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Entretien : comment Romans-sur-Isère se désendette et se réforme

La commune de Romans-sur-Isère (34.000 habitants dans la Drôme) est la première ville à sortir d'un emprunt "toxique" grâce à une politique de désentemment, de rationalisation des serivces et de baisse des dépenses. Aujourd'hui, la maire de la commune (et conseillère régionale d'Auvergne-Rhône-Alpes), Marie-Hélène Thoraval, répond aux questions de la Fondation iFRAP sur le sujet et sur le projet de refonte de la politique de gestion RH des agents de la ville.

Fondation iFRAP : Romans-sur-Isère est la première ville à sortir d'un emprunt "toxique", comment cela a-t-il été organisé ?

Marie-Hélène Thoraval, Maire de Romans-sur-Isère (Drôme) et Conseillère régionale : La Ville de Romans avait une dette toxique contractée entre 2003 et 2006 de l’ordre de 33 millions d’euros soit 55% de sa dette totale. Dès le début du mandat, j’ai souhaité engager une stratégie de désensibilisation qui a pris encore davantage d’acuité avec la décision de la Banque nationale suisse du 15 janvier 2015 qui a décidé de mettre fin au plancher de son cours de change.

Nous avons donc engagé une double négociation avec la banque - la SFIL - et avec l’Etat qui a mis en place un fonds de soutien pour permettre aux collectivités locales de sortir de ces emprunts à taux variables. Très vite, nous avons compris que le fonds de soutien prévu par la loi de finances pour 2014 devait être aménagé pour améliorer les conditions de sortie des collectivités. C’est la raison pour laquelle nous avons convaincu des parlementaires de la commission des finances de permettre aux banques de prêter aux collectivités au-delà du taux d’usure dans le cadre du refinancement des prêts toxiques.

Cela nous a ainsi permis de remplacer des prêts à taux variables - dont certains avaient explosé jusqu’à 16% - par des prêts à taux fixes à 4%. Grâce à cette opération, nous avons réussi à désendetter la commune de l’ordre de 100 euros par habitant par rapport au début du mandat, soit 3 millions d’euros ; mais aussi, et surtout, à faire disparaître l’épée de Damoclès qui menaçait la Ville depuis plus de 10 ans.

Quelle stratégie de désendettement a été mise en place ?

Le désendettement est le fruit de deux facteurs. D’abord, en 2014 et en 2015, nous avons renégocié et remboursé de manière anticipée des emprunts non toxiques, ce qui représente environ 2 millions d’euros. Parallèlement, sur l’opération de sortie des emprunts toxiques, grâce à l’amendement au Projet de loi de finances pour 2016, un engagement de se financer auprès de la banque sur les 2 prochaines années pour financer le plan pluriannuel d’investissement, et l’aide « fonds de soutien » de 19,6 millions d’euros, nous avons également réduit l’endettement de 1 million d’euros, tout en payant 18,6 millions d’euros de pénalités (indemnités de remboursement anticipées).

Quelles économies ont été réalisées et qu'est-ce qui a changé dans la gestion de la ville ?

Depuis mon arrivée en mairie de Romans en 2014, nous sommes engagés dans une gestion entrepreneuriale de la collectivité car la ville avait besoin d’un coup de fouet après 37 ans de gouvernance de la même tendance politique.

Cela s’est d’abord manifesté par la réduction du nombre de services, de dix nous sommes passés à cinq. Ensuite, nous avons créé la Direction attractivité, développement, innovation (DADI) qui fonctionne en mode start-up avec des chefs de projet qui sont chargés de mettre en œuvre les grands projets du plan de mandat (urbanisme, développement économique…)

Dans le même temps, nous avons assigné des objectifs très importants au directeur général avec un gel des embauches sur les politiques non-prioritaires afin de dégager des moyens pour le développement de la politique de sécurité et de développement. Nous nous sommes aussi astreints à une réduction des dépenses de fonctionnement. L’effort total a permis de réduire de 7% les dépenses de la Ville (de 1.177 euros par habitant en 2014 à 1.095 euros en 2016), et de réduire la masse salariale de 1% lorsqu’elle augmente naturellement de 2%.

L’objectif n’était pas de « faire des économies » pour « faire des économies » mais de réinvestir l’argent public économisé dans des projets de développement car la ville doit reprendre son envol. Avec cette stratégie financière, nous avons augmenté l’investissement de 50% en 2015, et de 100% cette année (tendance exceptionnelle), soit un passage des dépenses d’équipement de 111 euros par habitant en 2014 à 211 euros en 2016. L’objectif est de poursuivre l’effort sur les dépenses pour maintenir cette tendance quand toutes les villes réduisent actuellement leur investissement (-6% selon S&P).

Quels sont les prochains enjeux à relever pour votre commune ?

Après avoir reconstruit l’organisation de la collectivité et travaillé sur les process de fabrication des services publics avec l’appui d’un cabinet extérieur en 2015, nous devons maintenant travailler sur l’agilité des agents. La gestion en mode projet s’est infusée au niveau des cadres mais nous avons encore des marges d’amélioration sur le management intermédiaire. Nous travaillons donc l’ « agility management » de nos cadres intermédiaires. C’est une condition essentielle de réussite de notre objectif premier, celui de toujours plus satisfaire les usagers.

Autre actualité, la construction d’un centre technique communal unique qui devrait aussi nous permettre de renforcer la satisfaction des usagers à travers l’amélioration de l’organisation des équipes dans le domaine de l’entretien des espaces publics, de la propreté, des espaces verts…

Parallèlement, nous avons annoncé en début d’année notre volonté de travailler sur la reconnaissance du mérite des agents et la lutte contre l’absentéisme. Il s’agit de deux sujets qui nous tiennent à cœur car nous voulons encourager les agents qui travaillent et qui font des efforts à un moment où nous avons besoin d’eux. C’est aussi un enjeu financier, ne nous le cachons pas, puisque le coût de l’absentéisme dans une collectivité de 35.000 habitants comme la nôtre, est d’environ 1,5 million d’euros par an (soit 13.000 journées de travail, soit 60 agents à temps plein par an). Nous travaillons actuellement sur un modèle incitatif avec les partenaires sociaux (pour lier le versement des primes au travail effectué et à la présence de l'agent) et l’objectif est d’aboutir d’ici à la fin du 1er semestre.

Quels sont aujourd’hui les leviers qui amélioreraient l’efficacité de l’action des collectivités territoriales ?

Je constate que nous devons aller plus loin que l’approche entrepreneuriale de la gestion des collectivités locales car cette approche n’est finalement que la résultante d’un ensemble de paramètres règlementaires qui pèsent sur les gestionnaires publiques. Aujourd’hui, nous devons libérer les collectivités locales d’un certain nombre de contraintes et de freins qui nuisent à l’efficacité de leur action. Pourquoi seule l’économie d’un pays pourrait-elle être organisée de manière libérale ? Quid de son administration !

Pour moi, le frein essentiel est le statut de la fonction publique territoriale qui rigidifie fortement la gestion des ressources humaines : les collectivités locales sont les seules organisations que je connaisse où on peine à trouver des moyens de reconnaître le mérite et où le licenciement est une procédure d’exception.