Le budget 2023 vient d’être adopté dans un contexte économique et politique particulièrement troublé. L’ensemble des dispositions du projet de loi de finances (PLF) et projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) ayant été adoptées par recours à l’article 49-3, il y a un fort risque de ne pas avoir de cadre budgétaire pluriannuel valide (loi de programmation des finances publiques) car le Gouvernement a annoncé qu’il n’utiliserait pas cette procédure en dehors des lois de finances afin de le réserver à la réforme des retraites présentée en janvier 2023.

Par ailleurs, la conjoncture économique s’assombrit : le FMI a dégradé la croissance française à 0,7 % pour 2023 contre 1 % pour le Gouvernement. L’Agence Standard & Poor’s a mis la note de la France sous surveillance négative et anticipe une croissance encore plus dégradée à 0,2 % et un déficit public de -5,4 % du PIB pour 2023, tout comme la Banque de France et le FMI, bien au-delà des -5 % affichés par l’exécutif. D’ailleurs, sur le dernier quinquennat, les dépenses publiques ont dérapé par rapport à leur niveau de budgétisation initiale de près de 43,7 milliards € par an, (21,8 milliards hors crise). Le risque serait d’avoir un solde public désormais continûment au-dessous des -5 % du PIB et un endettement public qui pourrait dépasser les 112 % dès 2024.

Or nous en prenons le chemin étant donné le manque d’efforts budgétaires réalisés à l’occasion du vote du budget 2023 :

  • Les prélèvements obligatoires augmenteraient de +45,7 milliards € en 2023 par rapport à 2022 ;
  • Et la politique du chéquier ferait grossir les dépenses publiques de +49 milliards € ;
  • Le déficit public se creuserait de +5,7 milliards € supplémentaires ;
  • Fait inédit, le déficit budgétaire pour 2023 de l’État s’est creusé de 6,4 milliards € pendant la discussion budgétaire (+20,4 milliards € de hausses de dépenses, +14 milliards de hausses de recettes) ;
  • L’endettement public augmenterait de +124 milliards € atteignant les 3 072 milliards € (111,2 % du PIB) et serait impacté à la hausse par la fragilité du solde public (112,6 % si la croissance est de 0 %, 113,1 % si elle est de -0,5 % d’après nos calculs), d’autant que notre estimation du plan de sobriété décidé par le Gouvernement pourrait avoir un impact de 0,9 point de PIB pour la seule année 2023.
  • Le retrait du « contrat de confiance » proposé aux collectivités territoriales les soustrait à l’effort collectif de redressement des comptes publics : cela augure des risques de dérive en matière de budgets annexes et d’investissement ;
  • Enfin des incertitudes existent sur les dépenses de Sécurité sociale : des risques de dérapage liés à la conjoncture et à des sous-budgétisations pourraient faire dériver les comptes de 10 à 15 milliards €.

Rétrospective sur les quinquennats précédents et prévisions pour 2023

Écarts entre la prévision (PLF) et l’exécution des lois de finances (en milliards €)

Quinquennat de Nicolas Sarkozy

 

2008

2009

2010

2011

2012

Écarts cumulés

Moyenne an

Moyenne/

an hors crise

Écart au solde public exécuté en milliards € (C)=(B-A)

-20,5

-84,4

30

15,1

10,9

-70,6

-14,1

22,6

Dont contribution de l’écart en dépenses (A)

43,1

48,2

25,4

33,4

29,4

179,5

35,9

29,4

Dont contribution de l’écart en recettes (B)

22,6

-36,2

55,5

48,5

18,5

108,8

21,8

52

Quinquennat de François Hollande

 

2013

2014

2015

2016

2017

Écarts cumulés

Moyenne an

Moyenne/

an hors crise

Écart au solde public exécuté en milliards € (C)=(B-A)

-23,8

-7,9

14

-9,8

-5,9

-33,4

-6,7

-2,4

Dont contribution de l’écart en dépenses (A)

35,6

29,7

-6,6

6,7

18,5

10,4

16,8

12,1

Dont contribution de l’écart en recettes (B)

11,8

21,8

7,4

-3

12,7

50,7

10,1

9,7

Premier quinquennat d’Emmanuel Macron

 

2018

2019

2020

2021

2022

Écarts cumulés

Moyenne an

Moyenne/

an hors crise

Écart au solde public exécuté en milliards € (C)=(B-A)

7

-6,9

-151,1

-1,2

-5,2

-157,5

-31,5

-0,4

Dont contribution de l’écart en dépenses (A)

10,4

4,9

69,9

50,1

83,1

218,3

43,7

21,8

Dont contribution de l’écart en recettes (B)

17,3

-2

-81,2

48,9

77,9

60,8

12,2

21,4

Effet d’un retournement de conjoncture

 

PLF2023 1 %
de croissance

2023 si 0 %
de croissance

2023 si -0,5 %
de croissance

Prélèvements obligatoires

44,6

44,6

44,6

Dépenses publiques

57,2

57,7

57,9

Solde public

-5

-5,6

-5,8

Dette publique

111,2

112,6

113,1

Solde commercial (en % du PIB)

-3,2

-3,6

-3,6

Variation de l’emploi en milliers

210

-59

-208

Chômage

7,2 %

7,7 %

8 %

Finances publiques 2023 : les chiffres clés

Prélèvements obligatoires 2023, +45,7 milliards € par rapport à 2022

Après un taux de prélèvements obligatoires (PO) maximum en 2022 de 45,2 % du PIB hors crédits d’impôts (45,9 % du PIB brut des crédits), les prélèvements obligatoires baisseraient faiblement de seulement 0,2 point de PIB entre 2022 et 2023, soit une augmentation de 45,7 milliards environ en valeur pour un taux de 44,9 % du PIB en 2023 d’après le PLF.

