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Le budget de l'Union européenne raboté par le Royaume-Uni

Pour la première fois de l'histoire de l'Union, le budget européen va baisser. Beaucoup d'attente a précédé le sommet du 7 et 8 février dernier sur le budget de l'Union Européenne (UE) de 2014 à 2020. A cette occasion, les États-membres ont débattu pour la seconde fois du projet de budget. Herman Van Rompuy, le Président du Conseil Européen, avait à l'origine proposé la somme de 973 milliards d'euros en novembre 2012, montant qui avait finalement été refusé. [1] David Cameron, le premier ministre du Royaume-Uni, a affirmé qu'il opposerait son veto si la somme n'était pas diminuée. Sa position était que si tous les États-membres devaient adopter des politiques d'austérité du fait de la crise économique il était légitime que celles-ci puissent également se décliner dans le budget de l'UE. [2] Cette vision est d'ailleurs celle de son propre parti (le Parti conservateur) et d'une grande majorité du Parlement britannique. Des députés du Parti conservateur ont même menacé de quitter l'UE si le montant du budget demeurait inchangé. [3] Néanmoins, après environ vingt-cinq heures de négociations, les États-membres de l'UE ont finalement accepté un volume rabaissé à 908,4 milliards d'euros. La somme acceptée représente la première coupe du budget depuis le début de l'UE, depuis cinquante-six ans. [4]

Le budget européen a toujours été une source de conflit pour les États-membres et surtout au Royaume-Uni. Margaret Thatcher, l'ancien Premier ministre du Parti conservateur, avait en son temps obtenu le très controversé rabais britannique en 1984. L'UE le lui avait accordé parce qu'à cette époque-là le Royaume-Uni était un des membres les plus pauvres de l'UE et environ 70% du budget était alors dépensé dans la politique agricole commune (PAC). Il faut préciser que l'économie britannique dispose d'un petit secteur agricole et profite par conséquent moins de la PAC. Aujourd'hui la PAC représente environ 40% des dépenses du budget et le remboursement du Royaume-Uni est d'environ cinq milliards d'euros, équivalent aux deux-tiers de la somme qu'accorde le Royaume-Uni au financement de l'UE. Néanmoins même avec le « chèque britannique », le pays demeure un important contributeur au budget de l'UE. [5]

Le Royaume-Uni souhaite une profonde réforme des finances publiques européennes. Dans un rapport de la Chambre des lords en 2004, le comité restreint sur l'Europe constate que la prédominance continuelle de la PAC dans le budget de l'Union est incohérente dans la mesure où l'agriculture représente moins de 4% du PIB de l'UE. Au contraire, il n'y a pas assez de dépenses qui encouragent une augmentation de la croissance économique européenne. Le comité restreint est ainsi favorable au rapport Sapir pour la Commission européenne qui montre que le budget devrait se concentrer sur les domaines clés de la croissance économique qui contribuent à une solidarité européenne [6].

De plus, le comité restreint a convenu que Bruxelles devrait démontrer la valeur ajoutée de ses dépenses ; crédits qui devraient être soumis à la même épreuve de subsidiarité que la législation européenne en général. L'aide au développement régional attribuée par le budget ne devrait être allouée qu'aux États-membres les plus pauvres signifiant que les États-membres plus riches devraient financer leurs propres politiques régionales. Le comité restreint a en fin de compte conclu que même si des unes de journaux et des débats politiques affirment que le problème principal est le budget lui-même, il est convenu que les objectifs et les instruments du budget ont besoin d'être réexaminés plutôt que son montant lui-même. Le comité est donc favorable à l'introduction d'un panel indépendant qui serait responsable de réexaminer le budget de l'UE. [7]

Au lieu de préconiser les recommandations du comité restreint, certains britanniques souhaitent tout simplement sortir de l'UE face aux contraintes budgétaires. Selon un compte-rendu publié par le Parti de l'indépendance au Royaume Uni (UKIP), le Royaume Uni perd environ 10% de son PIB (£150 milliards) chaque année parce qu'il est membre de l'UE. Le compte-rendu constate que ce déficit est la conséquence du budget européen, de la corruption de l'UE, des immigrés qui empirent la situation de l'emploi, et des normes européennes qui contraignent les entreprises britanniques. [8] A en croire ce parti, le Royaume Uni se porterait d'autant mieux qu'il ne ferait pas parti de l'UE.

En fait, un sondage d'opinion mené par la Commission européenne en juin 2008 a établi que le Royaume Uni était un des États-membres parmi les moins favorables à l'UE. [9] L'euroscepticisme a en fin du compte été un élément significatif de la politique britannique depuis le début de la Communauté économique européenne. Les eurosceptiques britanniques s'opposent à une intégration croissante du Royaume-Uni à l'UE afin de conserver leur souveraineté nationale. Par conséquent de nombreux Britanniques croient que le Royaume-Uni devrait reprendre les compétences transférées à l'UE ou même en sortir. [10]

Leonard Ray en reprenant les sondages des quinze premiers États-membres a trouvé que si un parti est idéologiquement plus proche du courant dominant, il devait être statistiquement normalement moins eurosceptique. [11] Tel n'est toutefois pas le cas du Royaume Uni qui dispose en la matière d'une position singulière. Comparé aux autres États-membres, l'euroscepticisme est une politique adoptée par les partis traditionnels britanniques, bien que les politiques européennes encouragées soient parmi les plus libérales par rapport aux standards européens. [12]

