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Primaires à droite : la réduction des délais de paiement

Deux candidats à la primaire à droite, François Fillon et Alain Juppé ne s’y sont pas trompés, la maîtrise des délais de paiement entre entreprises (B2B) et avec l’administration (G2B) constitue un véritable enjeu en termes macroéconomiques. Récemment, Bercy a fait état de l’impact des retards sur la trésorerie des entreprises pour l’année 2015 : 15 milliards de pertes de trésorerie chez les TPE-PME et 4 milliards d’euros pour les ETI entraînant près de 25% des faillites. Des montants qui d’une façon ou d’une autre ont nécessairement un impact sur la croissance, à commencer par l’incidence sur le tissu économique (défaillance des entreprises). Chaque candidat a délimité son propre champ de réflexion sur le sujet :

  • Pour François Fillon, il s’agit de « réduire les délais de paiement à 30 jours après facturation [dans une configuration B2B[1] ndlr] au lieu de 45 à 60 jours comme actuellement, mais, souvent, en réalité, plutôt 90 jours. Mesure qui s’appliquerait aussi pour le secteur public.[2] »
  • Pour Alain Juppé, la réflexion se concentrerait sur l’administration publique (G2B[3]) : « Il me semble essentiel d’améliorer les relations des administrations avec les entreprises, pour qu’elles travaillent l’une avec l’autre et non plus l’une contre l’autre. D’abord, il faut en finir avec les délais de paiement scandaleux qui minent la trésorerie de tant de nos PME. Je propose que celles-ci puissent se faire régler leurs créances en retard par un organisme public Bpifrance ou la Caisse des dépôts, à cette dernière d’obtenir le paiement auprès de l’acteur public concerné.[4] »

Un état actuel de la question déjà bien balisé 

La question des délais de paiement et leur impact est un problème déjà bien cerné par les pouvoirs publics et le législateur. Un premier arsenal avait déjà été voté dans le cadre de la LME (loi de modernisation de l’économie) de 2008[5], permettant d’encadrer les délais de paiements : pour les entreprises il s’agit de 60 jours à compter de la date de la facture et de 45 jours après la fin du mois de livraison. Pour l’administration, il s’agit d’un délai de 30 jours à compter de la réception de la facture. La réglementation a ensuite été complétée dans le cadre de la transposition de la directive 2011/7/UE relative à la lutte contre les retards de paiement (la loi n°2013-100 du 28 janvier 2013 et le décret n°2013-269 du 29 mars 2013[6]). Puis par la loi Hamon, 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui sans toucher aux principaux plafonds a institué des sanctions pécuniaires sous la forme d’amendes administratives dont le montant maximal est fixé à 75.000 € pour une personne physique et 375.000 €[7] pour une personne morale, sans pouvoir cumuler les amendes consécutives à des retards cumulés (principe de « confusion », fixé au maximum du quantum de l’amende selon les plafonds susvisés).

Enfin, en novembre dernier, le ministère de l’économie et des finances a publié une communication[8] (23 novembre 2015) suivi d’un décret 2015-1553 du 27 novembre 2015 (JORF n°0277 du 29 novembre 2015), imposant aux commissaires aux comptes de vérifier :

  • La présence dans le rapport de gestion du nombre et du montant des factures reçues et émises, ainsi que celles qui n’ont pas été réglées à la date de clôture de l’exercice. Ces montants étant ventilés par tranches de retard définies par arrêté et rapportées en pourcentage au montant total des achats HT de l’exercice (reçues) et au Chiffre d’affaires (émises).

Sont désormais annoncées comme incluses dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, (TLCMVE), actuellement déposé à l’Assemblée nationale :

  • L’extension du dispositif d’alerte mis en place dans le cadre de la LME de 2008 pour les sociétés cotées en matière de non respect des délais de paiement aux créances clients concernant toutes les grandes entreprises et les ETI de plus de 250 salariés avec un CA>50 millions d’€ ou de plus de 43 millions d’euros de total de bilan.
  • La mise en place d’un principe de « name and shame » de l’ensemble des contrevenants sur le site public du ministère de l’économie et des finances (5 noms d’entreprises ont déjà été publiés en novembre 2015),
  • Enfin, un renforcement des sanctions avec un plafond relevé des amendes « Hamon » de 375.000 euros à 2 millions d’euros, ainsi que la possibilité de les cumuler sans limite et leur publication automatique par Bercy.

