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Collectivités territoriales : enlèvement des ordures ménagères

Une politique à optimiser !

Avec un coût de 8 milliards d'€ pour les collectivités locales, l'enlèvement des ordures ménagères n'est pas un service public anodin pour les élus locaux. Il ne l'est pas non plus pour les contribuables/usagers finaux qui voient quant à eux l'augmentation des taxes et redevances d'enlèvement progresser en moyenne de 6%/an depuis 9 ans (évolution 2000-2009) ! La raison : elle est à trouver dans le coût du recyclage lui-même mais aussi dans des insuffisances dans les économies d'échelle (concourant à une hausse de 30% des dépenses de fonctionnement entre 2006 et 2008) et un alourdissement des charges de personnel de 40% ! Or, contre toute attente, le tonnage des ordures ménagères reste stable voire décroît : -17 kg/hab/an entre 2005 et 2009 [1]. Dans ces conditions, plusieurs problèmes se posent (insuffisance de mutualisation, arbitrage entre taxes et redevances, rôle des organismes régulateurs nationaux et transparence vis-à-vis des administrés (Budget et Open Data)) et la Cour des comptes, dans un récent rapport consacré au sujet, se penche sur la gestion de pas moins de 150 entités publiques administrant 25 millions de foyers, avec des moyens très importants : pas moins de 70 rapporteurs (Cour et chambres régionales des comptes).

Les résultats obtenus pourtant restent bien maigres dans la mesure où cette politique à 8 milliards d'euros est fort peu évaluée. Pourtant, en filigrane, apparaissent des éléments qui permettent d'y voir un peu plus clair et qui devraient déboucher sur une véritable démarche de value for money, car il est indéniable que des économies sont possibles et que la hausse des coûts n'est pas inexorable. Explications :

1) La filière ordures ménagères victime de la décentralisation ?

L'analyse de la Cour affirme porter sur « la cohérence, l'économie, l'efficience et l'efficacité du service public de gestion des déchets ménagers et assimilés ». Pourtant le rapport est fort peu chiffré, et ceci pour une raison simple, il n'existe aucune cohérence d'ensemble dans la mise en place des réseaux d'enlèvement et de traitement. En effet, l'autonomie des collectivités locales les rend très libres dans l'interprétation des plans départementaux d'élimination des déchets ménagers et assimilés (PDEDMA) qui doivent mettre en musique les prescriptions communautaires , et ceux-ci sont eux-mêmes très peu directifs dans la mise en place des périmètres optimaux pour leur application locale via les syndicats mixtes, les communautés de communes et l'ensemble des EPCI. Ainsi :

- 4 départements en 2010 n'avaient toujours pas mis en place leurs plans départementaux
- Tandis que seulement 3 « fixaient des objectifs chiffrés clairs à chacune des collectivités de niveau infra-départemental ».
- Enfin, le «  reporting » de la mise en œuvre des plans départementaux reste largement inabouti (via des observatoires des déchets dont l'activité reste à évaluer) ce qui contribue à amoindrir le suivi statistique au niveau national puisque la filière manque de données opérationnelles structurées et surtout comparables (voir infra).

Ainsi, comme le relève la Cour, « les plans remettent rarement en cause l'organisation infra-départementale ». La rationalisation des structures bute largement sur le développement autonome des structures intercommunales (au gré des alliances politiques et des querelles de clochers) et ne milite pas pour des réorganisations efficientes, en ayant recours à une sectorisation géographique homogène. Enfin, les pouvoirs publics par l'intermédiaire des préfets, ont perdu la compétence d'établissement des plans départementaux, si bien que leur contrôle se limite actuellement au contrôle de leur légalité. Ils ne peuvent agir en contrôleurs de gestion dynamiques afin de développer la culture de l'évaluation au sein des services locaux en charge de la politique de gestion des déchets.

