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Métro nocturne, un projet finançable

En août 2016, le maire de Londres, Sadiq Khan (Labour) annonçait la mise en place d’un « Night Tube », service de métro de nuit les vendredi et samedi soirs. La très attendue initiative faisait partie des réclamations des usagers des transports londoniens depuis plusieurs années et s’inscrivait en outre dans la dynamique des métropoles internationales pour se doter de meilleures offres de transport nocturne ; ce sont ainsi les métros de Berlin, Copenhague et New York qui fonctionnent en continu sur au moins certaines nuits.

En Île-de-France, si la cause de l’amélioration des transports nocturnes fédère tous bords politiques, elle ne semble pas être une priorité absolue. En 2015, le maire de Paris, Anne Hidalgo avait avancé la proposition de reculer chaque année d’une heure le passage du dernier métro, sans toutefois envisager une ouverture continue de nuit. 

Un projet contemporain ambitieux

Le chiffrage du coût de la circulation nocturne du métro parisien a été évalué à 400 millions d’euros. Le projet, jugé impossible par plusieurs responsables, requerrait une reformulation complète de la maintenance du réseau. La politique actuelle du syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) est de favoriser l’entretien du réseau existant et l’achat de nouveaux matériels.

Le fonctionnement nocturne du réseau des métros (particulièrement couplé à celui des RER) pourrait avoir des bénéfices similaires à ceux avancés par la mairie de Londres : attractivité touristique accrue, déplacements des actifs facilités (le travail nocturne concernerait 13% des franciliens), voire création de nouveaux emplois.

L’estimation donnée de 400 millions d’euros ne concerne que le réseau des métros, mais il pourrait être envisagé d’ouvrir certaines portions du réseau des RER. De plus, un fonctionnement nocturne du métro permettrait de réduire le recours aux lignes des bus nocturnes.

La question de l’ouverture nocturne des transports publics franciliens soulève en premier lieu le problème du financement. Au vu du déficit affiché par le STIF (300 millions d’euros), l’enjeu du financement est d’ores et déjà présent dans le cadre des transports franciliens. Pourtant celui-ci présente plusieurs sources d’amélioration de ses recettes.

Différentes options

Montant

Option 1 : Suppression du tarif unique Navigo

485 M€

Option 2 : Majoration nocturne spéciale éventuelle

36,5 M €[1]

Option 3 : Amélioration de la lutte contre la fraude (objectif 50-90%)

180-324 M€

Note de lecture : Ces options sont potentiellement complémentaires.

Le forfait unique du pass Navigo : un coût annuel de 485 millions d’euros

Le coût du forfait unique Navigo, aligné sur celui des zones 1 a été estimé à 485 millions d’euros pour l’année 2016, un montant supporté à hauteur de 210 millions d’euros par une hausse du versement transport (déjà relevé successivement depuis 2010) et par la région, à hauteur de 275 millions d’euros. Le montant acquitté par les usagers se trouve ainsi transféré sur les charges pesant sur les entreprises et les ménages. De plus, les modalités de compensation du projet de relever le seuil d’assujettissement des entreprises au versement transport de 9 à 11 salariés n’ont pas encore été précisées et pourraient donner lieu à de nouveaux déficits en l’absence d’adaptation.

De même le prix de 70€ du pass Navigo, fixé en septembre 2015, avait été accusé d’avoir engendré une partie du déficit du STIF, qui s’élevait à 300 millions d’euros en 2016.

Les usagers franciliens bénéficient de prix parmi les plus bas d’Europe, avec notamment le prix d'un ticket de métro à 1,80€, contre 2,70€ à Berlin, 3,50 CHF à Genève et plus de 2,55£ à Londres. Si le prix des abonnements annuels que l'usager paye ne sont pas les moins chers d’Europe, leur coût demeure inférieur à ceux de Berlin et plus de deux fois moins élevés que ceux de Londres (environ 157€). De plus, de nombreuses exonérations partielles ou totales du coût du pass Navigo par l’employeur ou les collectivités locales sont en place.

