Actualité

Fiscalité sur le revenu des Outre-mer : une diversité des régimes applicables

La fiscalité sur le revenu est aussi variée que les territoires qui composent l’Outre-mer français. Tous ont su adapter une situation générale à leur singularité propre. Sur les onze territoires habités composant l’Outre-mer français, huit connaissent l’impôt sur le revenu (IR). Parmi ces derniers, cinq appliquent également l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). 

Les trois départements/régions d’outre-mer (Guadeloupe, La Réunion et Mayotte) et les deux collectivités uniques (Guyane et Martinique), qui relèvent de l’article 73 de la Constitution, suivent, moyennant quelques aménagements notables dus notamment à la différence du coût de la vie, la même fiscalité sur le revenu et la fortune qu’en métropole.

Les six autres, à savoir, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint Pierre et Miquelon et Wallis et Futuna, qui relèvent de l’article 74 de la Constitution (sauf pour la Nouvelle Calédonie qui est une collectivité sui generis régie par le titre XIII de la Constitution), sont dotés de l’autonomie fiscale qui découle de leurs statuts respectifs. En d’autres termes, chacune de ces collectivités a la possibilité de créer, de modifier ou de supprimer un impôt ou une taxe et d’en déterminer l’assiette[1]. En revanche, les notions de personnes imposables et de résidents ont été, dans la plupart des cas, soigneusement déterminées par le Législateur à travers les statuts concédés ou des conventions fiscales.  En effet, il serait inconvenant  que ces autonomies permettent une évasion fiscale franco-française.

Impôt sur les revenus 2016 dû par un résident célibataire salarié sans personne à charge
et bénéficiant de la déduction forfaitaire de 10%

Quantiles

30%

Taux
moy.

50%

Taux
moy.

70%

Taux
moy.

90%

Taux
moy.

Salaire net mensuel*

1 471 €

1 772 €

2 244 €

3 544 €

Saint-Barthélemy

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

Wallis et Futuna

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

Polynésie française**

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

0 €

0,00%

Nouvelle Calédonie

0 €

0,00%

141 €

0,66%

620 €

2,30%

2 675 €

6,29%

Guyane – Mayotte

0 €

0,00%

191 €

0,90%

970 €

3,60%

3 499 €

8,23%

Réunion – Martinique – Guadeloupe

0 €

0,00%

390 €

1,83%

1 327 €

4,93%

4 082 €

9,60%

Saint-Martin

351 €

1,99%

983 €

4,62%

1 232 €

4,58%

4 315 €

10,15%

Saint Pierre et Miquelon

431 €

2,44%

974 €

4,58%

1 968 €

7,31%

5 884 €

13,84%

Métropole

279 €

1,58%

989 €

4,65%

2 034 €

7,55%

5 832 €

13,71%

Ainsi, on observe une inégalité des contribuables résidents en France face à l’impôt sur le revenu.

* Lire : un salarié qui touche moins de 1.471 euros de salaire net mensuel fait partie des 30% les moins bien payés. INSEE 2013.

** Cependant, il existe une contribution de solidarité territoriale sur les traitements, salaires, pensions, rentes viagères et indemnités diverses  principalement prélevée à la source, assimilable à la CSG/CRDS.

L'Outre-mer et l'autonomie fiscale

Tous les territoires ultramarins placés sous souveraineté française ne disposent pas de l’autonomie fiscale[2], c’est-à-dire de la faculté de pouvoir lever les impôts et taxes à leur seul profit. Cette compétence régalienne de l’Etat, a été attribuée à ces six collectivités territoriales par le Législateur à travers des statuts particuliers adoptés au fil des IVème et Vème républiques.

L’Outre-mer français est sorti très fragilisé du second conflit mondial. Les politiques avaient compris que pour sauver l'empire colonial, il fallait offrir aux différents territoires qui le composent certains égards vis-à-vis de la métropole. En 1946, la loi de départementalisation a accordé à ses plus anciennes colonies (Guadeloupe - dont Saint-Martin et Saint-Barthélemy -, Martinique, La Réunion et Guyane) le statut de département d'outre-mer (DOM) dans lequel s'appliquent les lois et décrets déjà en vigueur en France métropolitaine.