Cet échec est particulièrement patent s'agissant des organismes centraux en charge du suivi de cette politique comme l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) dont le préfet est en effet son représentant local. Celle-ci est chargée de gérer les « contrats territoriaux déchets » pour harmoniser les politiques locales de gestion des ordures ménagères et d'améliorer le suivi des coûts via un logiciel de comptabilité analytique « compta-coût ». Or la mise en place de ces dispositifs est tellement lente que la mesure pratique des coûts est pratiquement impossible : « Du fait de la multiplicité des filières d'élimination, des acteurs et des financements, le recensement de toutes les dépenses de la collectivité territoriale responsable, avec en regard les différentes recettes dédiées au financement du service, n'est pas, dans la pratique, vérifié. » On ne peut être plus explicite.

Le maillage local nuit à la rationalisation dans l'organisation de la filière déchets

En séparant la collecte des déchets en deux blocs distincts, la collecte et l'élimination des déchets, le législateur pensait avoir trouvé une manière efficace d'organiser le traitement des ordures. Las, les différentes intercommunalités se sont affranchies de cette exigence en démembrant les compétences en blocs de taille variable et discutable. En Haute-Saône, le syndicat mixte à vocation unique gère le transfert, la valorisation et l'élimination des ordures mais n'a pas compétence pour collecter les déchets. Les intercommunalités constituant un périmètre mal adapté en l'absence de réelle coordination pour permettre une répartition efficace et pragmatique des tâches de chacun. L'optimisation de la collecte des déchets n'est dès lors pas encore de mise. Ce manque de coordination entre les acteurs locaux se retrouve dans la relation entre l'Etat et les départements. Depuis la loi 2009-967 du 3 août 2009, la mise en cohérence des objectifs des plans départementaux et des objectifs nationaux est de rigueur. Cependant, la transcription de ceux-ci ne constitue point encore une réalité ; il s'agit pratiquement d'une exception si l'on entend par déclinaison locale la mise en place d'objectifs quantitatifs rejoignant les préoccupations nationales. Le Conseil Général du Morbihan a par exemple, au nom des objectifs du plan décennal précédent, conforté une situation précédente morcelée qui ne répond pas à l'impératif de simplification.

Gatien Bon.

2) Des pistes pour comprendre l'envolée des coûts :

Si pour la Cour « il n'a pas été possible de procéder à des comparaisons fiables entre les coûts privés et publics, faute de données comptables permettant de mesurer ces coûts pour des prestations comparables », cela ne veut pas dire que toute comparaison soit impossible. Il faut en effet mettre en balance les externalités négatives des services en gestion directe ou en régie (publique) avec celles issues d'opérateurs privés (via des délégations de services publics ou des techniques équivalentes). La Cour effectue à ce titre un triple constat :

- Entre 2004 et 2008 les dépenses de fonctionnement des services de déchets ont en moyenne augmentés de 30%
- Les coûts de collecte et de retraitement ont augmenté de 10%
- Les coûts de personnels montrent une hausse de 40%

S'il est clair que la « sélectivité » et l'augmentation des ratios environnementaux ajoutent nécessairement au coût global de collecte et de retraitement de la filière, - et que les collectivités maîtrisent parfois mal leurs prestataires privés -, en ce qui concerne la masse salariale il est clair qu'il s'agit uniquement des charges de personnel des services gérés directement par les collectivités territoriales (les seules qui soient véritablement mesurables budgétairement). Sur ce point par exemple, il existe une pratique généralisée et sanctuarisée par la forte syndicalisation des personnels : celle du régime « fini-parti ». Son principe est simple, alors que les tournées hebdomadaires doivent correspondre pour les équipes à un travail représentant environ 35 h, il est toujours possible pour les agents qui finissent plus tôt, de cesser de travailler et de rentrer chez eux. Les temps non travaillés n'étant pas comptabilisés, il s'ensuit l'application asymétrique d'un régime très favorable aux fonctionnaires, puisque les heures supplémentaires elles, sont systématiquement payées. Le système est donc particulièrement inflationniste puisque peut s'y adjoindre des astreintes qui seront, elles aussi facturées. On constate donc «  l'absence de toute gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ».