Source: Cour des Comptes

Plusieurs options sont envisageables pour dégager des marges de manœuvre plus importantes pour l’innovation sur le réseau francilien :

  • La révision du forfait unique du pass Navigo pour revenir sur un modèle de zones ;
  • Accroitre la participation des usagers dans le financement des transports publics (ce qui se traduirait par une augmentation des prix des transports, pass Navigo ou trajets individuels) ;
  • Une solution tarifaire.

La fraude : un manque à gagner cumulé de 360 millions d’euros

Si Paris ne se distingue pas en matière d’ouverture tardive des transports en commun, c’est sur le plan de la fraude que la capitale française s’illustre.

Bien que ses chiffres présentent une difficulté particulière à estimer, et entrainent en conséquence nombre d’imprécisions dans la mesure des conséquences de la fraude, le STIF estimait à 366 millions d’euros le montant de la fraude en 2013. En 2014, les estimations s’élèvaient à 14 millions de voyages fraudés sur le réseau des RER, 84 millions sur celui des métros, 23 millions sur celui des tramways et 123 millions sur celui des bus (dans ces deux derniers, la proportion de voyages fraudés s’élevait à 14%). Le taux de fraude atteint jusqu’à 28% dans les bus nocturnes du week-end et 27% dans le bus Noctilien.

La lutte contre la fraude : un combat envisageable

  • Optimiser le recouvrement des amendes

La Cour des comptes[2] estime que la pénalité dont est assortie la constatation de la fraude n’est pas d’un montant assez élevé pour la dissuader de manière efficace. En atteste l’existence de « mutuelles de fraudeurs », associations frauduleuses d’usagers illégaux permettant le remboursement des amendes moyennant le versement d’une « cotisation » mensuelle inférieure au prix d’un pass Navigo (dont nous rappelons que le prix n’est payé qu’en minorité par l’usager, cf. infra). Ainsi une augmentation de la sévérité des amendes permettrait de renforcer leur fonction dissuasive auprès des usagers. De même, la récidive n’est que rarement sanctionnée, la SNCF estime que les récidives représentent une proportion totale de 60% des amendes adressées sur son réseau, dont 18% de délits d’habitude. Ce délit représente une forme extrême de fraude, dont la qualification a récemment été abaissée à 5 voyages irréguliers en l’espace d’une année et est sanctionnée d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende. Entre 2008 et 2013, seules 2.757 condamnations avaient été prononcées, tandis que le nombre de multirécidivistes d’habitude était estimé à 22.000 sur la seule année 2014.

Part de chaque catégorie de fraudeur dans l’ensemble des amendes sur le réseau SNCF en Île-de-France, source SNCF

De plus, en cas de sanction, le recouvrement du paiement des amendes tend à être particulièrement déficient. Si 30% des fraudeurs paient immédiatement une contribution forfaitaire au moment du contrôle, un procès verbal est dressé dans les autres cas, or, la plupart de ceux-ci ne sont pas recouvrés, du fait de fausses déclarations d’identité, ou d’adresse périmées. Ainsi, 43% des procès-verbaux de la RATP et 50% de la SNCF étaient adressés à de mauvais destinataires. Parmi les procès-verbaux non réglés, certains (46% des amendes non acquittées pour la RATP, 23% pour la SNCF) sont portés en procédure administrative devant le trésor, où les taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées est encore plus faible.

Devenir des amendes pour fraude dans chacune des deux compagnies de transport

  • Diminuer la perméabilité du réseau à la fraude

Le durcissement des contrôles tels qu’ils se pratiquent aujourd’hui semble difficilement envisageable, car le contrôle de l’identité d’un fraudeur refusant de collaborer ne peut être effectué que par un officier de police judiciaire et qu’en leur absence, un fraudeur ne peut être retenu plus d’une heure. Notons que des améliorations sont envisagées en matière de communication électronique entre la RATP et la SNCF et les différentes administrations afin de vérifier avec plus de précision les adresses relevées lors des contrôles.

