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Espagne : réforme du secteur bancaire et du marché du travail

Le gouvernement de Mariano Rajoy est entré en fonction le 21 décembre, par la voie de l'élection, contrairement au gouvernement italien. Dès le 23 décembre il annonçait un planning de réformes importantes pour sortir le pays, qui n'a connu que 0,7% de croissance sur le dernier trimestre, de la crise dans laquelle il se trouve depuis 2008 et l'éclatement de la bulle immobilière espagnole. L'Espagne comptait en décembre 2011 22,9% de chômeurs, soit l'un des taux les plus élevés d'Europe. Les jeunes en sont les premières victimes, puisque près d'un jeune sur deux est aujourd'hui au chômage ; 48,7% selon Eurostat. Deux mesures ont déjà été actées : la première sur le système bancaire, la seconde sur le marché du travail.

La réforme du secteur bancaire

Le 2 février dernier, le gouvernement imposait au système bancaire dans le premier volet de sa réforme, un effort financier de 50 milliards d'euros. Les banques espagnoles ont jusqu'au mois de décembre pour renforcer leurs provisions à cette hauteur. Ces sommes sont destinées à renforcer les actifs immobiliers des banques ; 54% de leur volume global est considéré comme non-fiable par le gouvernement (175 milliards sur 323). Cela dans un paysage bancaire largement sujet au doute, comme le montre le graphique ci-après :

Sur les 50 milliards à provisionner :
- 25 doivent l'être à partir des résultats, pour les actifs douteux (graphique infra : « additionnal provisions ») ;
- 15 autres milliards destinés aussi au renforcement des actifs douteux, devront être levés par des augmentations de capital, par l'émission d'obligations convertibles en actions, ou par le prélèvement directement sur les bénéfices. Ils permettront de rehausser les provisions : pour les terrains hors agglomération de 20%, et pour les projets immobiliers en développement de 15% (graphique infra, partie « capital buffer ») ;
- Les derniers 10 milliards doivent aussi être prélevés sur les résultats afin d'établir une provision générique à hauteur de 7% de la valeur des prêts considérés comme sains.

Cette mesure vise à renforcer la solidité des institutions, fragilisées par les crises successives. « Le système bancaire espagnol sortira renforcé de ce processus, avec des banques moins nombreuses mais plus solides, ce qui voudra dire que les prêteurs espagnols figureront parmi les plus sains de l'Union Européenne » a déclaré le ministère de l'économie dans son communiqué.

(source : Gobierno de España)

Le deuxième volet de la réforme bancaire est l'incitation à la concentration des institutions financières. Les banques qui choisissent de fusionner bénéficient d'un délai prolongé d'un an pour restructurer leurs actifs immobiliers ; restructuration qui pourra être faite sur le bilan unifié de la nouvelle structure. La condition est de fournir un plan de faisabilité et des mesures pour la nouvelle gouvernance de l'institution, facilitant une intégration rapide et efficace, avant le 30 mai 2012. La mesure intervient au moment où les deux géants bancaires du pays Bankia et CaixaBank envisagent de se rapprocher. Notons que la première des deux est déjà le fruit de fusions opérées à partir de 2007 suite à la première crise. Parallèlement la réforme prévoit le renforcement du Fonds pour la Restructuration Ordonnée des Banques (FROB) [1], créé en 2009, de 9 à 15 milliards d'euros dans le but d'aider au redressement des institutions financières. L'Institut public de crédit (ICO) [2] a lui aussi été renforcé de 10 à 15 milliards, afin de pallier les retards de paiement des communautés autonomes (régions) étranglant les PME espagnoles.

La réforme du marché du travail

Adoptée le 10 et effective le 12 février dernier, cette réforme vise à flexibiliser le marché du travail. Celui-ci est verrouillé par un dualisme qui oppose les emplois à durée déterminée très faciles à licencier, aux emplois à durée indéterminée aux conditions de licenciement quasiment impossibles à réunir, à cause des lourdes charges qui les accompagnent. Ceci rend l'insertion des jeunes sur le marché du travail particulièrement difficile, et explique en grande partie leur taux élevé de chômage, comparativement aux autres pays développés qui peuvent connaître des difficultés conjoncturelles semblables. Le but de la réforme est de résorber la distance entre un CDD abondamment utilisé mais précarisant, et un CDI trop rigide et donc trop peu utilisé.