Prélèvements obligatoires, +45,7 milliards € entre 2022 et 2023

 

2019

2020

2021

2022*

2023 LFI

Var. 2022-23 (écart PLFR2 2022-LFI 2023)

Total des recettes brutes des C.I. % PIB

52,3

52,5

52,6

53,3

52,5

-0,8

Total des recettes brutes des C.I. en milliards €

1 274,6

1 213,1

1 313,4

1 407,8

1 450,4

+42,6

Prélèvements obligatoires bruts des C.I. pt PIB

45,3

45,9

45,2

45,9

45,5

-0,4

Prélèvements obligatoires bruts des C.I. milliards €

1 104,2

1 060,5

1 130,4

1 213,5

1 257,2

+43,7

Prélèvements obligatoires hors C.I. pt PIB

43,8

44,4

44,3

45,2

44,9

-0,3

Prélèvements obligatoires hors C.I. milliards €

1 068,6

1 026

1 107,7

1 194,9

1 240,6

+45,7

Source : RESF 2023, PLFR (2) 2022 pour 2022. C.I. crédits d’impôts.
*Actualisation liée au second collectif budgétaire de décembre 2022 (PLFR 2)

Cette faible baisse s’expliquerait par la volonté de stabilité fiscale revendiquée par l’exécutif qui se traduirait en pratique par la poursuite de mesures discrétionnaires de -4,9 milliards € entre 2022 et 2023 dont la baisse partielle de CVAE (-4 milliards €), la suppression de la dernière tranche de la taxe d’habitation (-2,8 milliards) ou le bouclier tarifaire TICFE (-2,1 milliards), compensées par des hausses pour 6,2 milliards dont 5,6 milliards de suppressions du CICE.

Toutefois malgré cette baisse, l’augmentation des prélèvements obligatoires serait importante en valeur avec +45,7 milliards € nets de crédits d’impôts entre 2022 et 2023. Et près de 6,4 milliards € de hausse des recettes fiscales entre le PLF 2023 et la loi votée (LFI), suite aux mesures décidées lors de la discussion parlementaire.

Les dépenses publiques victimes de la « politique du chéquier » +49 milliards € entre 2022 et 2023

Le niveau de dépenses publiques du budget 2023 n’a que fort peu de chances de se vérifier en exécution. La contrainte que le Gouvernement voudrait imposer à toutes les administrations publiques bute sur sa politique du chéquier et sur l’absence de majorité à l’Assemblée nationale pour voter des mesures réalistes de maîtrise des dépenses locales et sociales. Les dépenses ne devraient baisser que de -0,3 point de PIB soit une augmentation quasi-symétrique de celles des prélèvements obligatoires de +49 milliards €.

Dépenses publiques +261 milliards € depuis 2019

 

2019

2020

2021

2022

2023

Var. 2023-2022 (écart PLFR2 2022-LFI 2023)*

Dépenses publiques hors C.I % PIB

53,8

60,6

58,4

57,7

56,9

-0,8

Dépenses publiques hors C.I en milliards €

1 311,1

1 399,8

1 461

1 523

1 572

49

Source : RESF 2023, PLFR (2) 2022 pour 2022. C.I. crédits d’impôts.
* Actualisation liée au second collectif budgétaire de décembre 2022 (PLFR 2)

En réalité, cette apparente « maîtrise » devrait buter sur le soutien aux ménages pour les aider à faire face au fort ralentissement anticipé de l’économie française, la crise énergétique et le choc d’inflation qui en découle (et peut-être un rebond de l’épidémie hivernale de Covid-19).

Ventilation et variation des dépenses publiques 2020-2023

Dépenses/Recettes publiques
en milliards €

2020

Var. 20-21

2021

Var. 21-22

2022 (a)

Var. 22-23

2023 (p)

Crédits d’impôts en dépenses

19

-3

16

0

16

0

16

Charge de la dette

30

5

35

11

46

-1

45

Mesures de crise pérennes (revalorisation)

   

10

10

5

15

Mesures de crises non-pérennes

60,3

26

86

-17

70

-10

60

Moindres dépenses de compensation des charges de SPE (service public de l’électricité)

0

-2

-2

-17

-18

-10

-28

Dépenses primaires (hors C.I. et mesures crise)

1 310

31

1 341

72

1 413

65

1 478

Total dépenses publiques

1 419

57

1 476

59

1 537

49

1 587

Dépenses primaires : dépenses publiques hors charge de la dette ; C.I. crédits d’impôts

Les mesures de crise non-pérennes retrouveraient « miraculeusement » leur niveau de 2020 soit 60 milliards €. Ce volume semble très minoré, de nouvelles annonces pourraient survenir en cours de gestion. Par ailleurs si les dépenses de chômage augmentent (ralentissement de l’activité économique), les dépenses de crise pourraient elles aussi augmenter sans doute de plus de 5 milliards €.

Enfin, s’agissant de la charge de la dette comme des dépenses primaires, là encore de nombreuses incertitudes existent, en lien avec une volatilité des taux d’intérêt liée aux annonces de la BCE, la budgétisation à 45 milliards € relève d’une projection du taux d’endettement à 10 ans à 2,6 % or il sera vraisemblablement compris entre 2,75 et 3 % en 2023 : la remontée plus rapide des taux de la BCE pourrait conduire à un renchérissement du service de la dette publique de l’ordre de 0,6 à 1 milliard € supplémentaires.

Idem s’agissant des dépenses hors charge de la dette (dépenses primaires) puisque même en dehors de toute reprise épidémique la sous-budgétisation des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) pourrait accroître les déficits des administrations de Sécurité sociale de 10 à 15 milliards €. Rappelons que depuis 15 ans, et hors années de crise, l’écart de budgétisation a induit en moyenne une augmentation des dépenses publiques exécutées de près de 19,2 milliards € par an par rapport à la projection initiale.

Un angle mort, la « maîtrise » de la masse salariale publique

Un bon exemple des interrogations sur la volonté réelle de maîtrise de la dépense est l’absence de tout objectif en matière d’évolution de la masse salariale publique. Tout au plus est-il possible de consulter les chiffres prévisionnels attendus pour 2023 dans le cadre du projet de loi de finances.