Les journaux britanniques sont même de manière prédominante eurosceptiques ; des titres renommés comme les – ‘Daily Telegraph' et ‘The Times' et les tabloïds – ‘Daily Mail' et ‘The Sun'. Ces journaux représentent environ 75% des journaux quotidiens vendus, qui imposent en général une ligne strictement eurosceptique aux journalistes. [13] Par conséquent le Parti travailliste, l'autre parti traditionnel, est actuellement plus eurosceptique. Quand celui-ci était au pouvoir et qu'il parlait des négociations avec l'UE, il faisait continuellement référence aux 'lignes rouges' et aux 'clauses de dérogations' du Royaume Uni qui étaient nécessaires pour garantir l'intérêt national. [14]

Les pro-européens n'ont pas réussi à engager les eurosceptiques dans un débat adéquat qui soulignerait les avantages de l'UE. [15] Par conséquent de nombreux britanniques ne reconnaissent pas les bénéfices qu'apporte l'UE à leur pays. [16]

Conclusion

La promesse de David Cameron de tenir un référendum sur la question de l'adhésion de l'UE en 2017, s'il est réélu, est également troublante. L'UE n'est clairement pas parfaite mais la réforme est à l'ordre du jour pour tous les États-membres et le Royaume-Uni ne fait pas exception. La politique future du Royaume-Uni devrait donc être fondée sur la réforme plutôt que sur la renégociation. [17]

Si le Royaume-Uni décide néanmoins de sortir de l'UE, il prendra du temps avant de s'ajuster à la nouvelle situation. Le paradoxe voudra peut-être que Royaume-Uni ne comprenne les avantages de l'UE qu'à partir du moment où il n'en sera plus membre. [18] Ce serait dommage car la politique britannique est en même temps, et dans le cas précis de la négociation de l'actuel budget pluriannuel 2014-2020, source de saines interrogations : face à une Europe touchée par la crise et tentée par une fuite en avant par la relance (mise en place de grands projets structurants etc…), l'approche anglaise consiste à questionner les limites du fédéralisme budgétaire européen et la pertinence d'une vraie subsidiarité ainsi que les ressorts véritables de la croissance :

- A quoi sert-il de cotiser à des fonds structurels lorsque l'on se révèle contributeur net ?
- Ne vaut-il pas mieux assumer en interne soi-même sa propre politique de cohésion (sous la surveillance de ses propres contrôles nationaux et de l'UE) et orienter les décaissements de fonds transitant par Bruxelles uniquement en direction des pays qui veulent vraiment rééquilibrer leurs comptes publics en réformant leurs administrations [19] ? Quoi qu'il en soit, l'approche britannique secoue l'UE et incite à sortir de la logique des « services votés » pour questionner de façon dynamique et économe les politiques publiques de l'Union. Il serait dommage de sacrifier cette approche « économe » et respectueuse des intérêts des contribuables européens. Pour contrer l'euroscepticisme, une Union vertueuse sur ses dépenses publiques et plus transparente est cruciale.

[1] ‘EU agrees historic budget deal after all night talks', The Guardian 2013.

[2] ‘EU on brink of historic budget cut after all-nighter in Brussels', The Guardian 2013.

[3] ‘Cameron faces fresh showdown in Brussels as he demands more cuts to £810bn EU budget', The Mail Online 2013.

[4] ‘EU agrees historic budget deal after all night talks', op cit.

[5] ‘Q & A : The UK budget rebate', BBC News 2005.

[6] Le rapport Sapir publié en 2003 a été suivi d'une réflexion également en France, notamment par l'intermédiaire du CAE (Conseil d'analyse économique) avec un constat globalement transpartisan en 2006, bien que les solutions pratiques puissent varier, voir, Aghion, Cohen, Pisani-Ferry, Politique économique et croissance en Europe

[7] House of Lords Select Committee Report, ‘Future Financing of the European Union', (6th Report session 2004-05, HL Paper 62).

[8] United Kingdom Independence Party, ‘How much does the European Union cost Britain ?', p.5.

[9] Centre for European Reform, ‘Why is Britain Eurosceptic ?', p.2.

[10] David Kopel, ‘Silencing Opposition in the EU'.

[11] Leonard Ray, ‘Mainstream Euroscepticism : Trend or Oxymoron,' pp.11 – 12.

[12] Ray, Ibid, pp.9 – 12 et p.18.

[13] Centre for European Reform, op cit, p.3

[14] Gifford, op cit, p.865.

[15] European Policy Centre, “Britain and the EU – Divided by a Channel or a deep blue sea ?

[16] Gifford, op cit, pp.864 – 865.

[17] Policy Network, ‘The illusions of a renegotiated relationship between Britain and Europe', disponible de http://www.policy-network.net/pno_d....

[18] European Policy Centre, op cit. Voir également et de façon beaucoup plus contradictoire, les récents développements consacrés à la faisabilité pour un pays de sortir de l'euro, en particulier le rapport de Capital Economics, “Leaving the euro : A practical guide.

[19] Cette approche sera notamment développée dans une prochaine étude de la Fondation à paraître en février 2013 sur les fonds structurels européens.