolutions techniques majeures permettent de baisser la consommation d’énergie « sans inconvénient » ou fournisse une énergie abondante « sans défaut ». Mais la prudence impose de conserver toutes les options ouvertes, et notamment celle d’une augmentation modérée de la consommation d’énergie.

Avec les multiples gisements découverts récemment, notre approvisionnement en gaz et pétrole serait assuré pendant des dizaines d’années sur le marché mondial, même en cas de sous-estimation initiale de nos besoins. Une sécurité confortée par des capacités de stockage et de transport-distribution du gaz et des produits pétroliers très importantes en France.

Dans le secteur électrique au contraire, la précaution est impérative, aucun nouveau moyen de stockage massif et performant n’étant opérationnel. Une réduction autoritaire de nos moyens de production résultant d’une programmation pluriannuelle de l’énergie, sous-estimant nos besoins afin d’atteindre au plus vite 50% de nucléaire, serait catastrophique dans une société de plus en plus "toute électrique". Elle compromettrait gravement une reprise industrielle bien nécessaire, faisant appel de  plus appel aux robots et objets connectés.

Pays étrangers

L’évolution de la consommation d’énergie dans les pays étrangers (Royaume-Uni et Allemagne, diagrammes ci-dessous) confirme qu’aucune baisse de la consommation finale d’énergie, corrigée des conditions climatiques, ne s’est produite après celle liée à la crise de 2008.

Conclusion

Faute de rupture technologique forte en vue dans le secteur de l’énergie et compte tenu des investissements importants réalisés en France ces dernières années dans les économies d’énergie, la seule référence fiable est la poursuite de la tendance historique : 1) une augmentation probable de la consommation d’énergie en France dans les trois décennies à venir, et 2) une augmentation certaine de la consommation d’électricité sur la même période. Ceci dans notre hypothèse d’une amélioration du niveau de vie souhaité par la quasi-totalité de la population : croissance du PIB par personne de 2% par an, baisse du taux de chômage à 5%. Les chiffres de 2017 crédibilisent cette tendance : malgré une croissance du PIB de seulement  1,5% par personne et un chômage de plus de 9%, on constate une augmentation de la consommation d’électricité (+0,1 % après correction liée au climat) et de carburants (+0,5% avant correction liée au climlat), la consommation finale d’énergie étant probablement restée quasi stable.  

Un choix clé

Faut-il dépenser 14 milliards en isolation,
ou 4 en isolation et 10 de plus en recherche dans nos universités ?

En pratique, les ruptures technologiques ne se produiront que si la recherche est privilégiée à la place d’investissements non rentables dans le déploiement des centrales éoliennes et solaires actuelles. Des progrès décisifs dans la production et le stockage de l’énergie (ex. nucléaire d’avenir, batteries, solaire, fusion, biomasse, pile à combustible à hydrogène) et dans la capture du CO₂ sont beaucoup plus atteignables que dans la consommation d’énergie (ex. isolation). C’est dans le secteur de la production qu’il faut investir, tout en gardant plusieurs hypothèses de consommation ouvertes et sans réduire la production efficace d’électricité.  


[1] 2012 : 166,4 Mtep ; 2016 : 162,2 Mtep. En 2017, la consommation est estimée par l’iFRAP à 163,0 Mtep, correspondant à une baisse de 0,4% par an sur 5 ans (les données officielles 2017 ne seront disponibles qu’en juin 2018).

[2] Le fait que ces travaux puissent être subventionnés par l’État ne les rend pas économiquement plus rentables pour la société.

Réactions

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Sujet : Energie
Commentaire : Tout à fait pertinent. Nous sommes gavés de fausses évidences et de raisonnements simplistes.

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Sujet : économies d'énergie.
Commentaire : Le seul moyen de stockage efficace de l'électricité semble être actuellement l'électrolyse de l'eau, qui donnera du dioxygène et du dihydrogène. Le dihydrogène stocké pourra être utilisé soit comme carburant de piles ou de moteurs a hydrogènes (véhicules) soit par électrolyse inverse a re fabriquer de l'électricité.

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Sujet : C'est par le progrès technique des machines qu'on économise
Commentaire : Dans l'habitat, les économies théoriques ne sont jamais atteintes car une partie significative est absorbée par l'augmentation du confort et le changement des habitudes; par exemple après isolation, on se chauffe mieux quand il fait très froid et après achat d'ampoules à LED, on ne prends plus la peine d'éteindre la lumière en sortant de la pièce!
Techniquement les seules vraies économies dans le chauffage ou le transport sont celle qui résultent de l'amélioration du rendement des machines productrices (hausse des températures des cycles des génératrices thermiques, génératrices à cycle combiné...) et des machines consommatrices,(pompes à chaleur et chaudières à condensation pour le chauffage et amélioration du rendement des moteurs pour le transport..)

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Sujet : Votre article est bien venu
Commentaire : Cet article expose avec précision l'évolution des consommations énergétiques. Il montre les erreurs des propagandes gouvernementales depuis une vingtaine d'années, quand ce ne sont pas tout simplement des mensonges. Une remarque sur le stockage : il faut mentionner les doubles réservoirs dans les zones montagneuses, qui marchent bien malgré un rendement faible.

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Sujet : économies d'énergie et politiques publiques
Commentaire : Bravo pour cet article factuel qui nous éloigne des mythes écolo-politiques. Et il ne faut pas oublier les effets pervers des évolutions vantées. Par exemple il est ahurissant de vouloir généraliser la voiture électrique en fermant les centrales nucléaires et sans prendre en compte la pollution causée par les batteries usagées, non résolues à ce jour. Les lendemains risquent d'être difficiles, d'autant plus que l'on ne s'attaque toujours pas à la dépense publique.

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Sujet : Economies d'énergie
Commentaire : Vous avez raison :le progrès technique n'est pas synonyme de baisse des consommations, loin de là. Et finalement le seul moyen réellement efficace de faire baisser nos consommations est d'augmenter les coûts de fourniture: il faut bien dépenser quasiment tout ce que nous gagnons! Donc ne reste qu'à arbitrer entre dépenses diverses.
Le discours gouvernemental sur cette baisse de consommation énergétique globale est donc un vœux non raisonné.
A ma connaissance le rendement des installations de pompage turbinage entre deux réservoirs hydrauliques, est bon

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Sujet : connivence ?
Commentaire : Les auteurs étant des purs produits de l'élite planificatrice française, je ne vois pas trop ce qu'ils viennent faire sur le site de l'IFRAP...

On pourra se référer au rapport de Goldman Sachs "The Low Carbon Economy" pour une vision moins teinté par l'idéologie planificatrice française (et pour plus de détail le Rocky Mountain Institute qui publie régulièrement des exemples où le secteur privé montre que l'ensemble de ce qui est écrit dans cette turbine est absolument faux). Ce n'est pas la recherche et les grands plans qui marchent mais le déploiement à grande échelle et la concurrence qui permet la consolidation autour des offres les plus compétitive et la baisse des prix.

Le principal problème étant que ces offres compétitives (y compris sur le financement) sont souvent le fait d'entreprises étrangères et que la connivence qui existe entre hauts fonctionnaires et dirigeants des grandes entreprises françaises fait que des barrières administratives sont mis en place pour garder le marché français captif.

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