La masse salariale publique n’est pas maîtrisée, +9,5 milliards entre 2022 et 2023

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Var. 23-22

Total

290,9

293,9

297,3

304,2

312,4

327,6

337,1

9,5

Total en % du PIB

12,7

12,4

12,2

13,2

12,5

12,4

12,2

-0,2

Source : Insee Comptes nationaux et RESF 2023.

La masse salariale publique serait contrainte par l’extension en année pleine de la revalorisation de 3,5 % du point de fonction publique auxquelles s’ajoutent les mesures additionnelles du Ségur de la Santé et la revalorisation des contractuels. D’autres éléments comme le vieillissement de la population en place et les nouvelles embauches dans les politiques publiques prioritaires (armée, justice, sécurité, enseignement, santé, dépendance, petite enfance, transports publics…) pourraient tirer la masse salariale vers le haut. L’évolution de la masse salariale est sans doute sous-estimée (supérieure à +3 %). L’absence d’indicateur programmatique jusqu’en 2027 suggère que le Gouvernement n’en fait qu’une variable d’ajustement, sans objectif clair en matière de maîtrise des effectifs. Qu’une baisse significative du PIB liée à l’entrée de l’économie française en récession en 2023 et l’évolution de la masse salariale en volume ne serait plus maîtrisée. L’absence de stratégie en matière de pilotage des effectifs et de la masse salariale publics, prive nos finances publiques d’un levier significatif de leur redressement.

La curieuse compensation des charges de service public de l'électricité

L'explosion du coût des énergies a conduit l'État à effectuer un prélèvement sur les tarifs subventionnés des producteurs à partir de 2021. Comptablement, l'État fait coup double puisqu'il passe ce prélèvement en recette tout en baissant en miroir les subventions en dépense. Ce tour de passe-passe améliore artificiellement le déficit public de 10 milliards € (0,3 point de PIB). Sur la compensation des charges de SPE, ceci est le résultat du prix de marché de l'électricité au-dessus des tarifs de rachat mais les producteurs peuvent dénoncer les contrats, donc cette situation n'est pas forcément pérenne. Et le prix de marché de l'électricité va-t-il continuer en 2023 à être si élevé, si on parvient à faire rebaisser le prix du gaz ?

Déficit public et dette publique 2023

Le déficit public sous-évalué qui se creuse de 5,7 milliards € en 2023

En 2023, le déficit public resterait stable à -5 % du PIB par rapport à 2022, le second collectif budgétaire du 1er décembre 2022 fixant le déficit de l’année à -5 %. Mais derrière ce chiffre, l’essentiel du déficit public reposerait sur l’État qui centraliserait les mesures de relance et de lutte contre l’inflation, après avoir été celui qui, dans le cadre de la pandémie, avait impulsé l’essentiel des mesures d’urgences.

Dans ce cadre, le déficit de l’État (en comptabilité nationale) se creuserait même de 0,1 point de PIB entre les deux exercices et atteindrait -5,6 % du PIB, soit une augmentation significative de +0,2 point en cours de discussion budgétaire, celui-ci se creusant de près de 4 milliards € à la suite des diverses mesures additionnelles votées (politique du chéquier).

Solde public par niveau d’administration en comptabilité nationale

En comptabilité nationale

2019

2020

2021

2022

LFI 2023

Écart PLFR 2 2022-LFI 2023

Solde public
en % du PIB

-3,1

-8,9

-6,4

-5

-5

0

Solde public
en milliards €

-74,7

-207,7

-163,3

-132,5

-138,15

-5,7

État en %
du PIB

-3,5

-7,8

-5,7

-5,5

-5,6

-0,1

État en milliards €

-85,7

-180,2

-141,5

-144,4

-154,7

-10,3

Administrations locales (APUL) en % du PIB

0

-0,1

0

0

0

0

APUL en milliards €

-1,1

-3,5

-0,6

-1,1

-0,3

+0,8

Administrations de Sécurité sociale (ASSO) en %
du PIB

0,6

-2

-0,7

0,4

0,8

0,4

ASSO en milliards €

14,5

-46

-17,4

10,6

21,1

10,5

Source : RESF 2023, p. 71. Ce tableau ne fait pas apparaître le solde des ODAC de -0,2 % de PIB selon la LFI 2023 soit -5 milliards €.

Cette évolution serait lourde de conséquences : en effet, le solde 2022 de l’État à -5,5 % du PIB s’explique en partie par la reprise de la dette SNCF Réseau (10 milliards €, soit 0,3 point), qui a contribué à creuser le déficit de l’État et à améliorer celui des Odac (opérateurs de l’État). En conséquence si l’on « neutralise » cette opération, le solde de l’État se creuserait entre 2022 et 2023 de près de 0,4 point de PIB. L’absence de réforme se paie donc « cash » au niveau de l’État et Odac dont les soldes restent continûment dégradés quasiment au même niveau depuis 3 ans (alors que 2021 représentait une période de très fort rebond).

En outre, le déficit public et celui de l’État sont « minorés » : comme on l’a vu précédemment, les variations de recettes de SPE sont comptées deux fois, en recettes et en dépenses. Il y a donc un effet « double » sur le déficit public ce qui n’est pas possible sur le plan comptable. Le solde public devrait être plus proche des -5,3 % de PIB que des 5 % en 2023 et le solde de l’État devrait s’afficher à -5,9 % du PIB.