En outre, l’accroissement du rythme actuel demeure une question complexe du fait des statuts des personnels liés à leurs conditions de travail souvent pénibles au contact d’usagers peu coopératifs, parfois violents. Toutefois, un renforcement technique des accès aux transports ferrés permettrait de considérablement juguler la fraude. L’installation de moyens plus perfectionnés, tels que des portes de taille plus élevée, infranchissables, et aux délais de fermeture plus brefs (des portes plus larges actionnables par le personnel de station existent déjà dans plusieurs stations pour les passagers munis de bagages ou d’enfants en bas âge) permettraient de considérablement diminuer le taux de fraude sur les métros, RER et Transilien et d’alléger la charge des personnels de contrôle des entreprises de transport. De telles mesures, il en va de soi, s’inscrivent dans le long terme et pourraient s’entreprendre ligne après ligne, au fil des travaux d’entretien des réseaux existants qui figurent en bonne place sur l’agenda de la RATP pour les années à venir.

Le coût annuel des moyens humains de lutte contre la fraude (personnels de contrôle hors sécurité) s’élevait à 67,3 millions d’euros pour la RATP et 49,4 millions d’euros pour la SNCF en 2013. L’amélioration des technologies de lutte contre la fraude en entrée de station rendrait possible une remobilisation d’une partie des personnels affectés au contrôle de la fraude sur les réseaux ferrés (en particulier métro, RER et Transilien) au profit des contrôles sur les réseaux de bus et de tramways où la fraude est la plus importante. Une telle évolution dans l’emploi des moyens concernerait nécessairement davantage la SNCF, qui a la charge d’un réseau uniquement ferré.

Réseau

Voyages frauduleux sur l’année 2013 (en millions de voyages)

RER

14

Tramways

23

Métro

84

Bus

123

Ouverture de nuit : de quelle manière procéder ?

Une ouverture de nuit des moyens de réseaux ferrés de transport parisiens rendrait possibles de nombreuses retombées sur le potentiel touristique comme sur l’activité économique, comme cela a été le cas dans d’autres métropoles européennes. L’exemple de Londres est particulièrement instructif, notamment en termes de délais d’ouverture, commençant par l’ouverture de deux lignes au trafic de nuit, élargi à cinq, puis à dix. De même, la proposition soumise par Anne Hidalgo envisageait en priorité l’ouverture des deux lignes automatiques parisiennes (1 et 14). Dans une perspective expérimentale et afin d’ajuster au mieux les économies potentielles, l'introduction de recettes dégagées sur les redevances de nuit majorant le pass Navigo et la lutte contre la fraude pourraient être envisagées afin de procéder à une extension dans le temps : en fin de semaine, sur deux jours, puis extension progressive du vendredi au lundi (à rebours de la semaine, jeudi, mercredi, etc.).  Le séquençage du gage (cf. tableau 1 supra) pourrait débuter par la majoration du pass Navigo pour les noctambules, voire un retour au zonage de la tarification du pass Navigo (partiel ou total). Ce n’est qu’ultérieurement que le renforcement de la lutte contre la fraude devrait produire ses effets.

Si l’utilité exacte du projet  reste à évaluer par la région parisienne, les pistes de financement soulevées demeurent réelles et, au vu des déficits du STIF, tout à fait envisageables afin de  constituer de nouvelles sources de revenu ou de limitation des pertes. Les points avancés ci-dessus peuvent autant s’appliquer au financement d’un projet d’extension des horaires de transports qu’à une amélioration du financement des réseaux.


[1] Base de 600.000 franciliens travaillant de nuit, 87% de salariés, sur la base d’une majoration « nocturne » de 10€ par mois

[2] Rapport annuel, février 2016, 15, La lutte contre la fraude dans les transports urbains en Île-de-France : un échec collectif (https://www.ccomptes.fr/Accueil/Publications/Publications/Rapport-public-annuel-2016)