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La France peut-elle s'inspirer du modèle Renzi ?

Surnommé Il Rottamatore (« Le démolisseur ») par la presse italienne, Matteo Renzi a lancé l'Italie dans d'importantes réformes structurelles et conjoncturelles. Très médiatisée, sa politique de « 10 milliards d'économies pour 10 millions d'italiens » additionnée à des coupes en matière de dépenses de fonctionnement des administrations, de baisse des impôts sur les activités productives, de la réduction de l'assiette fiscale ou de la flexibilisation du marché du travail, illustrent sa volonté d'une réduction du poids étatique sur l'économie combinée avec une relance de la consommation. D'ordinaire, une relance de l'économie est corrélée avec une politique expansionniste pendant qu'une politique de désendettement est attachée à une politique restrictive. Cette « buona svolta », conjugaison entre rigueur et relance doit permettre à l'Italie d'économiser jusqu'à 100 milliards d'euros. Il y a-t-il des leçons à en tirer pour la France ?

Pour mener à bien sa politique d'offre, Matteo Renzi conjugue des politiques structurelles à des politiques conjoncturelles. Celle-ci passe par une réduction du poids étatique sur l'économie avec une série de mesures plus symboliques que réellement économiques (notamment vis-à-vis du train de vie de l'État et du traitement des élus), mais également par la flexibilisation du marché du travail en favorisant la flexibilité par l'assouplissement des contrats de travail et en favorisant la réinsertion et par une baisse de la fiscalité. Enfin, Matteo Renzi entend économiser 3 milliards d'euros sur la baisse des taux d'intérêts sur les titres souverains.

Voici les 3 grands axes des réformes italiennes :

Une réforme de l'État et des collectivités territoriales :

  • L'abolition des provinces et la suppression de leurs 3.000 élus (titre V de la Constitution) ;
  • Réduction du nombre de préfectures de 106 à 40 ;
  • Suppression du Sénat et de ses 315 sénateurs. L'Italie étant un système parlementaire bicaméral égalitaire ou parfait, cette mesure affecte profondément le processus législatif ;
  • Le « Pacte de la santé » prévoit une baisse de 10 milliards des dépenses, même si aucun secteur n'a été désigné. Priorisation des dépenses (les coupes ne seront pas homogènes mais ciblées en fonction de la nature des dépenses) ;
  • Plafonnement du salaire des élus locaux (qui ne peut pas dépasser le salaire du président de la Cour de cassation soit 300.000 euros par an) ;
  • Réduction du salaire des hauts dirigeants d'entreprises publiques (ENEL, ENI, Finmeccanica) ;
  • Baisse des dépenses des services au Palais Chigi, siège de la présidence du Conseil ;
  • Baisse des dépenses du train de vie de l'État ;
  • Les administrations publiques devront réduire de 800 millions d'euros leurs frais de fonctionnement et d'achats courants (hors dépenses de personnel a minima et de subventions pour charges de services publics).
  • Privatisation de la Poste et des sociétés de gestion des aéroports : les privatisations devraient rapporter 12 milliards d'euros : promotion et vente des titres de la Poste et de l'ENAV, ENI, FINCANTIERI, une filiale de FS, ainsi qu'une partie du portefeuille immobilier de l'État ;
  • Mise en vente d'une partie du parc automobile (1.500 voitures) de l'État sur eBay ; * Fermetures des ambassades les moins fréquentées (Islande, Honduras, République Dominicaine) et baisse du salaire des diplomates (et ce, malgré les réticences du Sndmae -syndicat des diplomates-).
  • Coupe dans le budget de la Défense ;
  • Fusion des chambres de commerce ;
  • Réduction de la facture d'électrique de 10% grâce à la rénovation du réseau de l'énergie.

Ces économies seront néanmoins freinées par la hausse des budgets destinés à l'Éducation avec la mise en place d'une « politique active » pour l'Éducation et la formation. L'augmentation des aides à la recherche et la valorisation du parcours universitaire ainsi que la rénovation du patrimoine des écoles pour un montant de 3,5 milliards d'euros. Au niveau des infrastructures : 1,5 milliard d'euros seraient destinés aux zones dites à risque dans le cadre de la protection des territoires et une agence de lutte contre la corruption devra être créée. Enfin, dans une optique de relance de la consommation, Matteo Renzi a prévu de redistribuer 10 milliards d'euros à 10 millions d'Italiens percevant moins de 25.000 euros de revenu brut par le biais d'une baisse des impôts pour qu'ils bénéficient de 1.000 euros par mois (soit un gain de 80 euros par mois).

Un plan d'économies qui ressemble énormément aux actuelles annonces du gouvernement français avec le même niveau d'économies dans les dépenses de santé et un plan d'économies reposant majoritairement sur une réforme territoriale. Mais la différence majeure entre les plans de réforme français et italien, concerne le traitement de la fonction publique. À noter dans un premier temps que chez nous plus de 80% des agents publics ont le statut de fonctionnaire (5,5 millions d'agents publics pour 63 millions d'habitants) quand ce taux tombe à 12% en Italie avec déjà une réduction de -3% sous le mandat de Matteo Renzi (3,4 millions d'agents publics pour 61 millions d'habitants). L'ambition du gouvernement italien est de réaliser 32 milliards d'euros d'économies en 3 ans sur la fonction publique en organisant :

  • Le départ en retraite forcé sur 3 ans de 60.000 agents : avant un fonctionnaire italien pouvait encore travailler 2 ans après l'âge légal de départ en retraite (régime du « maintien en service ». Les ajustements dans la fonction devront se faire par le recrutement de 10.000 à 15.000 jeunes.
  • Une mobilité accrue dans la fonction publique ; ainsi un agent sera dans l'obligation d'accepter un transfert vers un poste peu éloigné du lieu de travail d'origine et ce, même s'il agit d'un poste à un échelon moins élevé (mais à salaire égal).