Relevons en sens inverse que le déficit des administrations publiques locales (les collectivités territoriales et leurs satellites) s’améliorerait de 0,8 milliard € en 2023 par rapport à 2022 et même de près de 3,3 milliards € en cours de discussion budgétaire (entre le PLF 2023 et la LFI 2023). Cette amélioration résulterait de la revalorisation des bases cadastrales de 7 % pour la TFPB (+2 milliards €), ainsi que des mesures prises par le Gouvernement pour réduire le coût des énergies consommées par les installations locales et les autres effets d’inflation. S’agissant du solde des administrations de Sécurité sociale, celui-ci s’améliorerait de 0,4 point, notamment parce que les soldes du régime général et du FSV s’amélioreraient de près de 0,3 point, à cause de la cessation progressive des dépenses spécifiques relevant de la crise sanitaire.

Les risques d’explosion du solde public sont donc importants, si la conjoncture devait encore se dégrader, le solde initialement porté à 5 % pourrait atteindre -5,6 % à croissance 0 %, voire pire : plan de sobriété effectivement mis en place (-10 % de consommation énergétique sur 2 ans) avec effet sur la croissance -0,9 point pour la Fondation iFRAP en 2023, -1,1 point sur deux ans selon Allianz Trade ; effets des black-out de 0,04 point de PIB par coupure (selon le « black-out simulator » de l’université de Linz). On peut donc raisonnablement s’attendre à un déficit public exécuté aux alentours des -5,6 % du PIB en 2023 a minima.

L'endettement public 2023 se creuserait de 124 milliards €

La LFI 2023 met en avant un endettement public stabilisé à 111,2 % du PIB (3 072,5 milliards €), soit -0,4 point de PIB par rapport à l’endettement 2022 (111,6 % du PIB). Pour autant en valeur l’endettement augmenterait encore de 124 milliards €. Mais si la croissance venait à fléchir et/ou si les taux d’intérêt venaient à croître significativement en 2022, l’endettement pourrait s’envoler littéralement car le solde public stabilisant de la dette serait significativement rehaussé.

Dette publique : 3 072,5 milliards en 2023

 

2019

2020

2021

2022

2023

Var. 23-22

Dette publique en % du PIB

97,4

114,6

112,8

111,6

111,2

-0,4

Dette publique en milliards courants

2 374,9

2 648,1

2 821

2 948,5

3 072,5

124

Source : Article liminaire de la LFI 2023.

C’est d’ailleurs ce que met en exergue dans sa dernière note relative à la France, l’Agence Standard & Poor’s qui anticipe un déficit supérieur à 5 % du PIB en 2022 et une dette qui dépasserait les 112 % dès 2024. Il faut en effet songer que le solde stabilisant avec une croissance à 0 % du PIB pourrait s’élever à -4 % du PIB en 2023, ce qui ferait immédiatement bondir la dette publique entre 112,7 et 112,8 % du PIB dès cette année. Toute la trajectoire de désendettement serait alors anéantie et l’on reviendrait à la situation de 2021.

Et si la croissance n’est pas au rendez-vous ? Le contre-chiffrage de la Fondation iFRAP

La Fondation iFRAP a simulé les résultats si la croissance française flanchait en 2023 : en prenant deux hypothèses, croissance nulle ou même récession de -0,5 % en 2023, au lieu de 1 % comme prévu par le Gouvernement, les résultats de l’économie française seraient très dégradés.

Le solde public s’établirait à -5,6 % du PIB en cas de croissance nulle, et même -5,8 % en cas de récession contre un solde de -5 % prévu par le Gouvernement dans le PLF. La dette déraperait à 112,6 %, voire 113,1 % de PIB. Le déficit commercial se dégraderait de 10 milliards € supplémentaires. Cette perspective aurait bien évidemment un impact sur le chômage avec 7,7 % de chômage au lieu de 7,2 % prévu par le Gouvernement, voire 8 % en cas de récession.

Les finances publiques en cas de croissance nulle en 2023 ou de récession

 

2022

2023 PLF

2023 si 0 %

2023 si -0,5 %

PIB valeur

2 640

2 761

2 742

2 736

Recettes publiques

53,3

52,2

52,1

52,1

Prélèvements obligatoires

45,2

44,6

44,6

44,6

Dépenses publiques

58,2

57,2

57,7

57,9

Solde public

-5,0

-5,0

-5,6

-5,8

Dette publique

111,5

111,2

112,6

113,1

Recettes publiques

1 407

1 442

1 429

1 424

Prélèvements obligatoires

1 194

1 232

1 223

1 220

Dépenses publiques

1 538

1 580

1 582

1 584

Solde public

-131

-138

-153

-160

Dette publique

2 946

3 072

3 087

3 094

Solde commercial

-95

-89

-99

-99

Solde commercial (en % du PIB)

-3,6

-3,2

-3,6

-3,6

Emploi

29657

29867

29598

29449

Variation de l’emploi

650

210

-59

-208

Chômage

7,50%

7,20%

7,70%

8,0%

Un budget de l’État gonflé à l’hélium durant la discussion parlementaire

Le budget de l’État a été fortement remanié durant la discussion parlementaire. À titre illustratif, le solde budgétaire s’est creusé de 6,4 milliards € entre octobre et décembre 2022, passant de -158,5 milliards € à -164,9 milliards €.

Budget de l’État en 2023 : +20,4 milliards à l’issue de la discussion parlementaire

 

Exécution 2021

LFI 2022 (b)

LFR1 y compris reports (c)

PLFR 2 (e)

PLF 2023

LFI 2023

Var. LFI 2023 - PLR 2 2022

Var. LFI 2023 - PLF 2023

Dépenses du budget général et PSR en milliards €

488,5

461,5

514,1

514,2

500,2

520,6

6,4

20,4

Dépenses du budget général

418,8

391,9

444

446,2

431,9

450

3,8

18,1

Prélèvements sur recettes

69,7

69,6

70,2

67,9

68,3

70,6

2,7

2,3

dont PSR au profit des collectivités territoriales

43,4

43,2

43,8

43,6

43,7

45,6

2

1,9

dont PSR au profit de l’UE

26,4

26,4

26,4

24,3

24,6

25

0,7

0,4

Recettes fiscales nettes

295,7

287,6

311,6

315,8

314,3

328,2

12,4

13,9

Recettes non fiscales nettes

21,3

20,2

23,7

24,7

30,8

30,9

6,2

0,1

Solde des comptes spéciaux - hors FMI

0,8

-0,1

0,4

1

-3,5

-3,6

-4,6

-0,1

Solde des budgets annexes

0

0

0

0,3

0,1

0,1

-0,2

0

Solde de l’État - hors FMI

-170,7

-153,8

-178,4

-172,3

-158,5

-164,9

7,4

-6,4

Reports de crédits

  

9,1

7,6

    

Solde budgétaire hors reports

-170,7

-153,8

-169,3

-158,5

-158,5

-164,9

-6,4

-6,4

Source: Documents budgétaires. Note: PLF: projet de loi de finances, LFI: loi de finances initiale votée.

