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Agences de l'État : près de 100 milliards de périmètre

Mieux redéfinir le périmètre de « l'agencisation publique »

Le phénomène d'agencisation concerne tous les pays occidentaux. Nos voisins les plus immédiats comptent de nombreuses agences, le Royaume-Uni par exemple avec ses 700 agences dont 200 disposant de fonctions exécutives pour un budget de 46,5 milliards d'euros [1], mais aussi l'Allemagne qui dispose de 122 organismes analogues [2]. La Fondation iFRAP n'a pas d'appréciation négative sur le phénomène d'agencisation même si l'IGF [3] dans son récent rapport a mis en évidence qu'il existait des coûts de tutelle parfois importants (1.500 agents pour les seuls opérateurs), qui avaient été mal anticipés (tout comme les coûts inverses d'une recentralisation éventuelle). Simplement l'importance des chiffres mis en avant : 1.200 entités, près de 10 milliards d'économies susceptibles d'être dégagées [4], milite pour regarder de plus près ces organismes et chercher à savoir s'il est possible de faire mieux avec moins. L'exemple britannique montre que cette question est cruciale. Le gouvernement n'a pas pu, faute de pouvoir dégager une majorité parlementaire l'y habilitant, procéder à son objectif de réduction de 30 milliards de livres de dépenses d'intervention et des économies cumulées de 2,6 milliards de livres de coûts administratifs. Nous chiffrons pour la France que le périmètre à considérer est de près de 100 milliards d'euros, pour des frais de personnels représentant une masse salariale totale (ODAC + Opérateurs) comprise entre 14 et 20 milliards d'euros en 2013. C'est sur les volets intervention et rémunération qu'il faut jouer afin de dégager les 10 milliards envisagés par l'IGF, sans doute dans une proportion 80/20. Il faut pour cela redéfinir le périmètre des interventions des agences et supprimer celles qui font doublons ou se révèlent superfétatoires, en allant du regroupement à la suppression pure et simple.

La difficulté provient du fait qu'à l'instar des niches fiscales, les opérateurs et plus largement les « agences » de l'État sont un peu l'envers du tapis des politiques publiques. Elles représentent les nœuds de trame et de chaîne qui soutiennent un certain nombre de compromis institutionnels solidarisés depuis de nombreuses années. Nous ne pourrons bien évidemment pas dans cette courte note aller au-delà des pistes de réflexion sur un certain nombre de points qui nous semblent particulièrement saillants.

Le périmètre des agences en bref
- Les opérateurs [5], sont des organismes responsables d'une activité de service public, financés majoritairement par l'État et disposant d'une tutelle.
- Les ODAC (organismes divers d'administration centrale) sont définis par l'INSEE comme des entités sur lesquelles l'État exerce un contrôle simple, et disposant d'une compétence non marchande et un financement majoritairement étatique.
- Enfin les autorités administratives indépendantes et les services à compétence nationale, dotés d'un comptable public mais sans personnalité morale.

D'un strict point de vue de documentation, seuls les opérateurs, les ODAC (dont la liste est publiée par l'INSEE avec deux ans de retard), les API (autorités publiques indépendantes dont l'emploi est défini par un article spécifique en loi de finances après le plafond d'emplois des opérateurs depuis 2012) et les établissements à autonomie financière sont actuellement recensés et publiés. Leurs comptes eux, restent largement inconnus, et ne sont que grossièrement agrégés quant aux opérateurs - généralement inexistants ou incomplets pour les ODAC - et souvent simplement figurés au sein d'un rapport d'activité, voire totalement inconnus par les SCN (services à compétence nationale). Il serait temps d'imposer que ces organismes publient leurs comptes et en particulier leur rapport d'exécution budgétaire qu'ils soient dotés de la personnalité morale ou non [6]. L'IGF a proposé opportunément un enrichissement du jaune budgétaire des opérateurs, afin d'avoir une vision d'ensemble de ces agences publiques.

1) L'augmentation continue des effectifs des opérateurs, l'agenciarisation, une variable d'ajustement ?

Le suivi des opérateurs est particulièrement important s'agissant de la mesure des efforts réalisés par l'État en matière de réduction de ses propres effectifs. Le tableau suivant permet de comprendre les transferts effectués depuis l'État :