Des résultats toujours décevants, mais très contrastés entre privé et public 

En réalité cette apparente « prise en main » des pouvoirs publics ne se retrouve pas du tout dans les chiffres.

  • Côté relations commerciales privé/privé : Il apparaît en effet que les retards ressortent entre entreprises de 10 jours en 2014 à 13,9 jours en 2015 pour les PME[9], de 8,2 à 12,1 jours pour les grands comptes, tandis que les 120 entreprises identifiées comme grands donneurs d’ordres apparaissent comme présentant le plus grand nombre moyen de retards avec 13,7 jours au 3ème trimestre 2015[10] contre 13,5 jours lors du second trimestre. Le ministère qualifiant ce résultat de « pire valeur depuis dix ans ». Près d’un grand donneur d’ordre sur deux (43%) reportait alors ses paiements d’au moins 15 jours.

Dans une perspective plus européenne la position de la France est contrastée. En effet, les législations européennes désormais théoriquement harmonisées en matière de délais maximaux et de retard par rapport à ces délais sont assez disparates. On trouve par exemple, des DGP (durées globales de moyenne de paiement, encore appelées DSO (Days Sales Outstanding)), beaucoup plus importants (y compris contractuellement) dans les pays du Sud de l’Europe que dans les pays du Nord et de l’Allemagne en particulier[11] (ici pour 2013).

Et les délais de retard par rapport à ces mêmes plafonds de paiement théoriquement normalisés (mais le Portugal par exemple est toujours en infraction par rapport à la réglementation européenne et a procédé d’ailleurs à une transposition défectueuse en la matière).

Il apparaît par ailleurs que s’agissant des retards de paiement toutes entreprises confondues (secteurs et tailles), la France apparaît par exemple dans une situation meilleure que le Royaume-Uni, mais celui-ci dispose de DSO de 45 jours en moyenne tandis que la France est à 60 jours environ, alors que l’Allemagne par exemple ou la Hollande, parviennent à rester légèrement sous les 40 jours en moyenne pour des retards de seulement 6,4 jours et 8,5 jours respectivement.

Pour la France, les derniers chiffres publiés par Altares, sont les suivants pour le troisième trimestre 2015 avec classement par taille qu’il s’agisse d’entités publiques ou privées :

  • Côté relations commerciales public/privé : le secteur public se tient plutôt bien, mais au prix d’une grande disparité entre les administrations d’Etat et les administrations locales et hospitalières. D’une façon générale, le plafond du délai global de paiement de l’Etat n’est que de 30 jours, contrairement aux entreprises (60 jours). Par ailleurs, il apparaît relativement contenu après une hausse importante ces dernières années dues à la mise en place de la fonction de facturation liée à Chorus (progiciel de gestion de l’Etat entre 2010 et 2012), lié notamment au déploiement de services facturiers. Au 31 décembre 2015 le délai moyen est de 19 jours pour l’Etat ce qui laisse espérer un objectif atteignable à 17 jours pour 2017 (voir tableau infra). Ce que met en lumière cependant le cabinet Altares, c’est que lorsqu’il y a des retards (voir tableau supra), ils sont particulièrement importants dans les petits services déconcentrés (18,4 jours en moyenne au-delà des 30 jours), et dans les très grands (17,6 jours), les services de taille moyenne affichant un retard de seulement 15,5 jours au-delà des 30 jours réglementaires (soit 16,6 jours en moyenne tous services confondus). Plusieurs éléments concourent à cette bonne tenue globale : mise en place de solutions dématérialisées, déploiement à partir d’avril 2012 de la mesure de règlement immédiat des PME-ETI. Pour l’Etat, le taux de dépenses payées en moins de 30 jours, donc sans retard, ressort à 85,3%, soit 14,7% de paiements tardifs.