Ces augmentations de dépenses tous azimuts seraient compensées partiellement par une augmentation des recettes fiscales nettes de 13,9 milliards €.

Où se situe l’explosion des dépenses et des recettes en cours de discussion budgétaire ? Côté dépenses, les crédits qui augmenteraient le plus sont ceux de la mission Écologie, développement et mobilité durables, pour près de 10 milliards €, liés non à la transition écologique, mais aux mesures relatives à l’énergie. Ainsi que +4 milliards attribués au ministère de l’Économie au bénéfice des entreprises.

Côté recettes, celles des droits d’enregistrement et de timbre augmenteraient de +12,3 milliards € par rapport au PLF, le rendement de l’IR étant réévalué de 0,5 milliard €, tout comme les impôts indirects et taxes assimilées (+0,6 milliard).

En dehors de ces mesures, les principaux points de fuite du budget de l’État sont la charge nette de la dette de l’État (suite à l’effet inflation sur les OAT€i et OATi et à la remontée des taux directeurs de la BCE) soit +13,3 milliards € (51,7 milliards en 2023), mais aussi les dépenses de guichet, (minima sociaux) soit +12,1 milliards, ainsi que les dépenses de personnel, +7,9 milliards dont une augmentation liée à la revalorisation du point de fonction publique de 3,2 % étendu en année pleine, soit +4,9 milliards €.

Cette tendance qui peut s’expliquer partiellement par le choc d’inflation que subit l’État est très inquiétante car le budget est de plus en plus rigide ce qui limite les possibilités d’arbitrage et trouver des marges de manœuvre. En LFI 2023, près de 70 % du budget de l’État hors missions d’urgence et de relance, sont des missions « prioritaires » qui impliquent une programmation contrainte des crédits. Par ailleurs, 39 % des crédits du budget général font l’objet d’une programmation pluriannuelle sectorielle. Clairement, les marges d’arbitrages sont faibles, ce qui laisse supposer un risque de sous-budgétisation.

Recettes fiscales de l'État : +5 % entre 2022 et 2023

Les recettes de l’État augmentent de 13,9 milliards € au cours de la discussion budgétaire

 

LFI 2022

LFR1 y compris reports

PLFR 2

PLF 2023 (a)

LFI 2023 (b)

Var. PLFR 2-LFI 2023

Discussion du Budget 2023 (b)-(a)

Recettes fiscales nettes

287,6

311,6

315,8

314,3

328,2

12,4

13,9

Impôt sur le revenu

82,4

85,3

87,4

86,9

87,35

-0,06

0,44

Impôt sur les sociétés

40

56,8

59,0

55,2

55,25

-3,75

0,05

TICPE

18,2

18,1

18,0

16,8

16,61

-1,39

-0,19

Taxe sur la valeur ajoutée

98,4

101,2

100,6

97,4

94,68

-5,92

-2,72

Autres recettes fiscales

48,6

50,2

50,9

58,0

74,3

23,41

16,31

Recettes non fiscales

20,2

23,7

24,7

30,8

30,9

6,2

0,1

Recettes de l’État en milliards €

307,8

335,3

340,5

345,1

359,1

18,6

14

Source : LFI 2023, PLFR (2) 2022. Note: L’impact de la discussion budgétaire se mesure en comparant la LFI (loi de finances initiale) au PLF (projet de loi de finances) de l’année étudiée.

En 2022, les recettes fiscales ont été scandaleusement sous-budgétisées en loi de finances initiale, en partie due au fait que seule l’inflation liée à la reprise économique était anticipée, et non celle imputable à la guerre en Ukraine à compter de mars 2022. Les dernières estimations fiscales pour 2022 montrent un écart positif de +28,2 milliards €. En revanche en 2023, les recettes fiscales initialement prévues en baisse de -1,5 milliard € ont été réévaluées très fortement au cours de la discussion budgétaire et augmentent en définitive de +12,4 milliards € en 2023, soit une augmentation inédite de 13,9 milliards € entre le dépôt du PLF et son adoption définitive.

La TVA attribuée à l’État serait en baisse à cause de son transfert garanti à d’autres institutions, vers la Sécurité sociale (28,5 %) ou vers le bloc local (24,5 %). Le rendement de l’impôt sur le revenu serait stable, tandis que l’explosion fiscale aurait sur les droits d’enregistrement et autres fiscalités indirectes (+23,4 milliards € entre 2022 et 2023). Cependant, le risque de récession en 2023 peut contrebalancer l’augmentation de recettes fiscales liées à l’inflation. On peut donc estimer que l’approche des recettes fiscales est crédible mais sans doute significativement supérieure à ce que sera la réalité en exécution.

Le plan de sobriété accélérerait la récession en 2023

Le Gouvernement a décidé d’un plan de sobriété à la veille de l’hiver. Ce plan dicte une baisse de 10 % d’utilisation d’énergie immédiate pour les entreprises et les ménages pour éviter les ruptures d’approvisionnement. RTE, le gestionnaire du réseau électrique, communique même sur la nécessité de faire - 15 % sur certaines périodes très froides et sans vent : « Si grâce au plan de sobriété, complété par le dispositif Ecowatt, la consommation française baisse de 15 % aux heures les plus tendues, nous devrions passer ces pointes. »

Moins 10 % ? Cela n’a l’air de rien mais c’est très important : pour arriver à ce résultat, les entreprises gourmandes en électricité, celles qu’on appelle les « électro-intensives », devront s’arrêter.

