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Pourquoi le Traité de stabilité européen sera ratifié par la France

...mais après ?

Comme il se devait, François Hollande et Angela Merkel n'en ont pas dit beaucoup lors de leur conférence de presse, mais suffisamment pour que l'on remarque leur conversion à la Realpolitik, l'un et l'autre s'estimant tenus de parvenir à un compromis. Il paraît assez évident que le Président Hollande ne remplira que très partiellement les promesses du candidat et que « renégocier » le Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance (TSCG) (signé par Nicolas Sarkozy mais non encore ratifié par la France) ne signifiera qu'y « ajouter » un volet croissance. Mais le TSCG, ainsi que le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) dont le TSCG est le complément, sont honnis par une partie importante des alliés de François Hollande. Ils ne sont en effet pas anodins, mais l'Allemagne les considère comme une condition préalable à l'application de mesures destinées à promouvoir la croissance ! D'où une ambiguïté et une inquiétude fondamentales sur le contenu et les résultats que l'on peut espérer du volet croissance.

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Le MES et le TSCG, de quoi s'agit-il ?

Le MES (Mécanisme Européen de Stabilité), qui sera en vigueur en juillet 2012, est un dispositif créant un fonds permettant, au nom de la solidarité européenne, de porter secours, jusqu'à 500 milliards d'euros, à un pays rencontrant des difficultés économiques. Il est abondé par des contributions des États, celle de la France, (20% du total) se montant à 142,7 milliards d'euros. Un « considérant » de ce traité, dont la valeur juridique fait débat, prévoit que ne pourront se prévaloir du secours en question que les États qui auront aussi ratifié le TSCG.

Le TSCG (Traité de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance), signé par la France et l'Allemagne mais non encore ratifié, prévoit que les États s'engagent à ce que leur déficit « structurel » n'excède pas « à moyen terme » 0,5% de leur PIB, ce qui constitue la fameuse « règle d'or » que les États doivent élever au rang de règle ayant valeur constitutionnelle. Les États s'engagent à respecter cette règle, et à prendre sous sanction financière éventuelle toutes mesures correctives nécessaires en cas de dépassement, lesquelles comprendront des réformes structurelles qui devront être approuvées au niveau européen avec suivi de l'exécution.

Approuvé par le PS et les Verts, le MES, en raison de son lien avec le TSCG, et en rapport avec les mesures d'austérité drastiques déjà prises par la Grèce, l'Irlande et l'Espagne, est violemment combattu par une large partie de la gauche, par les souverainistes et le FN. Un collectif d'économistes s'exprime ainsi :

« Loin d'être un mécanisme de solidarité européen, le MES va être une camisole de force pour soumettre les peuples aux exigences des marchés et le S de MES risque fort d'être celui de servitude. La crise actuelle de l'UE et de la zone euro est la résultante de l'application des traités européens antérieurs marqués du sceau du néolibéralisme ». )]

Dans quel sens les négociations franco-allemandes iront-elles ?

On peut retenir de ce qu'a dit François Hollande lors de la conférence de presse conjointe, que le volet croissance ne sera qu'un ajout au Traité européen de stabilité (TSCG) dont il laissera aux juristes le soin de décider sous quelle forme il sera consigné. Son affirmation qu'on mettra « tout sur la table » lors des discussions apparaît comme une clause de style destinée à annoncer le compromis à venir. Angela Merkel a été un peu plus nette en indiquant que ces discussions « porteront essentiellement sur le volet croissance », manière de dire que le reste est réglé. Les parties avaient, à vrai dire, d'ores et déjà soigneusement balisé le terrain de leurs discussions.

