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Les collectivités territoriales doivent maintenant passer aux actes, mais l'Etat doit vraiment les y aider…

En 2015, les collectivités territoriales vont devoir s'inscrire, et pour longtemps, dans une logique de réduction sensible de leurs dépenses, afin de participer pleinement à l'effort collectif de redressement de nos comptes publics. Cette mise en musique qui ne se fera pas sans heurt, doit aboutir à changer de logique de budgétisation, et à ce que des efforts réels de mutualisation et d'économies soient engagés, dans un environnement financièrement contraint.

D'ailleurs, le front uni territorial commence à se fendre : les régions par l'intermédiaire de leur président Alain Rousset fustigent le bloc communal : « Le bond de la fonction publique territoriale c'est les intercos. Et les redondances entre les syndicats, il faut que vous mettiez de l'ordre là-dedans, c'est le bazar et le bazar coûte cher ».

Cependant, pour que l'exercice ne s'apparente pas à un jeu de dupes, il importe que les différents leviers « dépensiers » soient bien mis en évidence afin que l'on ne cherche pas, ni au niveau de l'Etat, ni au niveau local, à user de la logique des faux-semblants. La Fondation iFRAP veut contribuer à la réforme qui s'annonce en proposant pour cela quelques pistes de réflexion :

L'État doit être cohérent et adresser le moins possible de dépenses nouvelles non compensées aux collectivités territoriales :

De ce point de vue, le dernier rapport 2013 du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) est éclairant. On y relève notamment que le coût global brut des normes soumises à évaluation en 2013 représentait 1,853 milliard d'euros, pour un coût net de 1,2 milliard d'euros (en en retranchant les économies générées sous l'action du CNEN (181,8 millions d'euros) et les recettes supplémentaires votées (469 millions d'euros). En réalité, le coût adressé aux collectivités est représenté essentiellement par :

  • Le déploiement de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École publique, pour 600 millions d'euros ;
  • 418,9 millions d'euros relatifs à la revalorisation des catégories C de la fonction publique territoriale (qui y sont particulièrement nombreuses, près de 75,7% en 2012 [1]), mais 581,6 millions d'euros si l'on y rajoute d'autres mesures impactant la fonction publique territoriale (soit +162,7 millions d'euros d'autres mesures sur les personnels) ;
  • 235 millions d'euros à la charge des départements au titre de la revalorisation du revenu de solidarité active.

La difficulté sur ce champ vient de la lenteur du « moratoire » décidé par le président de la République dans le cadre du conseil des ministres du 20 août 2014. Il y est en effet précisé (nonobstant la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 instaurant un « gel » des normes réglementaires applicables aux collectivités territoriales (avec un moratoire dit « 1 pour 1 »)) qu'il faudra attendre 2017 pour que le coût net annuel des normes nouvelles applicables aux collectivités locales soit ramené à zéro… c'est-à-dire totalement compensé (par des économies en dépenses ou des recettes supplémentaires).

Cela veut dire que d'ici là, les collectivités territoriales vont continuer à recevoir des dépenses transférées sur lesquelles elles n'ont en pratique aucune prise. Le mouvement est donc beaucoup trop lent en période d'ajustement budgétaire massif sur le bloc local. Il importe de faire mieux et de s'attaquer au stock de réglementation locale, qui pourrait se faire sur le modèle du « red tape challenge » britannique. Une initiative qui avait permis au niveau national en 2014 de supprimer ou d'améliorer 3.100 réglementations. Nous avons donc besoin aujourd'hui d'un moratoire effectif net sur les normes locales [2].

Mettre fin au dogme de l'unicité de la fonction publique :

On le sait, la fonction publique d'État et la fonction publique territoriale ont des organisations aujourd'hui différentes. La première repose sur une logique de « corps », la seconde sur une logique de « filières » ; la fonction publique parisienne étant à la croisée des chemins en jouant de son statut historique sur les deux tableaux.

Or le principe d'unicité de la fonction publique, aboutit organiquement à confier au ministre de la Fonction publique une capacité d'augmenter les dépenses de personnel dans les territoires de façon totalement unilatérale et contrainte. C'est ainsi par exemple qu'avant les 581,6 millions d'euros de dépenses de fonction publique adressés en 2013, les chiffres pour 2012 étaient encore moins bons, avec un total de 1,15 milliard [3].