Et la croissance dans tout cela ? Le Gouvernement dans son projet de budget pour 2023 prévoit une croissance de 1 %. La Banque de France doute que nous y arrivions. Mais avec le plan de sobriété, elle risque bel et bien de ne pas être au rendez-vous. La Fondation iFRAP a fait la simulation de ce que donnerait l’application de ce plan pour notre économie avec 3,7 % de baisse de la consommation d’énergie d’ici à fin 2022 par rapport à 2019, puis 7,2 % de baisse en 2023.

Que va-t-on faire subir à notre PIB en appliquant ce plan de sobriété ? Il se traduirait par une baisse de la consommation d’énergie finale de 74 TWh (térawattheure) en 2022 (-3,7 % par rapport au niveau de 2021), puis une baisse de 164 TWh en 2023 (c’est-à-dire -7,2 % par rapport au niveau de 2022), et enfin une baisse de 159 TWh en 2024 (soit une stagnation par rapport au niveau de 2023). Et la consommation d’énergie finale serait de 1 426 TWh en 2024 (soit 10 % inférieure par rapport à la consommation de 2019).

Les résultats de la simulation sont très préoccupants : sur deux ans, la croissance du PIB serait moindre à cause du plan de sobriété de 1,4 point, dont 0,9 sur la seule année 2023. On serait donc sur une croissance nulle, voire une récession en 2023, avec un PIB plus faible de 35 milliards dès 2023 par rapport aux prévisions gouvernementales. Sur trois ans, cela ferait une richesse nationale perdue de 83 milliards €.

Le « contrat de confiance » avec les collectivités locales insuffisant et déjà supprimé au cours de la discussion budgétaire 2023

Si le « contrat de confiance » était insuffisant pour piloter efficacement les finances locales et les faire contribuer à l’effort collectif de redressement des finances publiques nationales en remplacement des contrats dits « de Cahors », celui-ci a désormais disparu au cours de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP 2023-2027) et ce, dès la 1re lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat y étant opposé et le Gouvernement choisissant de réserver son usage extra-financier de l’article 49-3 de la constitution au projet de loi relatif à la réforme des retraites, il est fort probable que cette disposition ne soit jamais adoptée.

Cependant, bien qu’insuffisants, les contrats de confiance auraient permis de freiner les dépenses locales.

  • Dans son volet préventif, l’objectif serait fixé par niveau de collectivités (régions, département, bloc communal) avec une évolution maximale 3,8 % en valeur en 2023, puis 2,5 % en 2024, 1,6 % en 2025, 1,3 % en 2026 et 2027. Cet effort représenterait par construction une baisse de 0,5 % en volume par an pendant 5 ans. Un contrôle serait opéré par strate de collectivités. En cas d’écart global, un volet correctif serait activé ;
  • Après analyse fine, les collectivités responsables du dépassement pourraient faire l’objet d’une exclusion des dotations de l’État et seraient obligées de conclure un accord de retour à la trajectoire initiale (ce qui suppose l’équivalent d’un droit de reprise).

Le Gouvernement espère des économies de l’ordre de 16,1 milliards € cumulées en volume sur l’ensemble des collectivités, tandis que les dépenses réelles de fonctionnement continueraient de dériver de près de 21,9 milliards entre 2022 et 2027. Cette contractualisation devrait déboucher en comptabilité nationale sur un ralentissement de la dépense des administrations publiques locales impliquant également leurs satellites (caisses des écoles, syndicats locaux, SDIS…) qui dériverait tout de même de 31,4 milliards entre 2022 et 2027.

Les dépenses de fonctionnement tirent la hausse des dépenses locales

 

2020

2021

2022

2023

Var. 2023-22

Dépenses de fonctionnement

207,5

213,3

223,1

230,5

7,4

Dépenses d’investissement

61,5

66,7

71,5

74,7

3,2

Dépenses des administrations publiques locales

269,0

280,0

294,6

305,2

10,6

Recettes totales

265,6

279,4

293,5

301,6

8,1

dont prélèvements obligatoires

153,5

162,6

171,1

176,9

5,8

Solde en milliards €

-3,4

-0,6

-1,1

-3,6

-2,5

Source : RESF 2023, en comptabilité nationale.

Ce qui signifie qu’il faudrait « comprimer » les dépenses réelles de fonctionnement des collectivités du double de l’effet final produit sur l’ensemble des administrations publiques locales, à cause de la possibilité pour celles-ci de reporter une partie de leurs dépenses sur les budgets annexes et/ou de réinvestir une partie de leurs excédents de fonctionnement en investissements.

On voit donc ici apparaître les limites de la contractualisation proposée : il n’y a de recherche de maîtrise de la dépense réelle de fonctionnement qu’au niveau des budgets généraux des collectivités et non de leurs budgets annexes, il y a une impossibilité pratique à maîtriser la dépense d’investissement des collectivités qui pourrait augmenter en se finançant directement via l’épargne nette occasionnée et non plus par endettement classique (notamment à cause de la hausse des taux d’intérêt).

Or il n’y a pas à proprement d’encadrement symétrique des recettes des collectivités locales, si bien que le 3e point de fuite via les recettes fiscales est toujours possible. Pour mémoire les valeurs locatives cadastrales ont vu leurs bases relevées en loi de finances de 7 % pour 2023 (pour les locaux d’habitation et assimilés). Pour 2023, les prélèvements obligatoires devraient augmenter de près de 5,8 milliards €, dont 3 milliards rien que via la hausse des valeurs locatives cadastrales. Cette estimation nous semble particulièrement basse.