François Hollande a fait savoir par ses porte-parole qu'il n'entendait pas « remettre en cause le contenu » du TSCG. Il a par ailleurs limité l'étendue de ses demandes relatives au volet de croissance à quatre points : l'utilisation de project bonds (renonçant aux eurobonds qui ne seraient qu'une mutualisation de la dette existante), 10 milliards pour la BEI (Banque Européenne d'Investissement), réorientation des fonds structurels et taxe sur les transactions financières. L'Allemagne de son côté a répété plusieurs fois qu'il n'était pas question de remettre en cause le TSCG, et fait six propositions pour le volet de croissance : meilleure gestion des fonds, redéploiement des fonds structurels pour financer les projets porteurs de croissance, amélioration du fonctionnement de la BEI, investissement dans les projets d'infrastructure européenne, amélioration du marché intérieur, renforcement des accords de libre-échange. Les deux pays se rencontrent donc sur l'essentiel du volet de croissance.

Le TSCG (cf encadré ci-dessus) établit une contrainte réellement forte sur les États à l'effet de parvenir à l'équilibre financier de leur budget, contrainte combattue sur une partie importante de l'échiquier politique ainsi que par les syndicats. C'est dire si des difficultés sont à attendre dans un futur assez proche. La question est alors de savoir si et dans quelle mesure la croissance attendue par la France, en particulier, se révèlera suffisante pour respecter les obligations de ce traité sans contraindre à une révision déchirante de la promesse présidentielle de ne pas diminuer les dépenses publiques. On a sur ce sujet plus que des doutes.

L'objectif de croissance et les outils

La croissance, tout le monde et tous les pays aspirent évidemment à la retrouver. Mais elle ne se situe pas sur le même plan que la rigueur : cette dernière est un moyen, un outil économique pour faire face à la détérioration des finances publiques, alors que la croissance est un objectif. Or la croissance ne se décrète pas, elle est le résultat d'une quantité de paramètres nationaux et internationaux sur lesquels un pouvoir politique n'a qu'une prise limitée.

Toute la difficulté est de déterminer quels sont les outils de nature à atteindre l'objectif en question, et sur ce point il existe une divergence, affichée mais partiellement réductible comme on l'a vu, de points de vue entre les pays de la zone euro et particulièrement entre l'Allemagne et la France.

On comprend bien que François Hollande entende se prévaloir de l'appui affiché par les pays pour lesquels l'austérité n'a eu pour effet que de faire souffrir les populations sans permettre de faire renaître la croissance, à savoir la Grèce et l'Espagne, (mais l'attitude des autres pays paraît plus circonspecte), et capitaliser sur l'affaiblissement de la chancelière allemande lors des élections en Rhénanie. Mais renoncer à la rigueur ne fera pas renaître la croissance. L'Allemagne vient d'annoncer une croissance de 0,5% de son PIB, ce dont il faut se féliciter, mais ce qui ne simplifie pas l'argumentation de François Hollande vis-à-vis de la chancelière allemande. Par ailleurs la France n'a pas encore connu la rigueur, encore moins l'austérité, et pourtant son PIB connaît une stagnation que la Commission de Bruxelles vient de pointer du doigt.

L'impossible relance par l'endettement.

A la vérité, la France ne dispose pas des moyens traditionnellement utilisés pour relancer la croissance. Les économistes s'accordent pour dire que l'augmentation des salaires et du pouvoir d'achat aurait pour effet de nuire à la compétitivité de la France, inconvénient majeur dans le contexte de la mondialisation, tandis que l'augmentation des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques, emplois publics inclus, va directement à l'encontre de la croissance. La relance par l'endettement est aussi vigoureusement combattue par la plupart des économistes, qui relèvent l'erreur commise lorsqu'on évoque la théorie keynésienne à propos de ce que serait une relance par l'endettement en Europe dans les circonstances actuelles, compte tenu de l'énormité des déficits existants (contrairement à la situation des années 1930) et du fait qu'une telle relance profiterait essentiellement aux importations. Il existe une quasi-unanimité en Europe pour considérer qu'augmenter encore l'endettement ne ferait qu'accroître la crise et rendre austérité ou rigueur encore plus nécessaires.