Une réforme du marché du travail :

  • Le contrat à durée déterminée (CDD) est prolongé de 12 à 36 mois pour sa durée maximale ;
  • Élargissement de la palette des services à l'emploi ;
  • Simplification des procédures bureaucratiques ;
  • Réorganisation des formes contractuelles ;
  • Nouveau code du travail : un jeune peut être titularisé après 3 années d'apprentissage.

Face au chômage massif auquel sont confrontées les économies européennes, Matteo Renzi a décidé d'entamer un processus de flexibilisation du marché du travail, aussi bien dans le secteur public que dans le privé. À cet égard il a décidé de tripler la durée du Contrat à durée déterminée pour permettre aux entreprises d'embaucher plus facilement et sans engagement à long terme, tout en baissant considérablement le coût du travail. Le but est, ainsi, de rendre l'embauche plus facile afin de lutter efficacement contre le chômage sans lancer de politique coûteuse de subventions, comme on le fait actuellement en France. À ce titre, il entend réorganiser les 46 contrats pour proposer une palette plus souple et plus claire.

Une réforme de la fiscalité :

  • Réduction de 10% de l'IRAP (Imposto Regionale sulle Attività Produttive) qui est une taxe sur les salaires alourdissant le coût du travail. C'est un impôt sur la production ;
  • Aides aux entreprises (dossier Giavazzi) destinées à une série de subventions (non encore quantifiées) ;
  • Remboursement des 68 milliards d'euros que les administrations publiques doivent aux entreprises italiennes ;
  • Augmentation de 12% à 24-26% des taxes sur la détention d'actions détenues par les banques ;
  • Hausse de 10% de la taxation sur la possession d'actifs financiers.

Matteo Renzi et le traitement de la dette :

Fondamentaux macroéconomiques et budgétaires de l'Italie comparés à ceux de la France
Italie2013*20142015201620172018
Real GPD -1,9 0,8 1,3 1,6 1,8 1,9
Public expenditure (% of GPD) 50,8 50,6 49,9 49 48,1 47,3
General government balance (GGB) (% of GPD) -3 -2,6 -1,8 -0,9 -0,3 0,3
Cyclically-adjusted balance (% of GDP) -0,7 -0,9 -0,3 0 0,2 0,3
Structural Balance (% of GPD) -0,9 -0,6 -0,2 0 0,2 0,3
Primary Balance (% of GPD) 2,2 2,6 3,3 4,2 4,6 5
Structural primary balance (% of GPD) 4,4 4,6 4,8 5,1 5,1 5,1
Gross debt ratio (% of GDP) 132,6 134,9 133,3 129,8 125,1 120,5
Snow Ball Effect 5,8 3 1,8 1,1 0,9 0,7

*estimation commission européenne

France20132014201520162017
Real GDP 0,2 1,0 1,5 2,25 2,25
Public expenditure (% of GPD) 57,0 56,8 55,6 54,5 53,5
General government balance (% of GPD) -4,3 -3,8 -3 -2.2 -1.3
Cyclically-adjusted balance (% of GDP) -2,8 -2,2 -1,7 -1,3 -0,8
Structural Balance (% of GPD) -3,0 -2,2 -1,6 -1,2 -0,8
Primary Balance (% of GPD) -2,0 -1,4 -0,5 +0,4 +1,4
Structural primary balance (% of GPD) -0,7 0,2 0,9 1,4 1,9
Gross debt ratio (% of GDP) 93,5 95,6 95,6 94,2 91,9
Snow Ball Effect 1,1 0,4 -0,4 -1,0 -0,8

Source : Commission européenne.

Les prévisions du ministère des finances italien suite aux réformes Renzi Source : Economic and Social document vol III 2014, Ministère des finances italien, p.80 Prévisions de la Commission européenne sur l'évolution de la dette en Italie : Source : Commission européenne : Working paper Italy.

Le plan d'économie italien est rendu possible par les marges financières initiales dégagées par l'existence d'un excédent primaire italien (de 2,2% du PIB [1]) sur lequel Matteo Renzi peut compter, avant de passer à une phase de désendettement. De ce point de vue, l'Italie et la France ne partent pas des mêmes configurations budgétaires. Le plan italien visant essentiellement à faire baisser le poids de la charge de sa dette pour ensuite passer à une logique de désendettement. La France, elle, n'en est pas encore là, nous n'avons aucune marge de manœuvre puisque nous accusons un déficit budgétaire de 4,3% du PIB en 2013 (déjà supérieur de 1,3% aux critères de Maastricht).

[1] Mais +4,4% en s'agissant du solde structurel primaire, ce qui permet de noter qu'il existe un déficit primaire conjoncturel (stabilisateurs automatiques) de -2,2%, ce qui représente un effort important qui ne génère pourtant pas intrinsèquement de dette.