Actualité

Un choc de simplification nécessaire sur les aides aux entreprises

Le choc de simplification appelé de ses vœux par le chef de l'État est une nécessité pour les entreprises. Avec la crise elles doivent s'adapter et évoluer pour suivre leurs marchés, leurs clients. Pour les aider les pouvoirs publics ont multiplié les interlocuteurs : APCE, Oséo, agences locales de développement économique, pôles de compétitivité, etc. et les dispositifs : NACRE, aides à l'export, JEI, investissement d'avenir, sans parler des SRADDT en collaboration avec la DATAR,… [1]

En matière fiscale, c'est une cascade d'impôts que nous avions identifié dans le Société Civile d'octobre 2012, qui pèse sur les entreprises : avec 73 milliards d'euros de taxes diverses qui frappent la production. Au total, une ETI française paie 47% d'impôts de plus qu'une ETI allemande. Par ailleurs les rigidités de la réglementation du travail sont nombreuses qui impactent la croissance et l'emploi et les entreprises doivent composer avec les 35 heures, les heures supplémentaires majorées, les contrats précaires et le temps partiel, les obstacles au licenciement,… Enfin, le lancinant problème du coût du travail que le gouvernement a souligné avec le rapport Gallois sur la compétitivité : l'augmentation des dépenses sociales a consommé les marges des entreprises au point que celles-ci ne peuvent plus embaucher, investir, se développer.

Mais l'État a résolu ces problème d'une bien singulière manière en voulant aider les entreprises depuis plus de 30 ans, depuis que le chômage s'est développé dans notre pays massivement : Les derniers exemples en date sont le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) et dont les conditions administratives organisées par Bercy sont telles qu'elles ont surtout pour intention de retarder la dépense en calculant un crédit sur les salaires, imputable sur l'IS de l'exercice 2013 (budget 2014) sauf pour les PME et ETI qui pourront obtenir en 2013 un préfinancement bancaire par la future banque publique d'investissement ; ce qui montre toute la dérive bureaucratique du système. Autre exemple, justement, la Banque publique d'investissement (BPI) : si l'on peut souligner que le regroupement de trois organismes, FSI, Oséo, CDC-E opérant dans le domaine du financement des PME et des ETI est un progrès, on doit s'interroger sur le schéma que l'État entend mettre en œuvre pour financer l'économie. Pourquoi mobiliser les dépôts de l'épargne réglementée pour opérer une redistribution de l'épargne des Français vers les entreprises via la BPI présentée comme le bras armé de l'État dans l'effort de redressement productif ? Et ce alors que la CDC revendique ce rôle depuis des années avec des encours considérables ? Pourquoi ne pas avoir plutôt encouragé l'investissement direct vers les entreprises qui ont le plus de besoins en capitaux par une fiscalité intelligente ?

Convaincus que leur rôle est d'aider les entreprises, les pouvoirs publics ont accumulé les dispositifs. Mais pour quels résultats ? Dans un rapport du Sénat sur les collectivités territoriales et le développement économique, les rapporteurs [2], citant le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi présenté à la fin de l'année 2012, indiquent "il existe à ce jour environ 7 000 dispositifs sur le territoire, ce qui se traduit par une offre oscillant entre 600 et 1 200 aides par région. Outre l'illisibilité et le saupoudrage engendrés par une telle situation, ses risques juridiques doivent également être soulignés, compte tenu de la nécessité d'assurer le respect des règles d'encadrement des aides fixées à Bruxelles. La multiplication des interventions rend difficile l'individualisation des effets de chacune d'entre elles et partant, leur évaluation. Or, l'efficacité de certaines d'entre elles est en effet parfois remise en cause".

Nous avons relevé une sélection de commentaires souvent accablants de rapports publics, essentiellement de la Cour des comptes, à ce sujet.