La règle de contractualisation semble donc largement perfectible. Elle ne permet pas de piloter le solde via les seules dépenses réelles de fonctionnement du budget général des collectivités et ne prévoit rien afin de canaliser l’investissement et limiter la propension des collectivités à dépenser en mettant en place des dispositifs atténuant la pression fiscale (bouclier fiscal local…) notamment en matière de fiscalité directe locale.

On relèvera qu’à compter de 2026 et 2027, le solde des administrations publiques locales serait très excédentaire, de 6,2 et 15,9 milliards € respectivement. Le ralentissement de la dépense locale ne serait pas la seule explication. Ces années correspondent à la mise en place encore théorique de la réforme des bases locatives cadastrales des locaux des particuliers (et non plus leur seule actualisation), ainsi que la séparation des coefficients liant évolution des bases des professionnels et des bases des ménages. Le Gouvernement anticipe un très fort dynamisme à cet horizon des recettes fiscales locales, alors même que les élections municipales interviendraient à la même date (2026), ce qui semble là encore très peu crédible.

En conclusion, à l’issue de la discussion budgétaire, il semble que les collectivités locales n’aient plus aucune contrainte financière en dehors de l’équilibre financier traditionnel auquel elles sont assujetties hors budgets annexes. Il s’agit d’un point de fuite majeur en matière de dépenses publiques, mais aussi en termes de hausse progressive de la pression fiscale locale (sur un nombre désormais plus réduit d’assujettis, les seuls payeurs de la fiscalité foncière), alors même que les comptes des administrations locales commencent à se dégrader à nouveau (-3,6 milliards € très proche du solde de 2020).

Attention au déficit caché de la Sécurité sociale dès 2023 : entre 10 et 15 milliards en sus des déficits prévus

Premier poste financier des dépenses publiques, les budgets de la Sécurité sociale auraient dû faire l’objet par les pouvoirs publics de la plus grande attention. On décèle pourtant des fragilités propres à générer des déficits majeurs.

En comptabilité nationale, une situation théoriquement au « beau fixe » jusqu’en 2027…

Administrations de Sécurité sociale

2019

2020

2021

2022 (p)

2023 (p)

2024 (p)

2025 (p)

2026 (p)

2027 (p)

Var. 2027-2022

Total dépenses en milliards €

621,7

660,9

682,9

700,5

721,5

747,0

772,0

792,0

811,0

110,5

Solde en point de PIB

0,6

-2,0

-0,7

0,5

0,8

0,8

0,7

0,8

1,0

0,5

Solde en milliards €

14,5

-46,0

-17,4

12,7

21,1

23,0

20,8

24,6

31,8

19,1

Source : PLFSS 2023 et PLPFP 2023-2027, en comptabilité nationale.

Si l’on part de la trajectoire pluriannuelle arrêtée par le Gouvernement, les comptes des administrations de Sécurité sociale (ASSO) seraient en excédent dès 2022 et en perpétuelle amélioration jusqu’en 2027, s’améliorant même de 0,5 point de PIB sur la période. Néanmoins, en volume les dépenses croîtraient de 110,5 milliards € en valeur, malgré les réformes en cours ou prévues (assurance-chômage, réforme des retraites, maîtrise de l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie)).

Les déficits se retrouvent en comptabilité nationale au niveau du Régime Général et du Fonds de solidarité vieillesse (-23,4 milliards en 2021, -16,5 milliards en 2022, -7,3 milliards en 2023). Par ailleurs, s’y ajouterait les soldes négatifs du fonds de réserve des retraites, soit -1,7 milliard en 2021 et 2022 puis -1,4 milliard en 2023.

En revanche, les soldes des autres organismes seraient excédentaires : le solde de la Cades qui est in bonis par construction (la Cades étant placée en dehors des administrations publiques, n’apparaissent en recettes que les impôts affectés à l’amortissement de la dette et en dépenses, la charge du service de cette dette). La Cades verrait même sa position excédentaire s’accélérer en 2022 et 2023 avec +16,8 milliards en 2022 et +16,4 milliards en 2023.

Les régimes complémentaires seraient également fortement positifs : +7,4 milliards € en 2022 et +6,1 milliards en 2023, notamment sous l’effet de la bonne situation financière de l’Agirc-Arrco affichant un excédent de 3,7 milliards en 2022. Cette embellie se poursuivrait en 2023.

Enfin, le solde de l’Unédic (assurance chômage) serait positif, porté par la réforme en cours et une baisse anticipée du chômage sur l’ensemble de la période de programmation et qui devrait atteindre les 5 % en 2027. Cette bonne perspective est d’ailleurs traduite dans les perspectives financières publiées le 20 octobre 2022.

Les perspectives financières de l’Unédic

Situation et perspectives financières Unedic

2019

2020

2021

2022

(p)

2023

(p)

2024

(p)

Recettes

39,2

35,8

40,1

44,0

45,2

46,8

Dépenses

41,1

53,2

49,4

39,6

41,0

42,6

Solde financier

-1,9

-17,4

-9,3

4,4

4,2

4,2

Pour mémoire solde en comptabilité nationale

-1,6

-20,6

-11,4

4,6

4,8

0,1

Source : Unédic, Perspectives financières octobre 2022, et RESF 2023.

En comptabilité générale, la sécurité sociale serait pourtant toujours en déficit

Le déficit des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse est désormais arrêté à -7,2 milliards €… et devrait s’accroître encore dans les années à venir. Il atteindrait ainsi (en comptabilité générale) près de -11,7 milliards € en 2026 :

Deux branches seraient structurellement en déficit :

  • La branche maladie, bien que le déficit se réduirait drastiquement à compter de 2023, de près de 13,6 milliards €.
  • La branche vieillesse qui – en l’absence des effets rapides d’une réforme des retraites volontariste – verrait ses perspectives financières se dégrader fortement entre 2021 (déficit de -1,1 milliard) et 2026 (déficit de -15,7 milliards).