Face à cet état de fait, les décideurs locaux s'organisent et n'hésitent plus, comme l'association Villes de France, à préconiser une réforme permettant aux collectivités de devenir codécisionnaires des évolutions en matière de statut et de rémunération. Il s'agit d'une très bonne initiative parce qu'elle devrait permettre également de responsabiliser l'État dans ses choix de politique salariale, et devrait déboucher sur une loi de « modulation », permettant aux exécutifs locaux de négocier leur propre politique salariale dans le cadre d'instances partenariales (pourquoi pas les futures Conférences territoriales de l'action publique), voire de pouvoir surseoir à certaines impulsions centrales pour raisons financières. Dans ces conditions, les négociations salariales pourraient devenir territorialisées.

Sur le volet statut, des négociations pourraient également permettre d'introduire plus de souplesse dans le cadre du recrutement de contractuels en lieu et place de statutaires, là encore pour raisons financières. Comme l'évoque Caroline Cayeux de l'AVF « Je n'ai rien contre les fonctionnaires, mais il faut comprendre qu'un recrutement signifie quarante-deux ans au minimum de rémunération… [4] ». Là encore, l'exemple britannique pourrait être sollicité avec la mise en place depuis 2011 pour la haute fonction publique du Crown Commercial Service Recruitment Hub [5]. Un centre de recrutement de contractuels issus du secteur privé, permettant à la haute fonction publique britannique d'afficher 68% des postes occupés par des personnels issus du privé. Une vision plus agile et modulaire de la fonction publique territoriale surtout pour les grandes agglomérations (métropoles, grandes villes de France, Super-région) permettrait d'attirer les talents. Une première mesure serait d'appliquer des quotas de fonctionnaires issus du privé dans les fonctions stratégiques, sur le modèle de notre proposition concernant la haute fonction publique d'État [6], en contournant pour la limitation liée aux emplois permanents [7].

Pour la fonction publique territoriale restant statutaire (par choix politique ou pendant la durée de la phase de transition), choisir la co-décision dans le cadre d'une loi de « modulation », pourrait permettre en même temps de conserver la cohérence nécessaire inter-fonctions publiques afin de renforcer la possibilité de passage d'une fonction publique à l'autre dans le cadre du statut, tout en prévoyant les jalons permettant un changement progressif de paradigme, et une évolution vers une fonction publique de métier davantage contractualisée.

Développer les DSP (délégation de service public) au détriment des régies au cas par cas mais avec des collectivités à taille suffisante :

Une initiative qui va de pair avec le choix progressif de se désengager du mode de gestion en régie pour la délégation de service public au privé, qui devrait permettre de limiter les coûts, tout en vérifiant que le bilan reste positif entre baisse des coûts de fonctionnement et augmentation des coûts de sous-traitance.

Nous l'avons écrit ailleurs [8], le choix entre DSP et régie n'est pas univoque, dépend du service public et de la taille de la collectivité territoriale. Relevons toutefois que les collectivités moyennes vers lesquelles devraient converger par fusion les petites communes et les intercommunalités n'ayant pas atteint la taille critique (que l'on se réfère à la mise en place de "super-communes" de plus de 5.000 habitants, ou de communes nouvelles qui atteindraient cette granularité), offrent le plus de choix entre les deux modes de gestion. Une taille critique permet une meilleure mise en concurrence et de disposer des atouts nécessaires afin de négocier des dossiers techniques en position favorable.