Commissariat général du Plan : Évaluation des aides à la création d'entreprise – juin 1996

"L'analyse de la situation actuelle montre qu'il existe une pluralité d'acteurs en matière de création mais que leurs actions ne sont guère coordonnées. Par ailleurs de nombreuses aides sont proposées mais la plupart ne bénéficient qu'à un nombre limité de créateurs. Le coût global de ces aides est difficile à évaluer mais tend à se réduire à la suite du désengagement des pouvoirs publics (13 milliards de francs en 1996 soit 2 milliards d'euros pour le seules aides à la création d'entreprises). Les aides sont d'une inégale efficacité et surtout concentrées sur certains segments de la création."

Cour des comptes, rapport de novembre 2007 : Les aides des collectivités territoriales au développement économique

"Les dispositifs ont été multipliés de manière incessante et leur nombre atteindrait à ce jour, selon les sources, entre 2.550 et 5.000. Ceci a conduit, après vingt-cinq ans de pratique, à la mise en place d'un système d'aide complexe, diffus et peu lisible, d'autant plus qu'à un nombre sans cesse croissant d'acteurs locaux, s'est ajouté l'État lui-même, dont l'action propre dans ce domaine n'a fait qu'aggraver la dispersion des interventions."

Cour des comptes – rapport juillet 2012 : L'État et le financement de l'économie

"Compte tenu des faibles marges de manœuvre dont dispose l'État et des nombreux engagements que porte déjà la sphère financière publique, et en particulier le groupe Caisse des dépôts, l'action de l'État en faveur du financement de certaines catégories d'acteurs économiques doit aujourd'hui être cantonnée aux défaillances de marché caractérisées et peu susceptibles d'être réglées à bref délai par d'autres moyens. (…) Enfin, pour être efficace, cette stratégie d'ensemble doit être lisible pour les entreprises. En particulier, les dispositifs de financement mis en place doivent leur être facilement accessibles, notamment pour les PME."

Cour des comptes, rapport décembre 2012 : Les dispositifs de soutien à la création d'entreprises

"En l'absence de stratégie d'ensemble reposant sur un diagnostic des faiblesses à corriger en matière de création d'entreprises, au niveau national comme à celui des territoires, précisant la place que l'on souhaite accorder à chacun des types de créateurs et d'entreprises et définissant les actions pour faciliter la création mais aussi assurer le développement des entreprises au cours de leurs premières années d'existence, les dispositifs se multiplient sans vue d'ensemble de leur efficacité.
Sur les territoires, l'insuffisante coordination entre les services de l'État et ses opérateurs est aggravée par l'absence de collaboration (voire la concurrence) entre l'État et les collectivités locales pour définir, organiser et évaluer leurs actions, sauf dans quelques cas qui montrent tous les bénéfices d'une action concertée. En outre, malgré leur compétence en matière économique, la plupart des régions ne réussissent pas à coordonner l'action de l'ensemble des collectivités sur ce thème."

A la lecture de ces différents rapports, il semble qu'en 17 ans, la question de la gouvernance et de l'évaluation de la politique d'aides aux entreprises, soit toujours aussi cruellement posé : le mille-feuille administratif contribue à complexifier les procédures et à faire augmenter les coûts d'intervention.

A ce sujet, la Cour des comptes dans son rapport de 2007 avait bien posé le problème : "le nombre des intervenants directs au sein d'une même région est ainsi en moyenne supérieur à 60, voire à 100 lorsque l'on additionne les partenaires de second rang représentant des intervenants infra départementaux." (…) " Les lois de décentralisation ont confié à l'ensemble des collectivités territoriales un large éventail de compétences partagées en matière d'aide au développement économique, mais elles l'ont fait sans opérer une véritable hiérarchie entre les acteurs et sans, non plus, imposer des limites précises entre leurs différents domaines d'intervention."

Le choc de simplification impose de revoir les périmètres d'intervention des différents acteurs publics : il faut clairement dire qui fait quoi et limiter les moyens d'interventions de certains échelons administratifs.

