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Equilibre des comptes publics : comment rendre les collectivités territoriales solidaires ?

Les collectivités territoriales représentent, malgré l'application d'une règle d'équilibre réelle de leurs comptes administratifs, un point de fuite potentiel pour nos comptes publics. Les difficultés sont multiples : les principes de libre administration, d'autonomie financière et d'égalité entre les collectivités locales, font obstacle à une « mise sous surveillance » de leur gestion par l'exécutif central dans des conditions permettant un ajustement cohérent et coordonné de leurs dépenses publiques. Toute entorse à ces principes conduirait inévitablement à une censure du Conseil constitutionnel. Pour autant, « le budget de l'Etat est aussi un instrument de compensation qui récupère les dettes des autres niveaux d'administration (dotations, transfert fiscal, etc.) [1] » Il est donc juste d'affirmer que les collectivités territoriales sont bien au-delà de leurs propres dettes coresponsables de la dette de l'Etat.

D'où l'idée des pouvoirs publics dans un premier temps de geler en valeur certaines dotations sous norme (prélèvements sur recettes) [2], de façon à impulser une contraction des dépenses sur le bloc local estimé à 11 milliards d'euros en 2017 [3]. Cependant, pour rendre effectives ces économies, il faudrait que les canaux de transmission de ces économies soient efficaces. Cela suppose que les collectivités reportent intégralement le rationnement de leurs dotations en économies budgétaires sur le plan interne, à impositions locales constantes. La Fondation iFRAP propose une démarche en trois temps :

Pour une mise en place volontaire de « contrats de partenariats territoriaux » :

Sous le vocable de « contrats de partenariats territoriaux », il s'agirait de proposer aux élus locaux la passation de contrats de conventions d'administration approuvées par les organes délibérants de ces organismes. Concrètement, Le but du dispositif vise sur la base du volontariat à proposer aux collectivités territoriales intéressées, de procéder à la signature d'une convention tripartite entre la DGFiP, le ministère de l'Intérieur (DGCL + Préfets) et la collectivité participante.

  • Modalité de mise en place des « contrats de partenariat territoriaux » : leur forme et leurs principales modalités d'exercices pourraient être discutées en loi de finances et exposées pour leur aspect le plus technique au sein du CFL (comité des finances locales), notamment afin de faire correspondre les cibles macro-budgétaires aux déclinaisons par strate et type de collectivités susceptibles d'être impliqués. Cependant, aller au-delà de la nature et de la strate de la collectivité concernée (et en priorisant pour un effet budgétaire rapide les plus grandes collectivités : régions, départements, intercommunalités, communes de + de 20.000 habitants), les modalités fines des contrats devront être élaborées « sur-mesure », ce qui pourrait représenter tout au plus quelques centaines de conventions signées. Dans un second temps, le dispositif pourrait être élargi à l'ensemble des collectivités, quelle que soit leur taille, ou le prévoir ab initio (respect du principe d'égalité).
  • Le dispositif : il se traduirait par l'accord d'un « bonus » en matière de dotation d'investissement, aux collectivités qui s'engageraient à baisser les principaux postes de leur section de fonctionnement, suivant une approche par nature des dépenses (dépenses de personnel, dépenses de fonctionnement courant (services communs), subventions pour charge de service publics, interventions diverses, etc.). Cette baisse serait appréciée comme pour l'Etat en volume et en valeur, avec des mesures précises (non renouvellement des départs de personnels à la retraite, augmentation de la durée légale de travail, conséquences en termes de consommation de fluides, d'occupations de surfaces utiles de bureau, etc.)
  • La Forme : un protocole d'accord serait donc signé par l'exécutif préalablement à la discussion du budget primitif de l'entité, puis approuvé à l'issu de cette discussion afin de le rendre valide. Le préfet serait le garant avec les services déconcentrés de la DGFiP du ressort concerné, de la bonne exécution de la convention d'administration, en partenariat avec la collectivité territoriale signataire.
  • Modulation éventuelle des effets : La collectivité territoriale participante verrait ses dotations d'investissements majorées : intégralement en cas d'exécution respectant les objectifs du protocole d'accord initial ; en cas de réussite partielle ou de circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté de la commune signataire, tout ou partie des majorations de dotations pourraient être versées ; en cas de non respect des engagements, aucune dotation ne serait versée en n+1 à l'issue de la reddition définitive des comptes pour l'exercice n+2. Si le mécanisme apparaît trop long à mettre en œuvre, une version plus rapide de versement sous forme d'avance pourrait être mise en place, mais avec le risque alors de devoir rembourser les sommes versées en cas d'échec des objectifs contractualisés. Ce qui pourrait nécessiter dans ce cas l'inscription d'office de réserves obligatoires à provisionner, dont les modalités devraient être définies en lois de finances.

L'implication du réseau du Trésor est essentielle afin de permettre une meilleure consolidation des comptes des collectivités participantes et donc de vérifier l'effet statistique des efforts réalisés par le bloc local en faveur de la maîtrise des finances publiques sur le plan national. La détection précoce en exécution d'écarts significatifs devrait permettre également de corriger d'éventuels dérapages en gestion à temps. L'implication du préfet, représentant de l'Etat et du ministère de l'intérieur permettrait de mobilier en faveur du respect des accords contractuellement passés (en dehors d'une possible dénonciation par l'organe délibérant de l'entité contractante, toujours possible mais avec les conséquences budgétaires attendues pour l'entité) un contrôle ex post permettant seul la libération définitive des majorations de dotation d'investissement souhaitées et d'établir une perspective d'engagement pluriannuel en la matière avec la collectivité concernée. Il serait par ailleurs possible au préfet de contrôler la nature des investissements réalisés, investissements qui ne doivent pas générer ou différer des dépenses de fonctionnement nouvelles, ce qui là encore pourrait être défini en lois de finances.