La Constitution de la IVème République du 27 octobre 1946 a instauré pour les autres, le statut de territoire d'outre-mer (TOM) au sein de l’Union française et dans lequel s’applique le principe de spécialité législative : la loi française n'y est applicable que par disposition législative ou réglementaire expresse. La Constitution de la Vème République du 4 octobre 1958 a repris cette dichotomie DOM/TOM et son article 74 y a consacré ce régime de spécialité législative. Depuis cette époque, Saint-Pierre-et-Miquelon[3], la Polynésie française, Wallis et Futuna[4] et la Nouvelle Calédonie[5] disposent de l’autonomie fiscale. Saint-Martin et Saint-Barthélemy[6] devront attendre leurs séparations de la Guadeloupe en 2007, pour accéder à leur tour à l’émancipation fiscale. Entre temps, Mayotte (séparée de l’archipel des Comores indépendant dans les années 1970) est passé progressivement du statut de TOM à celui de DOM pour rejoindre, le 31 mars 2011, la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane au rang des territoires ultramarins suivant le même régime fiscal qu’en métropole.

En 2003, une révision constitutionnelle a réorganisé les règles applicables à l’Outre-mer. Ainsi, le nouvel article 74 de la Constitution a substitué le statut de COM à celui de TOM, sauf pour la Nouvelle Calédonie qui jouit depuis 1998 d’un statut particulier. La nouvelle rédaction prévoit que le statut de chacune des collectivités d'outre-mer est « défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante [de ladite collectivité] ». L’autonomie fiscale est aujourd’hui consacrée pour :

  • Walis et Futuna, par l’article 46 du décret n°57-811 du 22 juillet 1957 ;
  • la Nouvelle Calédonie, par l’article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;
  • la Polynésie française, par l’article 13 de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;
  • Saint-Pierre et Miquelon, par l’article 6 de la loi n°2007-223 du 21 février 2007 codifié à l’article LO6414-1 du CGCT ;
  • Saint-Barthélemy, par l’article 4 de la loi n°2007-223 du 21 février 2007 codifié à l’article LO6214-3 du CGCT ;
  • Saint-Martin, par l’article 5 de la loi n°2007-223 du 21 février 2007 codifié à l’article LO6314-3 du CGCT.

Chacun de ces territoires dispose donc d’une réglementation fiscale propre, à l’instar du Code général des impôts de Saint-Martin, du Code local des impôts de Saint-Pierre et Miquelon ou du Code des contributions de Saint-Barthélemy.

Trois collectivités affranchies de l’impôt sur le revenu et de l’ISF

Il serait tentant mais globalement fallacieux de retenir pour ces trois îles et archipels la qualification de paradis fiscal. Bien qu’il n’existe pas de définition légale de cette notion, nous pouvons nous appuyer sur les quatre critères cumulatifs retenus par l’OCDE pour la caractériser : des impôts inexistants ou insignifiants, une absence de transparence, une législation empêchant l'échange d'informations avec les autres administrations et une tolérance envers les sociétés-écran.

Si le premier des critères semble aisément rempli, l’application des suivants est plus délicate. Pour Saint-Barthélemy, dernière de ces COM à obtenir l’autonomie fiscale (le régime de la Guadeloupe y était théoriquement applicable jusqu’en 2007), l’Etat a veillé au grain. Parfois qualifiée d’ « île aux millionnaires » au regard du nombre assez impressionnant de villas de luxe et de yachts qui s’y trouvent, le Législateur a inséré une clause dans le statut de l’île caribéenne prévoyant la transmission de toute information utile non seulement pour les ressortissants français mais aussi pour ceux dont les pays ont signé des conventions fiscales avec la France[7]. Le but d’une telle mesure est de prévenir, non seulement la fraude, mais aussi l’évasion fiscale. Ainsi  pour être résident fiscal sur l’île et donc ne pas payer d’impôts sur le revenu ou sur la fortune, il faut avoir justifié d’y avoir sur place, depuis cinq années au moins au 1er janvier de l’année d’imposition, son foyer ou son lieu de séjour principal, une activité professionnelle, salariée ou non, ou d’y avoir le centre de ses intérêts économiques, matériels et moraux[8].

