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Pourquoi il faut fusionner les petites communes et « mutualiser » les plus grosses

Le débat sur la fusion des petites communes afin d’atteindre un seuil critique est récurrent dans le cadre de la réorganisation territoriale où partisans et adversaires s’affrontent sur les « coûts » engendrés ou les « économies » générées par ces fusions. Pour résumer le paysage actuel :

  • Les partisans des petites communes mettent en avant la proximité des élus, et leur fort bénévolat qui seraient facteurs de « maîtrise » d’une probable envolée de la masse salariale en cas de passation à une échelle supérieure, selon la logique du « mieux disant » administratif.
  • Les partisans de la fusion rétorquent au contraire que les très petites communes sont directement et indirectement des facteurs de coûts liés à leur très fort émiettement et aux dépenses engendrées par habitant qu’elles occasionnent.

La Fondation iFRAP, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années, estime que la rationalisation des dépenses des petites communes de moins 500 habitants (par un alignement ou fusion avec la strate supérieure) représente un potentiel d'économies de 1,36 milliard d'euros. Pour les très grandes communes, les économies potentielles seraient de 1,58 à 2,4 milliards d'euros selon l'hypothèse retenue.

Nous voudrions cependant clarifier le débat en y versant les chiffres incontestables fournis par la DGCL dans ses différents rapports, notamment Les collectivités territoriales en chiffre (2010 à 2013), ainsi que les budgets primitifs des communes, document qui n’est suivi de façon consolidée que jusqu’en 2012. L’ensemble des données fournies offre une vision plus claire des collectivités territoriales et des coûts qui leurs sont associés en fonction de leurs strates d’appartenance.

La structure des budgets primitifs des communes par strate en euro/habitant permet de bien mettre en lumière les « surcoûts » liés aux dépenses réelles totales des communes inférieures à 500 habitants.  En effet elles affichent en moyenne des dépenses réelles totales de 1 805,5 euros/hab, soit de 20% supérieures à celles de la strate immédiatement supérieure (1 503,5 euros/hab) en 2012. On assiste alors à une sorte de courbe en « U », puisqu’il faut aller jusqu’à des tailles comprises entre 10 000 et 20 000 habitants pour avoir des dépenses moyennes/habitant d’un montant comparable.

L’échantillon qui est fourni par la DGCL et qui n’est pas exhaustif (à 6 000 unités près, surtout localisées dans les plus basses strates[1]), permet tout de même de montrer que ces communes inférieures à 500 habitants sont au nombre de 13 589, représentant 45% des communes de l’échantillon. Si l’on y ajoute la strate immédiatement supérieure 500/2000 habitants, cela représente alors 38% de l’échantillon supplémentaire (soit à elles deux près de 83% de l'échantillon).

Un premier mouvement consisterait alors à supprimer progressivement les communes inférieures à 500 habitants afin de les regrouper dans des ensembles minimaux de 500 à 2 000 habitants. La structure de coût en serait améliorée tant au niveau des dépenses de fonctionnement courantes que des dépenses d’investissement (en particulier le montant des dépenses d’équipement brut par habitant décroît très rapidement avec la taille des collectivités[2]). Le différentiel n’est pas anodin, il est de l’ordre de 148,4 euros/habitant pour les dépenses de fonctionnement et de 153,6 euros/habitant pour les dépenses d’investissement.

Une présentation décomposée permet de mieux se rendre compte des économies théoriques engendrées par les économies d’échelle :

Il apparaît en particulier que si les dépenses de personnel par habitant croissent quasi-linéairement avec la taille de la commune en question, cependant la relation est inverse s’agissant des charges à caractère général et des autres charges courantes, sur l’ensemble quasiment de la distribution. Ces économies ne suffisent pas à compenser l’augmentation des charges de personnel, mais si l’on confronte ces charges à la population de communes, il est facile de comprendre le potentiel d’économies des très petites communes :

Les communes de moins de 500 habitants représentent une population de 4,49 millions d’habitants. Si l’on rapporte avec les limites méthodologiques de l’échantillon présenté la dépense par habitant à ce qu’elle pourrait être par alignement avec la strate supérieure, l’économie pourrait théoriquement apparaître à hauteur de 667,1 millions d’euros en dépenses réelles de fonctionnement et de 690,56 millions d’euros en dépenses d’investissement. La « rationalisation » des dépenses des très petites communes pourrait ainsi représenter un gisement de près de 1,36 milliard d’euros (hors coûts de fusion pendant la durée de transition) ; et ce, en tenant compte de l’augmentation « mécanique » des dépenses de personnel induit par le franchissement d'une strate (l'augmentation de ces derniers étant dans ce cas présent, plus que compensé par une diminution des charges de fonctionnement courant et des dépenses d'équipement (investissement), liées aux premiers gains d'échelle).