On constate que la décentralisation n'a que faiblement contribué à la baisse des effectifs sous plafond de l'État (exprimés en ETPT). Depuis le budget total ce sont seulement 51.867 postes qui ont été transférés aux collectivités locales entre 2008 et 2013. Le gros des effectifs porté, entre autres, par la réforme des universités, s'est effectué en direction des opérateurs pour 156.305 emplois [7] contre une suppression nette de 148.646 postes au sein de la FPE. Ce chiffre est à rapprocher de celui exprimé par l'IGF dans son rapport relatif au bilan de la RGPP qui exprime en ETP (donc hors effets de glissement et heures supplémentaires) l'effort de réduction des effectifs à 120.232 suppressions de postes. Il existe donc une relative homogénéité entre les économies réalisées en ETP et en ETPT, à 28.000 unités près. Analysons maintenant la croissance importante des effectifs des opérateurs : ceux-ci exprimés en ETP [8] sont de 434.712 agents publics en 2013. Hors des transferts aux universités qui représentent une entrée de 130.590 ETP [9], les opérateurs croissent pour les effectifs maîtrisés directement par l'État (sous plafonds d'emplois) de 38.143 ETP. Cette croissance est deux fois plus importante que celle des effectifs directement portés par les opérateurs (dits emplois hors plafond), représentant 23.140 agents publics [10]. On vérifie donc :

- Non seulement un effet de vases communicants entre l'État et les opérateurs (130.000 à 140.000 agents environ)
- Mais aussi une croissance spontanée de ces derniers hors transfert à la Recherche et à l'Enseignement supérieur de +25,24% des effectifs.

2) Ajuster l'emploi au sein des opérateurs et des ODAC [11] :

OrganismesOpérateursRépartitionODACRépartition
Total des dépenses en millions d'euros en 2011 46 911 [12] 100% 81 788 100%
01 - Services généraux des administrations publiques 4 670 9,96% 6 218 7,60%
02 - Défense 446 0,95% 98 0,12%
03 - Ordre et sécurité publics 279 0,59% 23 0,03%
04 - Affaires économiques 485 1,03% 26 182 32,01%
05 - Protection de l'environnement 5 652 12,05% 562 0,69%
06 - Logements et équipements collectifs 601 1,28% 2 094 2,56%
07 - Santé 2 548 5,43% 3 235 3,96%
08 - Loisirs, culture et culte 1 277 2,72% 3 559 4,35%
09 - Enseignement 20 593 43,90% 18 819 23,01%
10 - Protection sociale 10 462 22,30% 20 997 25,67%
Source : INSEE et Jaune opérateur retraité 2011

On sait qu'il n'y a pas de recouvrement parfait entre la catégorie des opérateurs et celle des ODAC. Les annexes listant ces deux populations n'ayant pas été communiqués par l'IGF, il faut procéder soi- même à un dégroupage des listes. Nous avons procédé à l'opération avec les dernières données connues. Nous livrons le fruit de notre enquête préliminaire en annexe. Le rapport IGF évoquait un différentiel pour 2010 de 189 entités opérateurs non considérées comme ODAC et inversement 275 entités ODAC n'appartenant pas à la catégorie opérateur. Nous avons procédé de même avec les listes 2011. Nous obtenons un différentiel de 135 s'agissant des opérateurs contre 326 pour les ODAC [13], ce qui montre une grande variabilité des périmètres et impose un meilleur suivi. Les volumes sont tout de même tout à fait édifiants : lorsque les « opérateurs » disposent de 47 milliards d'euros environ de budget, les ODAC pèsent presque 82 milliards d'euros, soit deux fois plus. En dehors des simples transferts transitant par ces entités, il importe de s'interroger sur les coûts de structures évitables. Le poids budgétaire des rémunérations des opérateurs n'étant pas connu même au sein des documents annexés en loi de finances, il faut s'appuyer sur la masse salariale des ODAC tout en admettant que celle des opérateurs ne la recoupe pas nécessairement. Elle apparaît à hauteur de 11,6 milliards d'euros pour 2008. S'agissant des opérateurs, on peut « modéliser » la masse salariale concernée à environ 7,2 milliards d'euros. Une masse salariale des opérateurs qui va ensuite sensiblement augmenter avec le transfert des universités pour atteindre en 2013 près de 12,8 milliards d'euros. Quel que soit aujourd'hui leur recouvrement réciproque, la masse totale de ces rémunération doit osciller entre 14 et 20 milliards d'euros pour 2013 et doit être rajoutée (malgré, là encore, quelques chevauchements dus aux mises à disposition, soit près de 25.000 postes) en quasi-totalité aux 80,76 milliards d'euros de masse salariale de l'État.

La bonne stratégie devrait être de tenter de maintenir la rémunération de l'ensemble ODAC/Opérateurs dans un périmètre d'évolution globale à zéro valeur, supposant de faire les ajustements internes nécessaires. Plus largement, l'ensemble des budgets groupés doivent représenter environ 100 milliards d'euros. Il importe là aussi d'effectuer les économies nécessaires afin de tenir ces dépenses et d'éviter les « fuites ».