Interlocuteurs potentiels pour une entreprise : liste non exhaustive !

Au niveau de l'État
- préfectures de région ou de département,
- les directions régionales ou départementales de l'emploi, du travail et de la formation professionnelle,
- les directions régionales de l'industrie, de la recherche, et de l'environnement,
- et enfin les directions régionales du commerce et de l'artisanat.
- Oséo
- ADEME
- DATAR
- l'Etat, assure aussi, en relation avec les collectivités territoriales, la mise en œuvre de la politique régionale européenne par le biais de la dotation de fonds structurels européens

Au niveau des collectivités territoriales
- les communes, les départements et les régions peuvent accorder des aides directes et indirectes aux entreprises ; l'action économique peut également se poursuivre au travers des "pays"
- agences de développement économique et comité d'expansion économique
- sociétés de capital-investissement et sociétés de développement régional
- pépinières d'entreprises, incubateurs

Les organismes extérieurs
- les chambres consulaires,
- les réseaux associatifs de proximité (France Initiative Réseau et ses plates-formes d'initiative locale, l'ADIE, …)
- sociétés de capital-risque, fonds d'investissement, …

Car malgré la crise, les montants engagés ont eux aussi progressé sans que les problèmes des entreprises en semblent résolus. Les aides à la création d'entreprises représentaient 13 milliards de francs en 1996, environ 2 milliards d'euros. Elles atteignent 2,8 milliards en 2011.

Aides à la création d'entreprises, en fonction du "profil" de créateur

Dans son rapport sur l'État le financement de l'économie, la Cour des comptes évalue l'ensemble des aides directes à l'investissement reçues par les entreprises à 7,2 milliards en 2010. Mais s'y ajoutent au bas mot 10 milliards d'euros de dépenses fiscales et de nouvelles formes d'investissement comme les cofinancements avec la CDC, les PPP, les garanties, etc. (environ 30 milliards d'euros [3]). La contrainte budgétaire croissante pesant sur l'État a contribué à la sophistication de ces circuits de financement qui est aujourd'hui en cause dans l'illisibilité dénoncée par tous. Avec des risques : redondance, incohérence, inefficience, voire phénomène de concurrence les différents acteurs, effets d'aubaine ou la prolongation d'activités non rentables.

Le choc de simplification appliqué aux entreprises nécessite de tout remettre à plat et d'abandonner l'idée d'aider les entreprises pour agir uniquement sur leur environnement et faire en sorte qu'il soit simple, stable et favorable à leur compétitivité : Ce que résume encore une fois la Cour des comptes de façon très claire : " Le bilan effectué par les chambres régionales des comptes de vingt-cinq ans de décentralisation en matière d'aide aux entreprises montre ainsi la nécessité, non pas tellement d'une simple amélioration du dispositif existant, mais assurément celle d'une redéfinition profonde d'une compétence frappée d'inefficacité et de réelle obsolescence. Les enjeux présentés en termes économiques paraissent sans nul doute à la mesure d'une telle démarche qui devrait ainsi conduire l'État et les collectivités territoriales à privilégier, non plus les seules aides individuelles aux entreprises, mais plus largement et plus efficacement l'aide à la croissance de l'économie française."

[1] Pour le détail de ces sigles : APCE - Agence pour la création d'entreprise, Oséo, organisme public de prêts et de garanties auprès des PME, les agences locales qu'elles soient régionales, départementales ou locales sont au total une centaine environ, NACRE - nouvel accompagnement pour la création et la reprise d'entreprises, JEI- jeune entreprise innovante, SRADDT - schéma régional d'aménagement et de développement durable des territoires, …

[2] Rapport n°372 du 20 février 2013 de Jean-Luc Fichet et Stéphane Mazars

[3] Rapport État et financement de l'économie ; Cour des comptes juillet 2012 – Tableau page 273.