Pour la Fondation iFRAP, ce dispositif représente un élément complémentaire de celui du « chaînage » des dotations versées par l'Etat aux collectivités disposant de compétences exclusives dans des domaines précis, dispositif inclus dans le projet de réforme territoriale examiné à l'automne 2014. Le volontariat et l'aspect contractuel respecteraient ainsi le principe de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales. Un tel engagement devrait par ailleurs être conclu à fiscalité constante, donc avec engagement de ne pas augmenter la fiscalité directe/indirecte locale (en fonction des produits fiscaux anticipés, ce qui permettrait de rester souple sur les taux en fonction des prévisions de rentrées fiscales).

Pour l'inscription dans la loi d'une clause systématique de « no bail out » local :

Un élément important qui pourrait être ajouté aux mécanismes proposés de conventions d'administration serait de joindre une clause de non renflouement des collectivités territoriales (no bail out) de la part des pouvoirs publics, hors gestion en cours des emprunts structurés, pour les collectivités non signataires. Un tel dispositif permettrait de juguler par avance les demandes récurrentes de soutien qui ne manqueront pas de remonter des collectivités territoriales lorsque leurs dotations seront fortement amputées à partir de 2015.

Un tel dispositif existe déjà en Espagne et est inscrit dans la loi organique de stabilité budgétaire de 2012. Il pourrait être formalisé en loi de finances à l'image du dispositif mis en place à la demande de Bercy lors de la création de l'agence France locale, en précisant là encore « l'exclusion [de la mobilisation] de ressources directes de l'Etat et de ressources garanties par l'Etat » (afin de faire baisser la garantie implicite de l'Etat), en y incluant également l'exclusion de recours aux financements indirects par l'intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignation à des taux bonifiés. Cela obligerait les collectivités à se refinancer éventuellement sur le marché interbancaire aux conditions du marché.

Dans ces conditions, l'avantage procuré par la signature volontaire des « contrats de partenariat territoriaux » serait encore renforcé, tout en limitant la garantie implicite de l'Etat aux collectivités participantes. Par ailleurs, les collectivités refusant de concourir à la mise en pratique à leur niveau de l'objectif constitutionnel inscrit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 à l'article 34 « d'équilibre des comptes des administrations publiques » se verraient ainsi indirectement pénalisées en supportant une prime de risque plus importante que celle des collectivités territoriales signataires.

L'inscription d'une clause alternative de non renflouement pourrait ainsi permettre d'accroître le pilotage des finances locales par l'attribution d'objectifs contractualisables au niveau central, ce qui renforcerait également l'effectivité des réseaux d'alerte dans le cadre de l'exécution des budgets locaux, et faire du règlement du budget un temps fort de la démocratie locale.

Accélérer la responsabilité comptable des élus locaux : pour une mise en place du compte financier unique

A la différence des collectivités britanniques où il existe une tradition de confusion au sommet de la hiérarchie administrative entre les fonctions d'ordonnateur et de comptable principa,l ou en Allemagne où les communes par exemple peuvent disposer de « deux maires » élus [4] : un maire « politique » et un maire « administratif » directement responsable de la gestion de la collectivité et des comptes produits [5], la France a jusqu'à présent isolé la responsabilité des élus locaux quant à l'exécution de leurs budget, hors qualification de « comptables de fait » par la fameuse séparation fonctionnelle entre ordonnateurs et comptables. Il va sans dire que cette irresponsabilité s'est en partie renforcée par la délégation en pratique de la comptabilité municipale sur le dos des comptables publics et du réseau déconcentré de la DGFiP. Or il importe de rationaliser très fortement ce réseau (près de 4.400 implantations), dans le cadre de la restructuration des services déconcentrés de l'Etat.

Le compte financier unique, qui obligerait chaque commune et à sa tête le maire, à gérer directement sa propre comptabilité municipale (désormais non redondante avec la comptabilité administrative tenue par le comptable public qui disparaîtrait au niveau local), devrait permettre une meilleure « responsabilisation » des élus locaux, un renforcement de leur imputabilité sur le plan de la qualité des comptes, et le passage progressif d'un contrôle strictement juridique à un contrôle interne sous forme d'analyse des risques pour lequel d'ex-comptables de la DGFiP pourraient être transférés (dans le cadre d'un renforcement de la décentralisation).

[1] Voir en particulier, POMMIER, Guillaume, Le principe d'équilibre des finances publiques : une analyse comparative en Europe (France, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni), IEP de Strasbourg, 2013, p.86.

[2] Se reporter à notre note du 6 mars 2014, 10 milliards d'économies sans baisse de l'investissement c'est possible.

[3] Lire note note du 10 juillet 2014, Débat d'orientation budgétaire, le bouclage passe par la réforme territoriale.

[4] Voir en ce sens, Hellmut Wollmann, Le système local en Allemagne, vers un nouveau modèle de démocratie locale ?, CURAPP, CRAPS, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, PUF, 1999, p.103 et suiv, en particulier pp.109 et 110, disponible ici. Voir également DELCAMP, Alain, La démocratie municipale chez nos voisins européens, une typologie, Pouvoir n°73, 1995. En particulier p.132.

[5] C'est la distinction réalisée entre système moniste et système dual en Allemagne dit « à deux têtes » de la fonction exécutive municipale, qui distingue le Bürgermeister (le maire politique) et le Stadtdirektor (directeur de l'administration), tous deux élus par le conseil municipal.