Un constat qui rejoint celui d'une absence de comptabilité analytique afin d'assurer l'intégration et le suivi des coûts, ainsi que l'inexistence pour les collectivités ayant opté pour la TEOM (taxe locale d'enlèvement des ordures ménagères) d'annexe budgétaire spécifique afin de retracer les recettes et les dépenses en la matière. Cette absence généralisée de contrôle interne adéquat, permet également de comprendre pourquoi certaines communes en arrivent à mal maîtriser leurs prestataires privés. Les comptes-rendus lacunaires qui sont remis aux exécutifs locaux passent d'autant mieux qu'il n'existe pas de contrôle efficace au sein des collectivités territoriales ou des organismes publics concernés. Dans ces conditions, on comprend bien l'inutilité pratique des commissions consultatives des services publics locaux, auxquels participent des représentants d'usagers.

Il est donc plus que temps qu'une obligation impérative soit faite aux collectivités locales, syndicats locaux et intercommunalités concernés, d'effectuer les contrôles et la mise en place des outils comptables et budgétaires qui s'imposent, de mutualiser les bonnes pratiques et surtout de livrer les données brutes de façon spontanée en mettant en place une politique de diffusion proactive des données publiques brutes et structurées (Proactive Disclosure et Open Data).

3) Financement : la redistribution contraire à la responsabilisation :

Concernant les modes de financement du service public de gestion des ordures ménagères, la Cour ne tranche pas clairement afin d'arbitrer entre :
- La taxe d'enlèvement (TEOM) qui a le mérite d'être collectée par le Trésor public (moyennant une commission de 8% sur le montant des prélèvements), mais surtout qui a la vertu politique de ne pas faire financer l'ensemble des opérations de collecte et de retraitement par l'usager, le reliquat étant payé sur le budget général, donc mutualisé au sein du budget local concerné.
- La redevance d'enlèvement (REOM) qui au contraire s'effectue à coût complet et doit permettre le financement de l'ensemble des opérations supportées par les bénéficiaires du service ; la perception restant à la charge exclusive de la collectivité à ses risques et périls. En l'état actuel des données recueillies, il apparaît que la REOM est minoritaire et correspond davantage aux communautés à fiscalité propres et syndicats ruraux, tandis que la TEOM est préférée par l'ensemble des collectivités urbaines. Cependant, seule la REOM est véritablement proportionnelle au service rendu et à la production réelle de déchets des foyers concernés. S'agissant de la TEOM, son assise sur les bases de taxe foncière induit un dégrèvement pour les familles les plus modestes qui n'y sont plus ou peu assujetties. Il en résulte que le principe de « pollueur-payeur » n'est pas réellement respecté et en réalité reporté sur les foyers les plus aisés. Seule la REOM permet au contraire de couvrir par une redevance ajustée la vraie consommation des foyers, et au-delà, d'offrir une politique comportementale adéquate.

Or, il faut bien comprendre que cette approche est, à l'heure actuelle, en complet décalage avec les souhaits d'évolution formulés par les élus locaux et nationaux : faire converger la REOM et la TEOM avec l'idée :

- Pour la REOM, d'améliorer le contrôle des foyers taxés (loi de finances pour 2011 article 66 sexiès modifiant l'article L2333-76 du CGCT) permettant un accès gratuit des communes aux registres des services fiscaux.
- Pour la TEOM, en accroissant la part variable afin de la rendre « plus comportementale », tout en évitant le report effectif de l'ensemble des coûts sur les contribuables et différentier les approches en fonction de leurs revenus.