A l’autre bout de la distribution les communes dont les tailles sont comprises entre 20 000 et 100 000 habitants présentent elles aussi des structures de dépenses/habitant anormalement élevées, qui dépassent seulement à cette aune le total des dépenses réelles totales affichées par les collectivités de moins de 500 habitants. Ces entités représentent dans l’échantillon de la DGL 403 communes (pour une population de 15,31 millions d’habitants[3]). Leur nombre est donc aisément maîtrisable et devrait justifier là encore la recherche d’économies de mutualisation substantielles (mutualisation avec leur EPCI de surplomb, rationalisation en interne). Des dépenses publiques qui pourraient d’ailleurs converger progressivement vers celles :

  • Des communes supérieures à 100 000 habitants hors Paris,
  • des communes de 10 000 à 20 000 habitants (avec une approche plus ambitieuse).

A la clé des économies de l’ordre de 1,58 milliard d’euros dans la première hypothèse et de 2,4 milliards sur les dépenses réelles de fonctionnement (les dépenses d’investissement sont déjà plus faibles par habitant) dans la seconde hypothèse. Ces ordres de grandeurs sont nécessairement frustres. Evidemment, ils ne comprennent pas les coûts éventuels de fusion ou pour les collectivités entre 20 000 et 100 000 les coûts supplémentaires de mutualisation. Il est toutefois important de relever que ces distributions montrent bien qu’il serait sans doute possible de « rationaliser » l’émiettement des collectivités en dégageant des économies substantielles. Sachant que les dépenses réelles de fonctionnement représentaient de l’ordre de 65,42 milliards en 2012 pour les communes, les économies dégagées sur les petites communes et les gains de mutualisation sur les grosses communes seraient de l’ordre de 4,68% en fonctionnement, tandis qu’avec 25,16 milliards de dépenses d’investissement en 2012, les gains en investissement seraient de l’ordre de 2,7%.

Les coûts cachés constitués par les EPL (établissements publics locaux) et les syndicats intercommunaux :

S’intéresser à la population des communes n’est pas suffisant pour bien cerner les coûts publics induits par ces structures locales. Non seulement viennent s’y rajouter les structures intercommunales de plein exercice dont la couverture est désormais complète sur l’ensemble du territoire national, soit 2.133 EPCI à fiscalité propre dont 1.309 à fiscalité professionnelle unique (le reste étant constitué par des établissement à fiscalité additionnelle, soit 824 EPCI). Il faudrait cependant y rajouter par strate 1.180 SIVOM (634 millions d’euros de dépenses réelles de fonctionnement (dont 220 de personnel) et 547 millions d’euros de dépenses réelles d’investissement en 2013), mais aussi 13 058 syndicats, représentant des dépenses de fonctionnement de 9,538 milliards d’euros et des dépenses réelles d’investissement de 7,7 milliards, notamment les SIVU (syndicats à vocation unique), les EPA culturels, les EPIC locaux.

Mais également des établissements publics communaux stricto sensu, 27 220 CCAS (centres communaux d’action sociale), 1.822 caisses des écoles, associations syndicales de propriétaires (10.251), sans même évoquer les organismes émargeant aux budgets annexes des collectivités. Ces budgets annexes ne sont pas anodins et ont permis récemment à certaines collectivités de moduler en leur faveur leur contribution DGF au redressement des comptes publics, celle-ci étant calculée jusqu’à présent sur les recettes réelles de fonction des budgets principaux (voir l’amendement de Olivier Dussopt dans le cadre du PLF 2016). Ils peuvent porter notamment des services de gestion des déchets. De son côté la DGCL ne recense que 3 244 établissements communaux (CCAS et caisses des écoles comprises), c’est peu, mais les syndicats intercommunaux comme les établissements communaux sont mal consolidés dans les comptes locaux, si bien que leur suivi et notamment par strate laisse fortement à désirer. Or, leur densité semble là encore inversement proportionnelle à la taille des communes qui les utilisent, ce qui devrait permettre sans même faire appel aux services pris en charge par les services de l’Etat déconcentré (notamment les trésoreries de classe C4 et C3 dans l’élaboration des budgets primitifs locaux pour les petites communes) de faire comprendre tout l’intérêt d’une rationalisation afin de faire non seulement apparaître les coûts budgétaires complets de l’action communale et l’importance de rationaliser les petites structures.


[1] Il apparaît notamment qu’au 1er janvier 2015 avec 36 658 communes les moins de 500 habitants représentent 54% de l’ensemble, soit 19 796 communes, alors que l’étude de 2012 n’en recense que 13.589, soit environ (à cause des entrées et sorties durant les deux périodes), 69%.

[2] Ainsi les charges d’intérêt de la dette communale pour 2012 représentent une fonction croissante de la taille de la collectivité mais inversement proportionnelle à ses charges d’équipement par habitant. Les charges d’équipement sont ainsi de 836 euros pour les communes de moins de 500 habitants, mais de 535,6 euros/hab pour les communes de plus de 100 000 habitants.

[3] Consulter pour la population 2015 millésime 2012, le rapport de l’observatoire des finances locales 2015, p.12.