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Tiers payant médical: le détonateur

Mettre cinquante-mille professionnels de santé dans la rue, réunir les médecins généralistes puis les spécialistes, la médecine de ville puis les établissements de soins, à lui tout seul, le tiers payant aurait été incapable de déclencher une telle vague de protestation. L’ampleur du mouvement montre qu’il n’est que le détonateur d’un malaise profond du monde de la santé, de plus en plus sur-administré et de moins en moins considéré par les responsables politiques. Le tiers payant pourrait être envisagé une fois notre système de santé réformé, mais surtout pas alors qu’il est proche de la rupture.

Problème 1: sept milliards de déficit

Imposer le tiers payant, donc renforcer la méconnaissance des Français sur le véritable coût des soins et encourager des attitudes de surconsommation médicale, est déplacé au moment où l’urgence est de réduire le déficit de l’Assurance-maladie toujours de 7 milliards d’euros  par an. Combien de temps les marchés financiers internationaux accepteront-ils de les financer, et les générations futures de les rembourser ? Si le tiers payant est courant dans de très nombreux pays, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ces pays ont d’abord fait les réformes qui ont rendu cette facilité acceptable en responsabilisant les acteurs.

Problème 2 : quatre questions pratiques pas résolues

En France, le tiers payant est déjà accessible à ceux qui en ont le plus besoin, les personnes bénéficiant de la CMU. Mais les professionnels de santé ont été rendus méfiants par les problèmes qu’ils ont, ou ont eu, à se faire payer par l’Assurance-maladie obligatoire pour ces patients. Le reste de la population disposant à 95% d’une complémentaire santé, les problèmes qui se posent déjà sont connus : les assurés changeant souvent de complémentaire santé, les pharmaciens, les laboratoires d’analyse et les autres prestataires rencontrent des problèmes à se faire payer quand le fichier des adhérents n’est pas à jour. Mais la principale inquiétude des praticiens vis-à-vis du tiers payant, très concrète, résulte de la complexité de notre système d’Assurance-maladie. Pour se faire payer, chacun d’eux devra s’adresser non seulement aux multiples gestionnaires de l’Assurance-maladie obligatoire (CNAMTS, MSA, RSI, Caisse SNCF, Caisse RATP, Caisse EDF/GDF, MGEN, Etudiants…) mais surtout, aux 600 complémentaires santé, de tailles différentes (de quelques milliers à quelques millions d’assurés) et de nature différentes (assureurs, mutuelles, instituts de prévoyance). Par ailleurs, le tiers payant ne supprimerait pas les paiements directs par les patients : ni pour ceux (5%) qui n‘ont pas de complémentaire santé, ni pour les dépassements de tarifs en secteur 2. Et enfin, le problème des franchises n’est toujours pas résolu : si le patient ne paie rien, comment récupérer le forfait de 1 euro par consultation, celui de 0,5 euro par boîte de médicament et celui par nuit à l’hôpital. Interrogée au Sénat, la secrétaire d'État aux Personnes handicapées, Ségolène Neuville, a déclaré que le gouvernement mettrait en place « un recouvrement par prélèvement bancaire après autorisation de l'assuré, qui conditionnera l'accès au tiers payant, mécanisme préconisé par l'Inspection générale des affaires sociales ». Une solution complexe, intrusive, qui a soulevé de vives protestations et qui a été immédiatement démentie par la ministre de la Santé. Signe que les problèmes pratiques posés par le tiers payant n’ont pas été correctement analysés.

Problème 3: une question de fond

Gouvernée par l’État et l’Assurance-maladie obligatoire qui ne font clairement qu’un depuis que l’État dirige la CNAM, le monde de la santé craint pour sa liberté et pour son niveau de vie.  Une inquiétude légitime, ces deux organismes étant par nature bureaucratiques et impécunieux. La façon dont ils ont laissé les secteurs dentaire et optique en déshérence montre ce qui peut arriver à tous les autres. En 2015, les médecins reçoivent déjà une partie de leurs revenus directement de la CNAM en fonction de critères de « bonnes pratiques ». Et l’Assurance-maladie paie aussi une partie de leurs cotisations sociales par une méthode typique du « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ». Les médecins estiment que cet engrenage est dangereux et qu’il faut marquer un coup d’arrêt à cette fonctionnarisation de leur profession. Les assurés et les malades ont des raisons de les soutenir.