Pour la Polynésie française[9] et Wallis et Futuna, dont l’émancipation fiscale est ancienne, la situation est plus ambigüe. Aucun pare-feu n’a été prévu dans les statuts ou dans une convention fiscale en la matière avec la France[10].  En d’autres termes, il n’existe pour ces deux territoires aucun obstacle juridique à la création d’un paradis fiscal au sein de la République française, à l’instar de ce que connait le Royaume-Uni avec Anguilla, les Bermudes, les Iles vierges britanniques, les Iles Cayman, Guernesey, Montserrat et les îles Turks et Caicos, toutes figurant sur la liste noire de l’UE. Aujourd’hui encore, de forts soupçons pèsent sur Wallis et Futuna accusée, non sans arguments, de servir de boîte aux lettres pour des sociétés originaires d’autres Etats du Pacifique.  Cependant, ni cette dernière, ni la Polynésie française, ne figurent dans la liste établie par la France des États et des territoires non coopératifs (ETNC), ou dans celle établie par l’UE.

Trois collectivités autonomes ont opté pour l’impôt sur le revenu

Aucun des trois autres territoires français qui disposent du choix de leur fiscalité ne connaissent l’ISF ou un impôt équivalent sur le patrimoine. Cependant, ils ont tous opté pour une fiscalité sur le revenu assez similaire à celle applicable en métropole, à savoir un impôt progressif.  Ce choix semble plus retranscrire des difficultés budgétaires qu’une volonté affirmée de la participation des plus riches à la vie de la collectivité. Ainsi, la Nouvelle Calédonie n’a créé l’IR qu’en 1982 et Saint-Martin[11] qui fait face à des difficultés financières structurelles, a dû se résoudre, contrairement à Saint-Barthélemy, à maintenir l’IR anciennement applicable, malgré un taux de recouvrement avant l’autonomie d’à peine 50%. Face à cette situation, l’exécutif local a même tenté de mettre en place une taxe de 100 euros, à destination des foyers non imposables, en échange de l’avis de non-imposition indispensable pour bon nombre de démarches administratives dont les allocations familiales et le RSA.  Mais cette initiative controversée a été abandonnée après avoir reçu un avis défavorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA).

Barème progressif de l'IR 2017 sur les revenus 2016*

 

Métropole

Saint-Martin

 Saint Pierre et Miquelon 

Nouvelle Calédonie

Tranche 1

0 - 9 700 €

0 - 6 047 €

0 - 8 349 €

0 - 8 402 €

Taux

0%

0%

0%

0%

Tranche 2

9 701 - 26 791 €

6 048 - 12 063 €

8 350 - 9 269 €

8 403 - 15 123 €

Taux

14%

5,5%

5%

4%

Tranche 3

26 792 - 71 826 €

12 064 - 26 791 €

9 270 - 10 589 €

15 124 - 25 206 €

Taux

30%

14%

10%

12%

Tranche 4

71 827 - 152 108 €

26 792 - 71 826 €

10 590 - 12 159 €

25 207 - 37 809 €

Taux

41%

30%

15%

25%

Tranche 5

> 152 109 €

> 71 827 €

12 160 - 15 429 €

> 37 810 €

Taux

45%

41%

20%

40%

Tranche 6

 

 

15 430 - 19 099 €

 

Taux

 

 

25%

 

Tranche 7

 

 

19 100 - 22 729 €

 

Taux

 

 

30%

 

Tranche 8

 

 

22 730 - 26 869 €

 

Taux

 

 

35%

 

Tranche 9

 

 

26 870 - 40 049 €

 

Taux

 

 

40%

 

Tranche 10

 

 

40 050 - 54 069 €

 

Taux

 

 

45%

 

Tranche 11

 

 

54 070 - 67 579 €

 

Taux

 

 

50%

 

Tranche 12

 

 

> 67 580 €

 

Taux

 

 

55%

 

 

* Services fiscaux des territoires concernés.

Ces trois territoires respectent le principe de la progressivité de l’impôt sur le revenu posé en France depuis 1917, avec une mention particulière pour Saint Pierre et Miquelon qui a de loin le système le plus redistributif. L’archipel nord-américain possède à la fois le nombre de tranches le plus important (avec une progressivité linéaire de 5% en 5%) et la tranche marginale la plus élevée de toute la République. En effet, le taux marginal est de 55%, ce qui représente 10 points de plus que le taux maximum observé en métropole et dans les DOM, même s’il faut souligner que l’abattement forfaitaire des revenus est de 28% alors que dans l’hexagone, il n’est que de 10%. A titre de comparaison, on atteint (pour un célibataire sans personne à charge) la tranche marginale à Saint Pierre et Miquelon avec un revenu net mensuel d’environ 7.820 euros, alors qu’en métropole, il faut gagner près de 14.000 euros net mensuels[12], soit deux fois plus et pour un taux moyen d’imposition inférieur.