Le décret-loi comprend une série de mesures visant à :

  • Fluidifier et renforcer le marché du travail

Le gouvernement espagnol a décidé, comme l'iFRAP le suggère pour la France, de flexibiliser le marché du travail en réduisant la réglementation autour du licenciement. Ainsi les indemnités dans le cadre d'un licenciement abusif, sont réduites de 45 à 33 jours par année d'ancienneté versées sur deux ans désormais au lieu de trois et demi auparavant. Pour les licenciements justifiés, les indemnités sont aussi baissées à 20 jours par année travaillée versées sur un an. Les modalités de ce dernier point sont aussi revues afin d'en faire le mode de licenciement principal. De même le cadre des licenciements collectifs est modifié : l'autorisation administrative n'est plus nécessaire. Un bonus pouvant aller jusqu'à 4.500 euros est offert à chaque entreprise pour l'emploi en CDI d'un chômeur de plus de 45 ans. Un autre bonus de 1.500 euros est accordé aux entreprises qui transforment un CDD en CDI. L'interdiction de cumuler pendant plus de 24 mois des CDD est réintroduite.

  • Faciliter l'emploi des jeunes

Est créé un nouveau contrat à durée indéterminée avec une période d'essai augmentée à un an, destiné spécialement aux PME jusqu'à 50 salariés et aux créateurs d'entreprises ; les entreprises qui embauchent comme premier salarié un jeune de moins de 30 ans perçoivent une réduction d'impôt de 3.000 euros. Les nouveaux employés bénéficient d'une autre réduction d'impôts de 50% sur leurs primes. L'emploi d'un chômeur de moins de 30 ans en CDI donne lieu au versement d'un bonus de 3.600 euros. Par ailleurs les chômeurs de moins de 30 ans peuvent désormais capitaliser 100% de leurs indemnités de chômage s'ils décident de lancer leur propre entreprise.

  • Aménager les conditions du dialogue social

Les modifications de contrat individuel sont facilitées. L'autorisation administrative nécessaire pour le chômage partiel disparait. Les conventions internes à l'entreprise sont rendues prioritaires sur les conventions régionales ou sectorielles.

  • Revoir les modalités de la formation professionnelle

Un nouveau droit individuel à la formation professionnelle de 20 heures par an est ouvert. Les contrats en apprentissage sont encouragés et ne sont plus limités en nombre pour un individu. L'offre de formation professionnelle va être par ailleurs accrue. Un registre de formation pour chaque travailleur va être créé pour améliorer son suivi, en cas de chômage.

D'autres mesures sur les entreprises publiques

Avant d'attaquer le troisième grand chantier promis par Mariano Rajoy, celui de la réforme fiscale, son gouvernement a déjà adopté d'autres mesures en particulier sur les salaires des cadres des entreprises publiques. Selon la taille de l'entreprise, les cadres sont classés en trois catégories. Les grandes entreprises publiques ne pourront pas verser des salaires annuels supérieurs à 105.000 euros ; les moyennes, supérieurs à 80.000 euros ; et les petites, 55.000 euros. A ces salaires pourront néanmoins s'ajouter des valorisations et des primes selon le poste et les résultats de l'entreprise. Le nombre des cadres est par ailleurs réduit dans les conseils d'administration. Ils ne pourront plus être que quinze au maximum dans les grandes entreprises, douze dans les moyennes et neuf dans les petites.

Conclusion

Malgré les vives oppositions qu'ils suscitent, Mariano Rajoy et Mario Monti profitent des premiers cent jours de leur gouvernement pour entamer des réformes profondes dans leurs pays respectifs. L'Espagne et l'Italie sont certes parmi les États européens les plus touchés par la crise, mais la France n'est pas loin derrière. Le gouvernement qui en prendra la tête en mai, devra saisir lui aussi cette période clé pour réaliser les réformes structurelles dont la France a besoin.

Si le système bancaire français semble moins affecté que son homologue ibérique, tout comme l'Espagne, la France est particulièrement menacée par les rigidités qui enserrent son marché du travail. Comme nos voisins, revoir les conditions du dialogue social et l'insertion des jeunes sur ce marché est donc indispensable.

[1] Fondo de Reestructuracion Ordenada Bancaria

[2] Instituto de Crédito Oficial