Travailler sur le cadre : des organes de cogestion des finances publiques locales :

Le débat public évoque régulièrement la mise en place d'une loi indicative de finances publiques locales. Le rapport annexé au rapport du sénateur Albéric de Montgolfier relatif à la LPFP 2014-2019 réalisé par la Direction du Trésor, sur l'analyse comparative dans les pays européens de la programmation pluriannuelle des finances publiques et son pilotage, permet de bien mettre en exergue plusieurs éléments récurrents :

  • Des rapports récurrents existent concernant les finances des collectivités territoriales, notamment en Belgique (base mensuelle), en Italie (base trimestrielle en format comptabilité nationale) et en Espagne (base semestrielle). Dans ce cadre, les efforts à mener de concert avec le réseau du Trésor (qui tient la comptabilité des communes) et le CNFPT qui réalise les études statistiques sur les collectivités territoriales, ainsi que les préfectures, devrait permettre une remontée statistique substantielle en cours d'exécution avec une fréquence beaucoup plus importante que ce qui est pratiqué aujourd'hui. Cela suppose également pour les communes ou les services qui en ont la charge de s'engager à des clôtures partielles à date fixe afin de faire remonter les écritures, exactement comme dans les entreprises de taille intermédiaire. Un tel système est déjà opérationnel en Italie avec un renforcement progressif des contraintes vers les plus petites strates ;
  • De disposer des instances représentatives permettant d'initier des discussions permanentes entre les pouvoirs publics centraux et locaux, sur la préparation du budget de l'année n+1, sur la reddition des comptes n-1 et sur l'exécution des comptes en cours… La LPFP 2014-2019 met en place une Conférence des finances publiques, dont la composition est aujourd'hui renvoyée à un décret (art.6) [9]. Nous pensons que cette conférence devrait acquérir un caractère permanent via la mise en place d'un comité d'alerte (qui pourrait d'ailleurs procéder d'une fusion avec le CFL (comité des finances locales). Cette conférence des finances publiques pourrait ainsi discuter des grandes orientations des finances locales préalablement au vote d'une Loi de finances locales qui viendrait s'insérer dans le cadre de la discussion budgétaire et dont les acteurs locaux seraient les coproducteurs dans le cadre de l'ODEDEL (objectif d'évolution de la dépense locale exposé dans la LPFP 2014-2019). Sur le plan territorial, les Conférences territoriales de l'action publique prévues par la loi NOTR (nouvelle organisation territoriale de la République) en cours de discussion, pourraient se voir dotées de pouvoir d'initiative financière, afin de discuter avec les pouvoirs publics de modulations territorialisées et des cibles à atteindre en fonction de la déclinaison territoriale de l'ODEDEL ;
  • Créer sur le modèle italien, la possibilité pour les collectivités vertueuses maîtrisant leurs finances, de « droits à dépenser » reportables, et éventuellement échangeables dans le cadre de ces conférences de l'action publique (format financier) avec les collectivités plus en difficulté mais s'engageant sur une trajectoire de redressement de leurs comptes.

[1] Consulter, INSEE Première, avril 2014, n°1496, L'emploi dans la fonction publique en 2012. Pour des résultats détaillés mais plus anciens, consulter le rapport Bouquet, Etat des lieux de la fonction publique territoriale, 27 février 2013

[2] Il s'agira alors de compenser rigoureusement les normes transposées issues de l'activité des autorités communautaires, par des suppressions occasionnant un équilibre économie/coûts.

[3] Dont 1,08 milliard de mesures inter-fonctions publiques, 46,7 millions de mesures spécifiques à la fonction publique territoriale, 9,07 millions de mesures indemnitaires relatives aux pompiers professionnels/volontaires et 10 textes relatifs à la fonction publique hospitalière générant pour les collectivités un surcoût de 12,4 millions d'euros

[4] Voir sur ce point, Acteurs publics, 24 novembre 2014, Les bonnes recettes budgétaires des maires.

[5] Se reporter au document The Capabilities Plan –Actions for 2014-2015 et le Civil Service Reform Plan, Progress Report

[6] Consulter également notre précédente note, Pourquoi il faut ouvrir la haute fonction publique aux contractuels, avril 2014.

[7] voir rapport de Mme la sénatrice Catherine Tasca sur le projet de loi relatif à l'accès à l'emploi titulaire et l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels, du 17 janvier 2012, p.15-16 http://www.senat.fr/rap/l11-260/l11…

[8] La Gazette des communes, Samuel-Frédéric Servière « une logique de strate », novembre 2014,

[9] Voir rapport Sénat de M. Albéric de Montgolfier, p.99 http://www.senat.fr/rap/l14-055/l14…