Saint-Martin suivait avant la suppression de la tranche à 5,5% en France en 2015, à peu près le régime applicable en Guyane et à Mayotte. L’abattement de 40% et les tranches du barème étaient similaires, même si la dernière tranche à 45% n’a jamais existé sur l’île franco-hollandaise.  Aujourd’hui la fiscalité saint-martinoise qui maintient l’abattement de  40%, mais qui connait un système de décote et une tranche de non-imposition moins avantageux qu’en métropole, voit les rémunérations se situant jusqu’au niveau du revenu médian, plus taxées que dans l’hexagone, avant que le rapport ne s’inverse une fois cette médiane dépassée. En d’autres termes, le système saint-martinois est moins redistributif que celui en vigueur en métropole.

La fiscalité des DOM adaptée au coût de la vie

Pour les autres collectivités ultramarines, celles régies par l’article 73 de la Constitution, le régime applicable en métropole (dont l’ISF) est applicable moyennant quelques aménagements dus notamment aux différences du coût de la vie entre le continent européen et l’Outre-mer. Ainsi, les trois DOM les plus « favorisés » bénéficient d’un abattement sur leur impôt de 30% et les deux autres, à savoir Mayotte et la Guyane, d’un abattement de 40%. Cet assouplissement n’a pour vocation que de protéger les revenus les plus modestes puisqu’il est plafonné à 5.100 €, pour les contribuables domiciliés en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, et à 6.700 €, pour les contribuables domiciliés en Guyane et à Mayotte. De plus, il n’existe aucun abattement spécifique en matière d’ISF. La justification de telles réductions est assez aisée. La vie en Outre-mer est plus chère qu’en métropole du fait de l’éloignement géographique des sites de production, de la faiblesse de l’industrie locale, de l’absence d’économies d’échelle et de l’octroi de mer[13] qui s’ajoute à la TVA.  A cela il faut ajouter le faible niveau de revenu de ces populations ultramarines. Par exemple, la Guyane et Mayotte figurent avec Wallis et Futuna, au rang des trois territoires les plus pauvres de France avec un PIB par habitant respectivement deux et trois fois inférieurs à celui de la métropole, Saint-Barthélemy étant le seul territoire ultramarin à avoir un PIB par habitant supérieur à la moyenne hexagonale[14].  


[1] L'assiette de l'impôt désigne la somme retenue pour déterminer la base de calcul d'un impôt ou d'une taxe.

[2] Pour la Cour des comptes, l’autonomie fiscale s’entend de « la capacité juridique, reconnue aux seuls six territoires d’outre-mer concernés, de définir et d’appliquer eux-mêmes la législation fiscale de leur choix, en lieu et place de l’ensemble de la législation fiscale applicable ailleurs en France, à raison des compétences étendues qui leur sont dévolues dans de nombreux domaines (articles 72-3 et 74 de la Constitution pour les cinq collectivités d’outre-mer, et 76 et 77 pour la Nouvelle-Calédonie) ».  Cour des comptes,  « L’autonomie fiscale en outre-mer ». Novembre 2013.

[3] En 1976, Saint-Pierre-et-Miquelon devient département d'outre-mer, avant d’être érigé en collectivité territoriale à statut particulier en 1985, puis en collectivité d’outre-mer en 2007, en conservant tout au long de ces réformes institutionnelles, son autonomie fiscale.

[4] Wallis-et-Futuna devient un territoire d'outre-mer séparé de la Polynésie française en 1961, avant d’évoluer en collectivité d’outre-mer par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003.

[5] En 1998, la Nouvelle-Calédonie obtient un statut particulier en application du titre XIII de la Constitution.

[6] Loi n°2007-223 du 21 février 2007.

[7] Article LO6214-4 du CGCT. 

[8] Article 2 du Code des contributions de Saint-Barthélemy.

[9] Pour la Polynésie française, il existe une convention fiscale des 28 mars et 28 mai 1957 mais limitée à l’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers.

[10] Pour le fisc, les COM, la Nouvelle Calédonie et les TAFF sont considérées comme des États ou territoires autres que la France.

[11] CADA, Avis 20141791 « Conseil territorial de Saint-Martin ». Séance du 5/06/2014.

[12] Abattements forfaitaires déduits.

[13] L'octroi de mer est une taxe, applicable à la plupart des produits importés, en vigueur dans les DOM.

[14] Sources croisées : IEDOM, INSEE, ISPF, ISEE, CEROM .