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Métropole du Grand Paris : vigilance sur les dépenses locales

Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a récemment déclaré son intention de briguer la présidence du Grand Paris, qui rappelons-le, rassemblera à partir du 1er janvier 2016 les communes de Paris et de la petite couronne, avec à terme une disparition inéluctable des départements concernés [1]. Le Premier ministre y avait déjà fait allusion en commentant la conférence de presse du Président de la République sur la réforme de l'organisation territoriale précisant : "je suis favorable à ce que l'on aille vers la suppression des départements de la première couronne (…) On a besoin de métropoles et autour des métropoles, il faut simplifier".

L'avenir des départements de la petite couronne [2]est indissociable du projet de métropole parisienne. Le président de l'Assemblée nationale, député de Seine-St-Denis, et ancien président du Conseil général de Seine-St-Denis, dont on dit qu'il a été à la manœuvre pour l'émergence de ce projet de métropole parisienne, avait déjà déclaré son intérêt pour la fusion des départements de petite couronne avec Paris dans un entretien au quotidien Libération en 2012. Dans cet entretien il avait insisté sur un point important : "En 2008, quand Philippe Dallier[sénateur UMP de Seine-Saint-Denis et auteur d'un rapport sur le Grand Paris, ndlr] a préconisé la fusion des quatre départements dans son rapport, j'étais réservé. Je pensais que la péréquation financière suffirait à corriger les inégalités. Force est de constater que ce n'est pas le cas. La situation de mon département m'a fait bouger." Ce qui est intéressant dans cet extrait c'est que celui qui était à l'époque président du Conseil général de Seine-St-Denis se plaint de l'inefficacité de la péréquation financière.

La péréquation est un mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales. Depuis mars 2003, elle a valeur constitutionnelle ("la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales" -article 72-2). On distingue deux types de péréquation : « horizontale » entre les collectivités territoriales « riches » vers les collectivités défavorisées ; et « verticale » : dotations de l'État vers les collectivités, dont la DGF - dotation globale de fonctionnement - est la plus importante des dotations.

Cette péréquation se caractérise par des flux essentiellement verticaux (85 à 90%) car il est plus facile pour les collectivités de se mettre d'accord entre elles pour faire payer le contribuable national. La péréquation horizontale se caractérise, elle, par des circuits extrêmement complexes où des collectivités peuvent être en même temps bénéficiaires et contributrices. Dans un contexte de rigueur budgétaire, l'État a baissé ses transferts financiers en direction des collectivités locales en 2014 et 2015. Pour les départements fortement dépendants de la péréquation, la question de l'évolution de leurs recettes de fonctionnement se pose :

Montant en € par habitant ; chiffres 2012DGFAttribution de péréquation et de compensation Total des produits de fonctionnement
Paris (département de) 7 2 959
Val-de-Marne 180 32 1.044
Seine-Saint-Denis 192 45 1.136
Hauts-de-Seine 170 9 1.109

Source : DGCL

Pour remédier à cela Il a donc été prévu une montée en charge de nouveaux mécanismes de péréquation horizontale :

RégionsDépartementsIntercommunalitésCommunes
Fonds national de péréquation des ressources des régions (23 M€) Fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux des départements (279 M€)

Fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçue par les départements (60 M€)

Dotation de solidarité communautaire (DSC) Facultative

Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC)

Fonds de solidarité de la région Ile-de-France (FSRIF) (230 M€)

Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) (360 M€)

Fonds départemental de péréquation de la taxe additionnelle aux droits de mutation

Source : Vie-publique.fr

Cet accent mis sur les mécanismes de péréquation horizontaux a aussi pour but inavoué de "couper l'addiction des collectivités locales à la dépense publique" car plus une collectivité locale est riche, plus elle dépense. En lui prélevant une partie de ses richesses, on l'oblige en quelque sorte à une gestion plus économe. C'est donc une évolution importante qui est à l'œuvre : l'État qui est engagé dans un processus d'économies, encourage sans le dire les collectivités à s'y mettre aussi, elles qui se sont longtemps considérées comme non concernées par le redressement des finances publiques. Problème : dans cette belle mécanique, la fusion des départements de la petite couronne et l'intégration dans la métropole du Grand Paris permet de contourner cette obligation de modération budgétaire.

En effet, l'intégration des 4 départements va permettre de mutualiser directement mes recettes mais elle risque surtout d'augmenter tout simplement le niveau des dépenses de l'ensemble des collectivités concernées. Comme le démontrait une étude KPMG portant sur la fusion région-département, il était question du risque "d'alignements politiques", à savoir que lorsqu'une collectivité locale a mis au point un bouquet de compétences avec un certain niveau généreux de prestations, il est difficile, voire impossible de ne pas envisager un alignement par le haut des interventions surtout en cas de "fusions horizontales" ou d'anciennes compétences partagées ("fusions verticales").

Or, comme nous l'avions montré dans une précédente note sur la Seine-St-Denis, les dépenses sociales facultatives y sont généreuses (la Chambre régionale des comptes avait relevé dans un rapport que les dépenses sociales avaient connu une forte évolution en raison des dépenses transférées mais aussi de nombreuses aides volontaires : pour les collégiens, aide à l'acquisition d'ordinateurs et, plus particulièrement, pour les personnes âgées, adoption de deux schémas départementaux gérontologiques, délégation de service public pour la télé-assistance à 3.669 abonnés, fin 2006, conditions abaissées pour l'aide sociale à l'hébergement, 53.466 bénéficiaires de la carte améthyste, 311 bénéficiaires de l'allocation chèque-taxi [3]) et les charges de personnel nécessaires au fonctionnement du département particulièrement élevées (253 €/hab. contre 165 €/hab. pour la moyenne des départements de plus d'1 million d'habitants [4]).

La fusion des départements qui se profile pour la constitution de la métropole du Grand Paris doit donc nous amener à être vigilants : derrière d'apparentes économies sur les frais de structures, elle peut vite avoir un effet inflationniste sur les dépenses locales si on retient le principe d'un alignement par le haut des compétences et des niveaux d'intervention.

Extrait de l'interview donné par Anne Hidalgo aux Échos

Paris reverse-t-elle trop aux fonds de péréquation ?

Anne Hidalgo : Paris y contribue massivement et c'est normal. Mais ce légitime effort de solidarité doit être davantage fléché vers la métropole du Grand Paris au lieu d'être disséminé dans toute la France. Le Grand Paris génère 29 % du PIB français et 4 % du PIB européen, et il y a d'énormes efforts à faire pour le rendre plus compétitif, en agissant sur le logement, les transports, en rééquilibrant les inégalités de territoires. Tout cela exige des investissements importants, une vision au long terme. Attention à ne pas faire trop de péréquation et à avoir une vision de court terme, qui risquerait d'affaiblir les métropoles.

[1] Paris, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis

[2] Et dans un second temps des départements de la grande couronne

[3] voir page 9, Rapport d'observations définitives : département de la Seine-Saint-Denis, exercices 2004 et suivants ; http://www.ccomptes.fr/content/down…

[4] source DGCL et explications de Claude Bartolone sur ce point : http://www.ccomptes.fr/content/down…