D’ailleurs, sur le moyen terme, l’une prendrait en quelque sorte le relais de l’autre.

Les branches vieillesse et maladie toujours « dans le rouge »

 

2019

2020

2021

2022 (p)

2023 (p)

2024 (p)

2025 (p)

2026 (p)

Maladie

Recettes

216,6

209,8

209,4

221,6

231,6

238,7

245,0

252,0

Dépenses

218,1

240,3

235,4

241,9

238,3

243,6

249,4

254,6

Solde

-1,5

-30,5

-26,1

-20,3

-6,7

-4,8

-4,4

-2,6

Vieillesse

Recettes

240,0

241,2

249,4

258,9

269,8

280,5

289,6

297,9

Dépenses

241,3

246,1

250,5

261,9

273,3

289,7

303,3

313,7

Solde

-1,3

-4,9

-1,1

-3,0

-3,5

-9,2

-13,7

-15,7

Source : LFSS 2023, annexe B. Champs ROBSS (régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale)

Le déficit de la branche maladie à -6,7 milliards € en 2023 est-il crédible ?

Toute la crédibilité à court terme de l’assainissement de la situation financière de la Sécurité sociale repose sur le freinage en dépenses réalisé par la branche maladie. Très concrètement, les dépenses d’assurance maladie baisseraient (champ Robss) de -3,6 milliards € en valeur, tandis que les recettes de la branche augmenteraient de 10 milliards €.

Cette maîtrise en dépense proviendrait principalement d’efforts inédits sur l’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam).

L’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) et l’impact de la crise sanitaire

En milliards €

2019

2020

2021

2022

2023

Var. 2023-22

Var. 2023-2019

Ondam Total

200,3

219,4

240,1

245,9

244,1

-1,8

43,8

Impact brut de la crise sanitaire

0

12,2

18,3

11,4

1

-10,4

1,0

Provisions

0

0

4,3

4,9

1

-3,9

1,0

Impact net de la crise sanitaire

0

12,2

14

6,5

0

-6,5

0,0

Ondam hors crise sanitaire + Mises en réserve

200,3

207,2

226,1

239,4

244,1

4,7

43,8

Ondam hors crise sanitaire

200,3

207,2

221,8

234,5

243,1

8,6

42,8

Impact du Ségur de la Santé

0

1,5

9,3

12,7

13,4

0,7

13,4

Ondam hors crise sanitaire & Ségur

200,3

205,7

212,5

221,8

229,7

7,9

29,4

Source : Comptes de la Sécurité sociale tome 1, septembre 2022, annexe n°5 au PLFSS 2023.

Mais cette bonne tenue ne serait en réalité due qu’à un effet budgétaire : les provisions pour dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire seraient ramenées à 1 milliard € contre 4,9 milliards l’exercice précédent.

Si l’on extourne l’impact estimé de la crise sanitaire, l’Ondam ressort à 243,1 milliards, soit en réalité une augmentation de 8,6 milliards par rapport à l’année 2022, notamment du fait de la montée en puissance des mesures relatives au Ségur de la Santé (13,4 milliards €). Hors crédits pour crise et hors impact du Ségur, l’Ondam « net » augmenterait tout de même de 7,9 milliards € par rapport à 2022, soit un peu plus que la « moyenne » des trois années (2020-2022) précédentes.

Si on décline l’Ondam par objectif sanitaire, les soins de ville ne progresseraient que de 1 milliard € entre 2022 et 2023. Pour l’économiste spécialiste de la Santé Frédéric Bizard : « Considérant que le virage ambulatoire est plutôt devant nous que derrière nous, considérant que le Ségur de la Santé a essentiellement revalorisé les établissements hospitaliers et de personnes âgées, cette sous-évaluation de la croissance des dépenses de ville est majeure et probablement intenable. »

« Elle conduira à des mesures d’économies sur les services comme sur les produits de santé délivrés en ville qui vont inévitablement détériorer les soins et l’attractivité des métiers, déjà très fragilisés. Le taux de croissance [de la dépense de soins de ville] devrait probablement être le double de celui proposé, soit une sous-évaluation de plus de 3 milliards €. »

Cette sous-évaluation atteindrait également le secteur hospitalier où « un minimum de ١ à ٢ points supplémentaires de dépenses sera nécessaire pour couvrir l’inflation, la hausse inévitable des rémunérations et les investissements. »

Cette sous-estimation est d’autant plus probable que la Sécurité sociale n’a prévu qu’un volume d’économies minime : 1,2 milliard € dont 0,4 milliard sur l’imagerie médicale (radiologie) et 0,8 milliard sur les produits de santé.

On doit enfin y ajouter l’impact théorique extrêmement volontariste de la réduction des dépenses Covid qui devraient passer de 11,4 milliards € à 1 milliard en 2023. En mettant bout à bout tous ces éléments, il est fort probable que le déficit de l’Assurance maladie ne soit pas de 6,7 milliards mais sans doute bien supérieur à 10 milliards € voir 15 milliards. Cela dégraderait du même coup la trajectoire financière pluriannuelle et la contribution des administrations de Sécurité sociale à la réduction du déficit public et de l’endettement, dans un volume qui pourrait atteindre les 0,25 à 0,5 point à la baisse.

Les risques pesant sur les comptes de la Sécurité sociale

  • Sous-indexation de l’Ondam soins de ville : impact de plus de 3 milliards €;
  • Sous-indexation de l’Ondam éablissements de santé : de 1 à 2 milliards €;
  • Reprise de la crise sanitaire : 1 à 3 milliards € ;
  • Sous-provision impact Covid : 3 milliards € ;
  • Dégradation du solde de l’Unédic lié à la conjoncture : entre -1 et -4 milliards € ;
  • Absence de réforme des retraites : pas d’impact en 2023 ;

Total impact sur le solde des administrations de Sécurité sociale : entre 9 et 15 milliards €