3) Quelques pistes pour des « repérimétrages » réussis

Stratégiquement, il faut s'attaquer au hors bilan en dépenses et en recettes de certaines entités. C'est-à-dire commencer par traquer les éléments qui n'entrent pas à tort ou à raison dans les statistiques officielles. Deux pistes peuvent être proposées pour ce faire :

Repenser l'articulation entre les organismes interprofessionnels agricoles et les offices agricoles

Ces derniers ont déjà subi une importante réforme à partir de 2009. France Agrimer a ainsi résulté de la « fusion » de cinq offices sectoriels [14] et, spécifiquement orienté vers l'Outre-mer reste en service l'ODEADOM (Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer) ; ces deux entités sont considérées comme des « opérateurs ». Actuellement près de 127 millions d'euros leur sont affectés (2013) par l'intermédiaire de taxes portant sur le lait et les produits laitiers, les produits de la mer, l'abattage des bêtes et les céréales. En face, des organismes, les IPO (pour interprofessions) qui appartiennent à la catégorie des ODAC (il s'agit d'organismes de droit privé). La Cour des comptes dans son rapport de 2010 regrettait encore « le(ur) chevauchement de compétences », regret partagé à son tour par le ministre du budget qui constatait que « la mise en place de l'office unique (France Agrimer ndlr) ne résout pas la question du chevauchement de compétences. » Les IPO en 2010 étaient 61, disposant d'un budget de 439 millions d'euros dont 317,7 millions d'euros issus du développement spontané d'une parafiscalité après la lettre, les CVO (cotisations volontaires obligatoires) qui n'apparaissent dans aucun document budgétaire et constituent pourtant pour Bruxelles des taxes parafiscales [15]. Par ailleurs, les engagements de transparence des interprofessions et le ministère de l'Agriculture n'ont pas été tenus. Les accords ne sont pas publiés en ligne et doivent toujours être consultés soit au ministère, soit auprès de l'interprofession concernée. Le comité de liaison n'assurant le suivi que des arrêtés d'extension. Nous sommes donc en présence d'institutions parapubliques financées par des ressources extrabudgétaires qui ne justifient pas pleinement et en toute transparence leurs actions. La Fondation iFRAP propose donc :

- Soit une initiative a minima consistant à supprimer au sein des IPO les actions déjà assumées par France Agrimer, avec concurremment une transparence des comptes des interprofessions afin d'ajuster à due concurrence leur ressources propres. Notons par ailleurs que ces entités sont assujetties au contrôle du CEGFi (Contrôle général économique et financier) et qu'aucun rapport d'audit n'est publié [16].

- Soit une clarification bienvenue allant jusqu'à la suppression des 61 IPO contre un renforcement de France Agrimer. A la clé, des économies en termes d'argent public et de « taxation » des exploitants contributeurs. Cette initiative permettrait d'éviter que 20% des 300 millions de CVO servent à d'autres objets que ceux notifiés à la commission. Il permettrait le basculement sur une véritable fiscalité complémentaire dûment enregistrée dans les comptes publics. Gains estimés : environ 300 millions d'euros.

Remettre à plat le FACé : Fonds d'amortissement des charges d'électrification rurales

Créé en 1936, le Facé (fonds d'amortissement des charges d'électrifications) est un organisme longtemps sans personnalité juridique (mais classé en tant qu'ODAC) dont les comptes étaient hébergés par ceux d'EDF, ce qui faisait peser un risque majeur étant donné que son abondement mettait en jeu l'utilisation de fonds publics. Devant le risque évident de prise illégale d'intérêt des décideurs publics, en cas de réforme par l'intermédiaire d'une structure en EPIC étant donné la présence en son sein des établissements publics maîtres d'ouvrages comme des collectivités bénéficiaires, le choix s'est porté dans le sens d'une clarification par création d'un nouveau compte d'affectation spécial par la loi de finances rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011. Les montants en jeu sont importants, entre 376,4 millions d'euros et 377 millions d'euros pour les années 2012 et 2013. Les coûts de fonctionnement étant relativement modestes mais réels, de l'ordre 1,4 million d'euros. La question se pose de l'effet double emploi avec les fonds de péréquation horizontaux existant en matière d'impôts locaux. Ne serait-il pas plus opportun d'abonder ces fonds par un reversement de ces prélèvements complémentaires sur les distributeurs d'énergie urbains en direction des ruraux via les fonds de péréquation préexistants et en mobilisant le réseau de la DGFiP ? De la sorte l'arbitrage parfois très politique des acteurs locaux serait neutralisé. Par ailleurs, les communes qui en ont le plus besoin seraient priorisées. Enfin au sein des missions du fonds, certaines lignes ne semblent pas véritablement prioritaires : notamment celle concernant le renforcement et l'extension des lignes ou l'enfouissement. A elles seules, celles-ci représentent près de 287,8 millions d'euros qui ne semblent pas essentielles contrairement aux autres missions actuelles du fonds : sécurisation, sites isolés, intempéries, énergies renouvelables. A la clé, donc, des économies potentielles de l'ordre de 280 millions d'euros.

