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Le PIB de la France dépassé par le Royaume-Uni : pas si anecdotique

En 2014, le PIB britannique s'est élevé à 2.232 milliards d'euros, dépassant ainsi le PIB français de 97 milliards d'euros ce qui fait du Royaume-Uni, la 5e économie mondiale selon les chiffres provisoires de la Commission européenne. Ce recul de la place de la France à la 6e place mondiale est-il un non événement, comme beaucoup l'expliquent, ou le symptôme d'une tendance plus générale ?

Les biais méthodologiques et conjoncturels à relativiser au regard des dynamiques économiques

Certes, il ne faut pas accorder à l'évènement plus d'importance qu'il n'en revêt. D'une part, la situation n'est pas inédite, le Royaume-Uni ayant déjà occupé cette place avant la crise des subprimes en 2007. D'autre part, le même calcul en PPA (parité de pouvoir d'achat) montre que la France reste devant le Royaume-Uni… mais respectivement aux 8e et 9e places. Certains mettent en avant également les différences méthodologiques de calcul du PIB, le Royaume-Uni tenant compte désormais dans son PIB des activités illicites comme la drogue ou la prostitution (toutefois, la France aussi le prend en compte d'une certaine façon par le redressement fiscal). Surtout, l'effet conjoncturel de l'inflation britannique (1,2% contre 0,4% en France) et du taux de change (la livre s'est appréciée de 5% par rapport à l'euro) explique en partie le déclassement de la France.

Pour autant, ces explications conjoncturelles ignorent l'essentiel : la dynamique. Le Royaume-Uni connaît depuis trois ans un incroyable rebond, avec un taux de chômage en baisse continue, passé sous la barre des 6% contre 10,3% en France [1], une demande intérieure dynamique et un climat des affaires au beau fixe. Résultat : sa croissance a atteint 3% l'année dernière contre 0,4% en France. Et cette tendance devrait se maintenir : alors que la British Chamber of Commerce (BCC) prévoyait une croissance de 2,6% et 2,4% en 2015 et 2016 pour le Royaume-Uni, François Hollande « espérait » une croissance supérieure à 1% en 2015 en France, un chiffre auquel la Commission européenne semble déjà avoir du mal à croire.

Comment expliquer ce retour en grâce ?

Comment expliquer cette réussite outre-manche ? Certains vantent l'action de la Bank of England (BOE), à savoir les politiques d'assouplissement quantitatif (quantitative easing) et de taux d'intérêt faibles et en profitent pour appeler à pareilles mesures à l'échelle de l'Europe. Pour autant, il faut nuancer son effet sur la croissance britannique (estimé à 0,7%, soit moins du quart de la croissance [2]) d'autant qu'elle fait peser sur le redémarrage économique un risque inflationniste, le danger de bulles immobilières et financières et ce, sans parler des effets néfastes en termes d'inégalités [3] et de dépenses publiques.

En réalité, le pari britannique a été de confier le retour de la croissance aux entreprises : baisse des impôts sur les sociétés [4] (en faisant porter l'effort fiscal via l'IR sur l'ensemble des ménages), flexibilité du marché, du temps et du coût du travail, facilitation des procédures de création d'entreprises [5]. L'investissement productif a connu une croissance dynamique de l'ordre de 7,5% en 2014 qui devrait se maintenir les deux prochaines années. Le secteur marchand a créé depuis 2010, 1,2 million d'emplois contre 180.000 en France. Sans parler de tous ces frenchies, environ 350.000, qui ont pris la direction du Royaume-Uni… Au point que Boris Johnson, avec provocation, n'avait pas hésité à qualifier Londres de sixième ville française !

Les déficits publics, la fausse note britannique ?