N'échappent à cette unanimité que certains économistes américains partisans du quantitative easing ou de la continuation quasiment sans fin des refinancements de long terme (LTRO), mais l'euro n'est pas comme le dollar la monnaie de la planète, dollar dont le pays émetteur peut se permettre d'augmenter son déficit sans limite. L'Allemagne est quant à elle fermement opposée à une politique de quantitative easing par laquelle l'augmentation de la liquidité ne serait utilisée (que ce soit par l'intermédiaire de la BCE ou par un système d' eurobonds), dans une opération de type tonneau des Danaïdes, que pour refinancer un endettement dont il faut rappeler qu'il nécessite chaque année d'emprunter au niveau de l'Europe la somme astronomique de quelque 800 milliards sur les marchés !

Les éléments du volet de croissance que nous avons évoqués ne sont nullement à la hauteur du problème de la croissance, et des demandes des marchés qui sont, particulièrement pour la France, de voir définir une stratégie crédible de réformes structurelles permettant de restaurer la confiance. Certes, il est possible et probablement admissible, comme on l'entend dire de plus en plus, de prétendre augmenter de quelques années les délais de retour à l'équilibre budgétaire, mais c'est à condition qu'existe ce programme de réformes structurelles.

Encore une fois, la France est le seul pays à n'avoir pas introduit de véritable rigueur dans sa politique. Plaider pour un moratoire sur l'austérité a un sens pour les pays qui l'ont imposée chez eux, mais n'en présente guère pour la France. La fin du quinquennat précédent a connu une faible diminution des dépenses publiques, mais une augmentation déjà notable de la fiscalité, et le programme du nouveau président en promet une nouvelle, encore bien plus importante (environ 29 milliards) sans évoquer la baisse des dépenses publiques. Hélas, un tel programme n'est guère propice à la croissance, surtout lorsque l'on voit que plus de 17 milliards vont peser sur les entreprises et que les impositions sur le patrimoine et les revenus productifs des particuliers (actions des entreprises) doivent être taxés de manière confiscatoire.

Dans ces conditions, que peut-on prévoir, et préconiser ?

Non, le couple franco-allemand n'apparaît pas fondamentalement menacé, et les deux dirigeants continueront d'afficher un accord sur l'essentiel : le TSCG sera très probablement ratifié par les deux pays sans modification, et un volet croissance sera adjoint d'une façon ou d'une autre, qui permettra le développement de certains projets d'infrastructures européennes.

Oui, il est envisageable de « laisser plus de temps au temps » pour résorber les déséquilibres budgétaires dans le contexte de faible, ou très faible croissance qui est éminemment prévisible.

Oui, il est envisageable de desserrer un peu les contraintes d'austérité qui pèsent sur les pays européens qui l'ont tous –sauf la France- mise en œuvre drastiquement.

Non, ce desserrement des contraintes n'est pas applicable à la France pour la raison que le pays n'a pas encore connu de véritable rigueur, et nos partenaires, ni nos prêteurs, ne comprendraient que nous nous affranchissions des efforts nécessaires.

Non, ces efforts ne sauraient se résumer à accroître encore les prélèvements obligatoires, car la marge qui reste à la France dans ce domaine est minime et que cet augmentation est défavorable à la croissance.

Oui, la France est clairement menacée à moyen terme par un défaut de respect des obligations imposées par le TSCG, et des réformes de structure devront être définies tôt ou tard, et de préférence tôt, qui diminuent les dépenses publiques là où c'est possible sans porter atteinte aux efforts de croissance ni provoquer des souffrances insupportables pour la population. La Fondation iFRAP les a plusieurs fois définies dans ses travaux, et en particulier dans la récente étude « 100 Jours pour réformer la France »

Loin d'augmenter encore les obligations, de nature fiscale et administrative, pesant sur les entreprises, ces réformes de structure doivent inclure un chapitre sur le desserrement des contraintes portant sur le marché du travail, et aussi sur la fiscalité de ces entreprises de façon à permettre un rétablissement de leurs marges.

Il reste enfin à souhaiter que ces réformes, dont on ne saurait ignorer la difficulté, s'inscrivent dans le cadre d'un programme de long terme et qu'elles soient dotées de la stabilité indispensable si réclamée par les acteurs économiques.