Le problème réside dans l'impossible comparabilité à terme des deux prélèvements, et surtout l'incapacité pour les contribuables, à cerner le « juste prix » du service public qui leur est proposé. Seule la redevance en effet, permet une saine allocation des ressources puisqu'elle doit couvrir l'ensemble des services. Ensuite, il est possible de développer une véritable comparabilité dans la qualité des services et leur mode de gestion opérationnelle afin de développer de meilleures pratiques et conduire à une rationalisation plus poussée et au meilleur coût. L'objection formulée par la Cour concerne la facturation des « coûts de recyclage » inhérent aux comportements vertueux de tri sélectif des usagers. En réalité, cette contrainte devra, à terme, être internalisée par la collectivité à un moment ou un autre, donc plus ou moins mutualisée. L'intérêt précisément de la redevance est de permettre de faire percevoir au redevable l'ensemble du coût de la filière, et ensuite de lui permettre via une politique de transparence sur les données de gestion d'intervenir pour proposer des modifications éventuelles, au lieu de « casser le thermomètre » comme le proposerait une TEOM « comportementale », généralisée.

Conclusion :

La collecte des ordures ménagère est une activité très mal documentée. La Cour en dresse un panorama sans concession tout en pointant des limites d'évaluation évidentes. Des limites telles que la Cour ne parvient pas à arbitrer entre les modes de financement (TEOM ou REOM), mais également la question du mode de gestion (service public en gestion directe ou en régie contre gestion externalisée au privé) Par ailleurs, il n'y a pas, de la part de la Cour, de proposition claire en matière de « rationalisation » de la collecte et du traitement des ordures ménagères : nous assistons à un développement intercommunal largement autonome qui peut perturber à lui seul une allocation plus pertinente des trajets de transports.

Afin d'effectuer une véritable étude de « value for money », la Cour aurait dû prolonger sa propre étude en allant au-delà du constat pour permettre de dégager :
- Un faisceau de critères permettant aux citoyens de juger de la pertinence de la politique d'enlèvement des ordures ménagères
- Exposer les économies que pourraient réaliser idéalement les collectivités en adhérent expressément à cette charte de bonnes pratiques

Au-delà, la Fondation iFRAP demande de :
- livrer les données brutes de l'étude de façon à faire participer la société civile au travail d'optimisation sur un mode collaboratif local (sur le modèle fix my street [2] ), comme développé par l'approche actuelle sur la question des Politics Angels.
- de développer des outils budgétaires (comptes annexés) et de comptabilité analytique afin de mesurer les coûts engendrés. Surtout si comme pour la mairie de Paris il apparaît par exemple que le tri sélectif effectué par un grand opérateur public (la RATP) est annulé par une mise en benne systématique et indifférenciée, ou qu'il n'est pas possible comptablement de séparer les activités de nettoyage et de collecte des ordures lorsque ces missions sont assurées en gestion directe ou en régie.
- s'engager vers une généralisation des REOM au détriment des TEOM afin d'encourager une facturation incitative pour les usagers (au poids) à coût complet, au lieu de jouer comme actuellement sur la mutualisation/redistribution des charges qui nuisent à la responsabilisation des foyers concernés.
- promouvoir de concert avec les outils de contrôle des coûts une externalisation progressive vers le privé, afin de mettre un terme à la hausse sans précédent (+40%) des dépenses de personnels pour les services effectués en gestion directe ou en régie, assurant en retour une certaine plasticité propice à une rationalisation des structures.

[1] A 374 kg/hab/an, hors déchets occasionnels. Si on réintègre ces déchets, les volumes annoncés croissent légèrement passant de 26,8 millions de tonnes en 2006 à 29,3 millions de tonnes en 2009.

[2] Voir le site http://www.fixmystreet.com/ où sur le mode participatif, les citoyens mettent en avant des rapports de façon à résoudre les problèmes locaux. Voir dans le cadre de la mise en place de la « Big Society » Britannique, le site communautaire : http://www.mysociety.org