Finalement, on reproche au Royaume-Uni ses déficits publics importants (5.8% en 2013 contre 4.1% en France) ; pourtant, ils ne sont que les reflets éphémères d'une stratégie intelligente pour sortir de la crise en réduisant les dépenses publiques sans augmenter les impôts. Le Royaume-Uni a ainsi baissé le nombre de fonctionnaires, reculé le départ à la retraite (69 ans d'ici 2040) et gelé pendant deux ans le salaire des fonctionnaires. Depuis 2010, les dépenses publiques ont été amputées de 30 milliards de livres (45 milliards d'euros), soit un tiers de ce que le plan prévoit de supprimer d'ici 2019 (55 milliards de livres). Compte tenu des rentrées fiscales en hausse et de la baisse des dépenses, le déficit public devrait fondre comme peau de chagrin. Les statistiques de l'ONS mettent en lumière une convergence des taux de déficit d'ici 2016 entre la France et le Royaume-Uni.

Source Eurostat – ONS – Commission européenne [6]

Quant à sa dette publique, si elle a énormément augmenté ces dernières années pour atteindre les niveaux français (87,2 contre 92,2% du PIB en 2013), elle demeure moins risquée (remboursement à 15 ans contre 5 ans en France, dette détenue à hauteur de 30% par la Banque d'Angleterre en 2013, meilleures notes par les agences de notation).

Source du graphique : Cercle d'Outre Manche

La France, elle, a choisi de privilégier les dépenses sociales et les stabilisateurs économiques via une pression fiscale importante au détriment de la compétitivité de ses entreprises et d'une véritable réflexion sur son modèle économique. Cette politique d'amortissement lui a permis de mieux résister à la crise que ses voisins, mais cela sans créer les conditions de sortie du marasme dans lequel elle est engluée. Refusant la flexibilité et la baisse des dépenses publiques, le chômage [7] reste très élevé tandis que les faillites d'entreprises s'accumulent : 6.2727 en mai 2014, soit une hausse de 1,8% en un an. La France compte ainsi 5 millions d'emplois marchands en moins que le Royaume-Uni ; elle délaisse son secteur marchand qui représentait en 1974 encore 70% du PIB et qui ne représente plus que 43% du PIB en 2012.

La comparaison entre la France et le Royaume-Uni est toujours intéressante, elle est un véritable laboratoire de politiques publiques ; en effet, ces deux pays de taille, de population et de structure économique quasi similaires, ont fait face à la crise de façon très différente. Alors que le Royaume-Uni restreignait drastiquement les dépenses publiques et concentrait son action sur les entreprises, la France faisait l'inverse, en augmentant les dépenses sociales et les impôts. Et si la récession fut bien plus violente en Angleterre qu'en France, le rebond fut tout aussi formidable avec une croissance qui devrait se maintenir autour de 2,5% d'après la BCC au cours des deux prochaines années. Certes, tout n'est pas rose côté britannique, et plusieurs défis doivent encore être relevés, tels que le déficit de la balance commerciale ou l'endettement élevé des ménages. Mais la France aurait fort à gagner à s'inspirer un peu de son voisin d'Outre-Manche.

[1] Eurostat, dernières données disponibles, septembre 2014. L'Insee estime que le taux de chômage atteindra 10.6% au premier semestre 2015

[2] Étude menée en 2014 par Mthuli Ncube et Kjell Hausken : “The results also suggest that the effect of QE on economic growth is rather limited. No significant effect of QE on GDP growth is found for the major economies, except for the UK where GDP growth would have been as much as 0.7 percentage points lower if the BOE had not implemented its unconventional monetary policies “. Soit un quart de la croissance britannique (3%).

[3] « Britain's richest 5% gained most from quantitative easing » Larry Eliott, The Guardian, 23/08/12

[4] Au coude à coude avec les britanniques en 2006, l'IS a chuté à 22% en 2013 tandis qu'il s'élevait à 37% en France.

[5] Cf. études du cercle d'Outre Manche, notamment Situation de l'emploi en France et au Royaume-Uni

[6] Nous avons tenu compte des estimations de la Commission européenne pour le déficit français qui ne juge pas crédibles les prévisions françaises. D'après le RESF (rapport économique, social et financier) du PLF 2015, le déficit public en France devrait s'élever à 4,3% en 2015, 3,8% en 2016, 2,8% en 2017 : http://www.economicshelp.org/blog/3…

[7] L'Unedic prévoit un taux de 10,6% au premier semestre 2015