Actualité

Sauver la santé

Un médecin du privé au chevet du public

Un médecin qui parle de la santé, c'est prenant.

Un malade qui parle de sa santé, c'est émouvant.

Un directeur d'établissement de soins qui parle de la santé, c'est instructif.

Dans ce livre, c'est un médecin, directeur d'un groupe de cliniques et ayant lui-même subi un sérieux problème de santé, qui parle de ses diverses expériences et de ses convictions.

Si la couverture du livre présente Christian Le Dorze en costume foncé mais avec la blouse blanche du médecin sur l'épaule, ce n'est certainement pas un hasard. Cancérologue pendant 15 ans avant de cofonder le groupe de cliniques Vitalia, je crois qu'on peut lui faire le crédit de sa passion pour le système de soins français et de sa volonté de le voir atteindre un très haut niveau de qualité et d'accessibilité. Mais en 2012, son urgence, c'est de savoir comment le sauver.

La vraie vie

D'abord une séquence vécue avec une crise cardiaque soudaine survenue en province : les urgences d'abord, puis la suite des soins. Clinique privée ici, hôpital public là. Personnalité reconnue parfois, anonyme souvent. Un poste d'observation pas vraiment voulu, mais instructif, même pour un expert du sujet et une occasion de réflexion. De cette expérience ponctuelle de terrain, l'auteur constate la surabondance des personnels administratifs dans certains des services qu'il fréquente, et souvent leur peu de disponibilité. Cela va souvent avec. C'est un sujet qu'il reprendra plus loin, non plus à partir d'impressions, toujours risquées, mais à travers des statistiques précises.

Des cas précis de désordre

Ce livre ne se contente pas de généralités mais cite des cas concrets, et même les noms des responsables impliqués : hôpital Pompidou et son gigantisme, Paray-le-Monial où l'hôpital refuse de coopérer avec la clinique pour des raisons peu avouables, Poissy/Saint-Germain-en-Laye et les guerres intestines entre deux sites, Vannes et l'interdiction faite à une clinique privée d'assurer un service d'urgence, Ajaccio, Rouen et Caen en déficits et bien sûr, l'AP-HP. Un monstre apparemment impossible à réformer, qui a déjà consommé deux Directeurs généraux très réputés et où les interventions politiques sont encore pires qu'ailleurs.

Secteur public / Secteur privé

Inévitablement, le sujet des relations entre les hôpitaux publics et les cliniques privées est abordé. D'abord au niveau financier. Les écarts de tarifs qui perdurent entre les cliniques et les hôpitaux publics sous des prétextes de moins en moins crédibles avec le développement de grilles de plus en plus fines. Et en dépit de cet avantage accordé aux hôpitaux publics, d'un côté des pertes sans véritables conséquences puisque finalement compensées par des subventions dites « exceptionnelles ». De l'autre soit un équilibre financier soit des restructurations qui ont effectivement eu lieu avec une forte baisse du nombre de cliniques depuis 30 ans.

Des faits incontestables comme le retard pris par les hôpitaux pour la chirurgie ambulatoire, précisément parce qu'elle bouleverse l'organisation même des établissements (banalisation des blocs, décloisonnement des services, nécessité de plannings très précis…) montre la nécessité de profondes réformes dans le management des hôpitaux. Autre signe fort : la réaction aux 35 heures, un traumatisme pour tous les établissements, « traité » certes avec difficulté par les cliniques, mais simplement « repoussé » dans de nombreux hôpitaux qui se retrouvent avec des stocks faramineux de dettes en jours de récupérations et/ou de salaires non provisionnés dans leurs comptes.

Non aux corporatismes

Sur plusieurs sujets sensibles, Christian Le Dorze se prononce nettement contre les corporatismes qui règnent aussi parfois dans le secteur privé :
- les médecins doivent accepter d'être évalués beaucoup plus précisément ;
- des dépassements d'honoraires élevés et systématiques sont inadmissibles, notamment dans les secteurs où les malades ont un choix réduit de médecins ;
- il faut lutter sévèrement contre les prescriptions abusives de médicaments, de traitements et d'arrêts maladie ;
- le recrutement des directeurs d'hôpitaux publics doit être beaucoup plus diversifié ;
- le secteur privé à l'hôpital est sans doute nécessaire à condition d'être précisément encadré ;
- service public : « la mission ou le statut ? »

Connaître les cliniques privées

Enfin, l'auteur estime urgent de mieux faire connaître les cliniques privées. Comme d'autres il s'insurge contre l'accolement systématique de « à but lucratif » à « cliniques privées » alors que ni Michelin, ni Air France, ni EDF ne sont réduits à cet aspect de leur profil. Il est heureusement de plus en plus connu que se faire soigner dans une clinique coûte moins cher à l'assurance maladie que de se faire soigner à l'hôpital. Mais on sait moins que les cliniques prennent en charge les titulaires de la CMU (proportion variable suivant leur localisation), et encore moins que de nombreuses cliniques souhaitent assurer ces fameuses « charges » dont se plaignent les hôpitaux publics comme les Urgences, former plus d'infirmières et des internes, mais ne reçoivent pas les autorisations nécessaires du ministère de la santé. Ce dernier point est caricatural : les cliniques réalisent plus de la moitié des actes de chirurgie, et beaucoup plus dans certaines spécialités et dans certaines régions. Comment les futurs internes en chirurgie peuvent-ils être formés s'ils ne le sont pas dans les cliniques ?

Conclusion

De discrets visiteurs du soir qu'on imagine être des hauts fonctionnaires du ministère, des médecins chefs de pôles des hôpitaux et des cadres dirigeants des hôpitaux viennent consulter l'auteur sur ce qu'il fait dans ses établissements Vitalia et sur ce qu'il faudrait faire dans le secteur public. Une preuve encourageante de prise de conscience et d'ouverture, mais il y a urgence, « Nous en sommes presque à un point de non retour », d'après Christian Le Dorze.

Un autre témoignage convergent

[(« L'hôpital vu du lit », 2004, livre de Jean de Kersvasdoué, Directeur des hôpitaux de 1981 à 1986 :

Bien entendu, je savais déjà tout cela avant de me fracturer le bassin et de me retrouver à l'hôpital. J'étais déjà critique à l'égard du système, j'ai ressenti que je ne l'étais pas assez ! Je le savais mais je ne l'avais pas ressenti. Nuance !)]

Photo : AP/HP