Actualité

Réforme du droit du travail, on ne pourra pas éviter l’intervention du législateur

Voici, et c’est très bien, que se précise la volonté du gouvernement de s’attaquer au Code du travail, et plus généralement de réformer le droit du travail, et voici que fleurissent les rapports sur le sujet. La tendance générale serait de permettre aux accords collectifs, de branche ou d’entreprise, de déroger aux dispositions du Code du travail, de le rendre « supplétif » de la volonté des parties en d’autres termes, en supprimant en grande partie son caractère impératif. L’idée est parfaitement louable, mais on reste beaucoup sur sa faim avec cette simple proposition. D’abord parce que déroger à des règles n’est pas une mince affaire. Ensuite parce que de graves problèmes se posent lorsqu’il s’agit de déterminer le champ précis des dérogations permises. Enfin parce qu’il est certain que les sujets où il est le plus important de réformer ne sont pas de ceux qui peuvent être réglés par voie de dérogation à des dispositions du Code du travail, mais seulement par une intervention en bonne et due forme du législateur. Revue de détail.

La difficulté des dérogations

Monsieur de la Palice l’aurait dit, pour déroger à des règles, il faut d’abord les connaître, les identifier, et négocier leur suppression et leur remplacement. Or le problème du droit du travail est précisément que personne ne maîtrise sa connaissance, pas même les inspecteurs du travail comme le rappelle un rapport, et certainement pas les patrons des TPE ni des PME. L’obstacle est donc considérable de ce seul point de vue, sauf peut-être pour les grandes entreprises, mais là se pose le problème d’obtenir un accord collectif. Vu l’attitude des syndicats, leur concurrence, et la difficulté que rencontrent les employeurs pour obtenir des accords sur des sujets simples, il paraît exclu que des pans entiers du Code du travail puissent être utilement renégociés.

Concernant les TPE et les PME, où vont-elles trouver leurs interlocuteurs ? Est-il d’ailleurs souhaitable que la protection des salariés soit diminuée dans ces petites entreprises où le salarié est moins à même de se défendre ?

L’article 34 de la Constitution

Cet article stipule que la loi (celle votée par la représentation nationale) a seule compétence pour fixer les « principes fondamentaux » du droit. Son interprétation par le Conseil constitutionnel, notamment concernant la détermination des heures supplémentaires (Décision du 7 août 2008), montre que ces principes fondamentaux vont loin dans le détail. La réponse à la question dépendra beaucoup du champ des dérogations autorisé. Que permettra le Conseil s’il ne change pas sa jurisprudence ?

Les définitions et règles du contrat de travail

Il existe une panoplie considérable de types de contrats de travail. Difficile d’imaginer qu’on puisse s’affranchir des règles qui les gouvernent. Par exemple, la réglementation stricte des CDD pourrait-elle devenir supplétive ? Poser la question, n’est-ce pas y répondre ?

La durée légale du travail

Hors de question de changer la loi, a rappelé Manuel Valls. Cette loi dont l’effet est essentiellement de contraindre à payer des heures supplémentaires au-delà de 35 heures, mais qui permet déjà de ne payer que 10% de majoration au lieu de 25%. Il n’empêche, ces 10 ou 25%, ou encore ces RTT (dont on voit le résultat catastrophique dans les hôpitaux), constituent encore un frein important pour les employeurs. On ne pourra pas faire l’économie d’une intervention législative, sous un gouvernement ou un autre.

Dispositions relatives au maintien dans l’emploi

Le bénéfice de ces dispositions, qui ont pour effet d’instituer une véritable flexibilité, n’est malheureusement pas ouvert aux entreprises autres que celles « en difficulté », et ce malgré leur récente modification par la loi Macron. Peut-on sérieusement espérer une nouvelle évolution du périmètre d’application de la loi ? Ce serait capital pour rapprocher le modèle français du modèle allemand, qui a sur ce point démontré son indéniable supériorité.

La cause réelle et sérieuse du licenciement

Nous nous sommes maintes fois exprimés sur ce sujet pour souligner qu’il était impératif d’ouvrir plus largement la définition du licenciement réel et sérieux, surtout en matière de licenciement collectif. Or il s’agit d’une définition dont toute la signification dépend de l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Sauf à supprimer totalement la protection dont bénéficient les salariés, il n’est pas possible d’autoriser une dérogation au Code du travail en permettant de définir librement ce qu’il faut entendre par cause réelle et sérieuse. On se heurterait de plus à une résistance très vive de la part des tribunaux. C’est donc une modification de la loi elle-même qui est indispensable. Jusqu’ici, cette question est un des tabous politiques majeurs.

Les obligations de reclassement en cas de licenciements économiques

C’est un autre point extrêmement pénalisant pour les entreprises, compte tenu ici aussi de l’interprétation donnée par les tribunaux de la loi, qui impose à l’employeur de réaliser « tous les efforts de formation et d’adaptation » et de reclassement dans toutes les entreprises du groupe dans le monde entier. De même que pour la cause réelle et sérieuse, il appartient au législateur de réformer les dispositions du Code du travail.

Les dispositions pénales

La grande majorité des obligations des employeurs sont sanctionnées par des dispositions pénales (emprisonnement et/ou amendes). Par définition ces sanctions ne peuvent concerner que des dispositions impératives. C’est donc d’une révolution très délicate touchant l’ensemble du  Code du travail dont il serait question s’il était décidé d’autoriser des dérogations, afin d’éliminer sur chaque sujet les sanctions pénales en correspondance avec les dérogations permises.

Quant au fameux délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel, qui est toujours susceptible d’envoyer les employeurs en prison pour des futilités, on est là dans le droit mou, la qualification d’entrave étant du ressort des tribunaux. Comment faire dans ces conditions, sinon toujours en changeant la loi ?

Il s’avère donc très difficile de déterminer ce qui pourrait faire l’objet de dérogations dans le Code du travail. Nous n’en avons donné que quelques exemples, en insistant sur ceux qui concernent les questions les plus importantes. Par ailleurs, nous n’avons pas évoqué la réglementation du smic, dont la rigidité universelle et l’évolution automatique constituent  une difficulté très grande du marché du travail. Mais il s’agit ici encore d’un tabou que l’État s’est toujours refusé à discuter. Le statut de la fonction publique ne saurait non plus être passé sous silence, car il deviendrait de plus en plus difficile d’admettre que le statut de l’emploi privé aille vers davantage de flexibilité légale avec l’autorisation d’importantes dérogations, en face d’un statut public parfaitement rigide – et garantissant en particulier l’emploi à vie.

En conclusion, il ne fait aucun doute que l’opinion publique devient de plus en plus consciente de la nécessité de procéder à des assouplissements considérables du droit du travail, ni que le gouvernement soit disposé à faciliter cette évolution. C’est évidemment un changement que l’on appelait depuis longtemps de nos vœux.

Quant aux moyens d’y parvenir, celui consistant à renvoyer à la négociation sociale le soin de parvenir à des accords de branche ou d’entreprise ne saurait à notre sens suffire. En dehors de la difficulté inhérente à l’exercice compte tenu des positions toujours minimalistes des syndicats dès lors qu’il s’agit de passer des accords généraux diminuant la protection des salariés, le moyen préconisé est une solution insuffisante pour donner satisfaction toutes les nombreuses fois où c’est à la loi de se prononcer. C’est à l’État de prendre ses responsabilités, sans se défausser de façon trop commode sur d’hypothétiques accords entre partenaires sociaux dont l’expérience a trop souvent montré l’inefficacité.