[1] Voir rapport du Conseil d'État 2012, Les agences, une nouvelle gestion publique ?

[2] Se reporter à T.Bach et W.Jann, Des animaux dans un zoo administratif : le changement organisationnel et l'autonomie des agences en Allemagne, Revue internationale des Sciences Administratives, 2010/3, vol.76, p.469-494.

[3] Pour y parvenir, il ne suffira pas de plafonner le produit des taxes affectées à ces opérateurs. On peut modéliser grosso modo que l'extension complète du dispositif aux 9,34 milliards d'euros anticipés sous gestion, ne pourraient rapporter au mieux que 214 millions d'euros dans les caisses de l'État.

[4] L'économie anticipée avec extension du plafond de 3,01 milliards d'euros de taxes à 4,5 milliards d'euros, fait passer son rendement de 79,383 millions d'euros à 106,919 millions d'euros, soit un gain de 2,3% pour 2013 contre 2,6% en 2012.

[5] Voir la définition proposée dans le « jaune budgétaire » Opérateurs 2013, critères définis p.9.

[6] D'où la définition judicieuse de la notion d'agence par la mission de l'IGF, comme des entités qui exercent une mission de service public non marchand et sont contrôlées par l'État. Pour les entités ne disposant pas de la personnalité morale, un extrait de la comptabilité générale tenue par le comptable public et budgétaire tenue par le RCBM devraient pouvoir pallier cette insuffisance.

[7] Dont s'agissant de l'enseignement supérieur et de la recherche (qui n'a pas subi la décentralisation comme l'éducation nationale, ni de réduction d'effectifs) dans le cadre de la réforme des universités près de 138.954 ETPT, soit 89%.

[8] Et non plus en ETPT comme une première tentative en 2008 l'avait laissé présager. La présentation en ETP est toujours la norme en 2013 ! Il semble qu'en 5 ans la remise aux normes statistiques unifiées n'ait pas été encore opérée.

[9] Contre une sortie État de 138.954 ETPT (mission largement sanctuarisée, ce qui explique que les chiffres soient comparables).

[10] Malgré la réduction par an de 1,5% des emplois sous plafond des opérateurs décidée en 2011 et 2012 qui n'a donc pas produit encore d'effets sensibles. On constate même une croissance importante entre 2012 et 2013 de +5.152 ETP, notamment à cause des recrutements Pôle Emploi. Il est donc essentiel de parvenir à juguler cette croissance pour revenir à la situation de 2007 hors autonomie des universités.

[11] Le chiffre est celui qui apparaît au sein du jaune opérateur, la répartition n'étant assurée que pour les principaux opérateurs. Un différentiel de 1,06 milliard sur les recettes affectées et 2,2 milliards sur les crédits en LFI 2011 est à opérer par rapport aux données IGF 2012, mais résulte d'un traitement à périmètre constant, alors que notre présentation est à périmètre courant.

[12] Le chiffre est celui qui apparaît au sein du jaune opérateur, la répartition n'étant assurée que pour les principaux opérateurs. Un différentiel de 1,06 milliard sur les recettes affectées et 2,2 milliards sur les crédits en LFI 2011 est à opérer par rapport aux données IGF 2012, mais résulte d'un traitement à périmètre constant, alors que notre présentation est à périmètre courant.

[13] Il semble qu'il y ait donc entre 2010 et 2011 une croissance des ODAC sans doute gonflés par les apports des entités sortant du périmètre opérateurs (38 unités sorties du périmètre des opérateurs, 6 suppressions, 27 regroupements et 12 créations).

[14] En particulier, ONIGC, ONIEP, VINHFLOR, OFIMER et ONIPPAM, au 1er avril 2009.

[15] Donc des ressources publiques car rendues obligatoires par voie d'autorité, après notification de leur extension à l'ensemble des producteurs d'une filière auprès de la commission européenne. Voir, DC, 10 décembre 2008, Aide d'État N 521/2008 –France, Actions conduites par les interprofessions. Voir également, Cour des comptes, rapport annuel, p.152 et suiv. Les arrêtés d'extension des accords interprofessionnels sont également publiés sur le site de la DGCCRF à l'adresse suivante : http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/…

[16] On relèvera d'ailleurs d'une façon topique que la CCCOP, la commission de certification des comptes des organismes payeurs, chargés de distribuer aux agriculteurs français les montants de subventions européennes issues de la PAC, ne publie jamais ses rapports. Là encore il existe une grave déficience en matière de transparence citoyenne et d'Open Data. Et un déficit démocratique quant au contrôle par les citoyens du bon usage des fonds européens par leur propre administration.