Solution  1 : simplifier le système d’Assurance-maladie

Notre système à deux niveaux (obligatoire + complémentaire quasi obligatoire) est unique en Europe, complexe, coûteux et handicape la gouvernance de notre système de santé. Le passage à un système à un seul niveau avec quelques dizaines d’assureurs comme en Allemagne ou aux Pays-Bas réduirait fortement l’appréhension des médecins vis-à-vis des problèmes pratiques du tiers payant. Et aussi leurs craintes existentielles justifiées de fonctionnarisation de leurs professions. Au lieu de se trouver face un monopole, ils pourraient négocier différents modes d’exercice convenant mieux à leur choix. De même pour les assurés. Au lieu d’avoir affaire à un monopole auquel ils sont contraints de s’affilier, chaque Français pourrait choisir l’assureur qui convient le mieux à ses besoins. Un contrat de confiance remplacerait un contrat forcé. Un progrès d'équité puisque les assureurs sont tenus d'accepter tous les assurés (contrairement aux complémentaires françaises). Et une simplification administrative qui mettrait un coup d’arrêt à l’étatisation de la santé.

Solution 2 : traiter les questions de fond

Le rejet du tiers-payant, le refus d’autoriser des pharmaciens à administrer certains vaccins ou  les infirmiers à pratiquer de nouveaux actes, alors que beaucoup de médecins sont débordés, témoignent de l’attitude défensive d’une profession mal préparée à son métier pendant ses études à l’hôpital, et humiliée depuis longtemps par les gouvernements et la CNAM. Dans certaines zones, leur désengagement de la permanence des soins et leur évolution vers des para-spécialités médicales témoignent de ce malaise.

Tous les métiers évoluent, mais ceux de la santé encore plus vite que les autres, et notamment celui des généralistes. D’abord le développement d’outils de diagnostic très précis, imageries et analyses médicales, décryptage du génome, qui remettent en question un des rôles fondamentaux de ces professionnels. Ensuite, les progrès très rapides des connaissances et donc la multiplication des spécialités médicales. La médecine est devenue tellement pointue que même un  spécialiste, par exemple du cœur, ne peut matériellement plus se tenir au courant de l’ensemble des évolutions de son domaine et ne peut donc plus traiter qu’une petite partie des pathologies. Dans ce contexte, le domaine de compétence du généraliste est à redéfinir. Enfin, l’amélioration du niveau d’instruction des Français, le phénomène Internet et le développement des associations de malades confrontent les médecins à des patients mieux informés et plus exigeants. Face à ces défis, depuis des décennies, l’État et l’Assurance-maladie ont conduit les médecins généralistes à un mode de travail à la chaîne, peu satisfaisant pour les malades et indigne pour des experts qui ont fait dix ans d’étude.

Au lieu d’aggraver leur inquiétude en agitant le chiffon rouge d’un tiers payant mal préparé, l’État devrait encourager leurs organisations professionnelles et syndicales à traiter les deux problèmes de fond qui se posent notamment aux généralistes : redéfinition de leurs rôles et de leurs rémunérations. Leur profession offre toute une panoplie de possibilités, et il n’est pas certain que toutes doivent être faites par tous et au même tarif de 23 euros comme l’impose le carcan unique actuel : délivrer des arrêts maladie, soigner des petits bobos, renouveler des ordonnances, suivre les malades chroniques, détecter les problèmes de santé des patients et les aiguiller vers les spécialistes et les établissements de soins appropriés, ou surtout rassembler toutes informations produites par les autres intervenants et traiter chaque malade comme un tout (santé et social). Dans de nombreux autres pays, le rôle des généralistes, aidés par des infirmiers et des secrétaires, a déjà évolué, améliorant leur situation morale et matérielle. C'est le cas au Royaume-Uni et en Allemagne où  les généralistes sont beaucoup mieux considérés et rémunérés. Pourquoi pas en France ?

En Allemagne, le tiers payant fonctionne avec des franchises. Pour les assurés de caisses maladie publiques, une franchise de 10€ par trimestre est appliquée lors de la première visite chez le médecin, qu’une participation de 10% du prix de vente des médicaments est demandée (min 5€ et max 10€) et que lors d’une hospitalisation, une participation de 10€ par jour est demandée au patient).