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Libéralisation des autocars = fin du monopole SNCF ?

Après le fret ferroviaire, le transport international de voyageurs, et, peut-être les TER au printemps prochain, voici un nouveau marché qui est en train de s'ouvrir à la concurrence : le transport interrégional par autocars. Vous pensiez, qu'à l'image des compagnies d'autocars américaines type Greyhound immortalisées par le cinéma américain, les autocars en France pouvaient librement exploiter des liaisons inter-régionales, voire nationales ? Pas du tout !

La loi d'orientation des transports intérieurs de 1982 qui encadre les activités de transport en France et scelle le monopole de la SNCF (enfin ce qu'il en reste), désigne très précisément les conditions dans lesquelles pouvaient être exploitées des lignes de transport routier de voyageurs. Si l'exploitation de lignes d'autocars n'était pas jusqu'à présent interdite en tant que telle, elle était soumise à une autorisation préalable de l'autorité organisatrice des transports (État pour des liaisons nationales, région pour des liaisons régionales, etc.) mais aussi de la SNCF. Et l'autorisation devait « prendre en compte les conséquences possibles du service projeté sur l'équilibre des dessertes ferroviaires de la SNCF ». En pratique, la SNCF bloquait toute possibilité de développement de lignes d'autocars en France.

La Fédération nationale des transports de voyageurs s'en était d'ailleurs ouvertement plaint, regrettant que le transport en autocars (hors transport urbain) soit cantonné au transport scolaire ou au transport touristique. « À la FNTV, nous n'avons cessé de rappeler le paradoxe qu'il y a à disposer d'infrastructures routières et autoroutières de grande qualité sans en même temps miser sur le transport routier de voyageurs pour des liaisons régulières express nationales. »

C'est une réglementation européenne qui semble encore une fois avoir accéléré les choses : un règlement européen d'octobre 2009 a établi des règles communes pour l'accès au marché international des services de transport par autocars et autobus. Et dans ce cadre, ont été précisées les conditions de cabotage c'est-à-dire la prise en charge et la dépose de voyageurs dans un même État membre au cours d'un service régulier international, « pour autant que ladite prise en charge et dépose ne constitue pas l'objet principal de ce service ».

Traduit en droit français, cela a donné un décret en novembre 2010 qui définit la procédure d'autorisation de « dessertes régulières intérieures d'intérêt national » en autocars : les entreprises de transport public routier de voyageurs domiciliées en France ou dans un état membre de l'Union européenne qui exploitent un service régulier de transport routier international de voyageurs peuvent ainsi être autorisées à condition que l'objet principal du service réalisé soit constitué par l'exploitation de la ligne régulière internationale et que l'exploitation de ces dessertes ne porte pas atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public de transport de personnes.

Aussitôt retranscrit en droit français, cette opportunité s'est traduite par le développement d'un nouveau marché : Eurolines vient en effet d'annoncer l'ouverture prochaine de plus de 500 liaisons par autocars de région à région en France. Eurolines était jusqu'alors surtout connue pour ses liaisons internationales bon marché en autocars vers de nombreuses capitales européennes. La société, filiale de Véolia, a déclaré "Notre objectif est de fixer des tarifs inférieurs de 50% à ceux des billets standard de la SNCF" et précisé "Nous proposerons chaque semaine 2.000 places pour ces transports interrégionaux, sur les 40.000 dont nous disposons" et que les places proviendront des invendus alors que la compagnie connaît déjà un taux de remplissage oscillant entre 60 et 70%. On parle déjà de liaisons Paris/Tours/Bordeaux, Paris/Valenciennes/Lille, Grenoble/Lille, Toulouse/Lyon.

Cette brèche constitue une ouverture attendue et ce à plusieurs titres. D'abord pour le client. Dans un rapport d'Hervé Mariton au nom de la Commission des finances de l'Assemblée nationale de 2007, le député de la Drôme avait indiqué que le transport en autocars pouvait être une alternative positive pour le consommateur aux lignes ferroviaires sous-fréquentées, qu'elles soient régionales ou nationales, rappelant que le tarif kilométrique de la SNCF varie de 9 à 15 cts d'€ alors que le tarif kilométrique d'Eurolines est de 6 à 7 cts d'€.

Idem pour le contribuable : dans un rapport de 2008 consacré au système ferroviaire français, la Cour des comptes avait souligné : « Lorsqu'une ligne est parcourue par moins de 20 trains de voyageurs par jour avec le taux d'occupation moyen du réseau régional, il est préférable de fermer cette liaison ferroviaire et de la remplacer par un service d'autocars. » Or la politique de développement des TER par les Régions depuis 2000, date à laquelle elles s'en sont vu confier la responsabilité, représente chaque année 3 milliards d'euros de subventions. Les économies qui pourraient être tirées du transfert de liaisons régionales ou interrégionales sous-fréquentées sur des lignes d'autocars pourraient donc représenter de substantielles économies.

Enfin d'un point de vue, écologique, un rapport de l'ADEME a mis en avant un bénéfice écologique supérieur des autocars sur les TER dans le cadre de liaisons régionales, et équivalent aux trains dans le cadre de liaisons interrégionales, dans la mesure où le taux d'occupation est supérieur.

Source : ADEME

Le bilan global de cette nouvelle étape dans la libéralisation des transports de voyageurs pourrait donc se révéler positif à plusieurs égards et justifier d'aller plus loin pour les autocars, à savoir autoriser toutes lignes nationales régulières en concurrence directe avec la SNCF (Paris/Lyon par exemple) ou non (Lille/Metz par exemple), s'il s'avère qu'il y a des marchés et des clients !