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Smic, un débat refermé aussitôt que réouvert ?

Il a suffi qu'un certain nombre de personnalités plutôt cataloguées à gauche – Pascal Lamy et les économistes Aghion, Cette et Cohen - se saisissent du tabou du smic pour que les médias s'enflamment, et que le gouvernement, sentant venir le danger d'un débat mortel pour ses relations avec les syndicats et la gauche de la gauche, s'empresse d'envoyer au front Najat Vallaud-Belkacem, nouvelle ministre du droit des femmes, de la ville et de la jeunesse, pour refermer immédiatement le débat en le qualifiant de « provocation inutile » [1]. Un débat donc clos apparemment, avant même d'être ouvert, parce qu'un débat mal posé.

La Fondation iFRAP s'est depuis longtemps et de nombreuses fois prononcée sur les problèmes posés par le smic, et nous n'allons pas une nouvelle fois en reprendre l'exposé [2].

Les références des articles de ces dernières années consacrés par la Fondation iFRAP au smic

A la date d'aujourd'hui voici les points sur lesquels il nous semble important d'insister.

Le smic français est bien le salaire minimum le plus élevé du monde, Luxembourg excepté. Car la référence la plus significative, d'ailleurs la plus souvent choisie dans les pays européens, est le smic mensuel et non pas le smic horaire, et ce smic mensuel implique généralement 39 heures de travail par semaine. En conséquence, la comparaison mensuelle à durée de travail égale doit se faire sur 169 heures et non pas 151 2/3 heures, soit 1.659 euros bruts, en comprenant un complément de 25% pour les 17,33 heures supplémentaires, et non pas 1.445. Un chiffre jamais égalé dans les autres pays. Ce point a le mérite de mettre le doigt sur la corrélation entre coût du travail et 35 heures, et sur la responsabilité des 35 heures dans le montant du smic brut : 214 euros, soit près de 15%.

Le point qui nous semble le plus important est que le débat est mal posé. Il fait en effet reposer une dépense de solidarité sur le coût du travail, en mêlant de la façon la plus détestable des considérations morales avec la pingrerie supposée de la caste des « patrons ». Or les dépenses de solidarité doivent reposer sur l'impôt et donc l'État et le contribuable, et non pas être intégrées dans le salaire. De ce point de vue la question du smic est la même que celle des allocations familiales, que le CICE est appelé à régler, en déplaçant les cotisations « employeur » de 5,4% du salaire brut sur l'impôt. Il faut apporter à la question du smic la même réponse, à hauteur d'un forfait correspondant au supplément payé par l'employeur par rapport à la productivité du salarié rémunéré au smic. Car c'est bien là que réside la cause du chômage, à savoir la non-employabilité de ce salarié, que démontrent parfaitement le livre très récent « Changer de modèle » des économistes Aghion, Cette et Cohen, ainsi que les études réalisées depuis longtemps par le spécialiste de la question, Cahuc.

C'est ce que nous indiquions dans notre note de juin 2012 : « La question rituelle, peut-on vivre avec 1.100 euros par mois ?, est mal posée. Elle confond en effet l'économie, qui doit répondre à la question de l'emploi, avec la politique, comprise comme expression du devoir moral de solidarité. Et on aurait tort de fustiger les entreprises qui-ne-cherchent-qu'à-s'en-mettre-plein-les-poches, car ce ne sont pas les grandes entreprises qui rémunèrent leurs salariés au smic, mais les TPE, les artisans et petits commerçants, catégories professionnelles qui ne distribuent pas de dividendes et dont les finances se situent la plupart du temps sur le fil du rasoir.

Si l'on place la question du smic au plan de la solidarité, il faut considérer non pas le salaire seul, mais le revenu de ceux qui le perçoivent, c'est-à-dire compte tenu des effets de la redistribution publique, et aussi des situations individuelles. » Et il faut alors faire entrer dans le calcul le RSA (les salariés au smic en bénéficient s'ils ne sont pas seuls au foyer, ce que peu de Français savent), la PPE et les autres contributions annexes. Autrement dit, il faut passer de la notion de salaire minimum à celle de revenu minimum. C'est à l'État qu'incombe la charge de cette solidarité, et non pas aux entreprises que le même État laisse montrer du doigt comme si elles étaient responsables du pouvoir d'achat des citoyens.

[1] Il est intéressant que ce soit la ministre de la jeunesse qui se saisisse de la question, et non pas les ministres responsables de l'économie ou du travail : il ne s'agit pas d'un problème économique mais du refus moral d'accepter le retour du smic jeunes de si mauvaise mémoire.

[2] Voir l'encadré