En revanche, s’agissant des collectivités territoriales et des hôpitaux, les résultats sont beaucoup moins bons : le délai de paiement moyen s’élève à 28,2 jours pour les collectivités, le délai global pour les régions étant très mauvais avec 33 jours en 2015 systématiquement au-dessus de la limite des 30 jours, tandis qu’il ressort à 20,9 jours pour les communes de moins de 10.000 habitants. Les établissements hospitaliers également décrochent avec une performance de 47,1 jours de délai de paiement quant la limite dérogatoire autorisée est de 50 jours. Il en résulte que les statistiques au 3ème trimestre toutes administrations confondues sont dégradées par ces mauvaises performances, les administrations réglant dans le délai de 30 jours s’établissant à seulement 35%, 61% avec un délai de retard inférieur à 30 jours (au-delà des 30 premiers jours, qui eux ne sont pas considérés comme du retard), 4,1% avec un délai supérieur.

Les raisons sont multiples à ces mauvaises performances, dont les contraintes budgétaires assignées aux collectivités territoriales et la dégradation de la situation financière des EPS (établissements publics de santé). Cependant le secteur local dispose encore de handicaps structurels :

  • La séparation de la chaine d’ordonnancement et de paiement qui n’est pas intégrée, impose une double computation des délais entre ordonnateur et comptable public de la dépense ;
  • La promotion des moyens modernes de paiement (carte d’achat, prélèvements automatiques) est encore balbutiante ;
  • Le développement de la facturation électronique et de la dématérialisation est encore très insuffisante (même si le protocole d’échange standard de 2015 devrait déboucher sur une dématérialisation systématique[12]).

Conclusion : des propositions encore succinctes sur un champ stratégique 

Les rares études économétriques disponibles corroborent l’analyse portée par l’INSEE sur le lien entre retard de paiement et degré de défaillance des entreprises, bien que les effets macro-économiques produits dans les relations B2B et G2B soient contradictoires[13]. En tout état de cause les candidats à la primaire des Républicains ont bien cerné, bien que très succinctement, l’enjeu de la maîtrise des délais de paiement pour le soutien au tissu économique dans son ensemble.

Par ailleurs de la part de la puissance publique, un raccourcissement des délais de paiement n’implique rien en matière de déficit au sens de Maastricht[14] (sauf sans doute en matière de livraison de matériel militaire), mais pourrait avoir un effet légèrement dégradant sur la dette au sens de la comptabilité nationale. C’est dans cette perspective que la proposition d'Alain Juppé est intéressante. En mobilisant le potentiel financier de la BPI ou de la Caisse des dépôts, il serait en effet possible, sans dégrader la dette, d’avoir une action sensible sur la trésorerie des entreprises contractant avec la puissance publique (généralement de grandes entreprises à 70% environ), et donc par ruissellement, sur leurs propres sous-traitants (généralement des structures beaucoup plus petites). Une approche qui compléterait le CICE et qui apporterait pour le coup un certain renfort en matière de résilience (en temps de crise par rapport au risque de défaillance) et donc de croissance potentielle (il s’agit d’une mesure de soutien structurelle). Un apport qui pourrait servir de transition en attendant la généralisation de la dématérialisation des moyens de paiements et de la chaine comptable des collectivités, (en attendant le déploiement du compte financier unique au niveau local), dans le droit fil du dispositif mis en place par l’arrêté du 16 février 2015 relatif aux dépenses pouvant être payées sans ordonnancement préalable ou avant service fait.

Les propositions de la Fondation iFRAP :

  • Prévoir un « name and shame » croisé pour les clients en cas de retards délibérés et répétés (il n’y a pas dans le décret du 27 novembre 2015 de symétrie entre la publication des retards pour les fournisseurs et pour les clients), signalement obligatoire dans le rapport de gestion (pour recoupement avec les données signalées par les CAC à Bercy), ce qui permettrait de décharger les victimes muettes pour cause de risques de rétorsions économiques ;
  • Proposer que l’observatoire des délais de paiement documente davantage les données s’agissant des délais et retards des administrations publiques, notamment par secteur d’entreprises et taille d’entreprises contractantes, afin de disposer de données permettant de juger de leur effet sur la santé des entreprises cocontractantes ;
  • Une obligation de signalement devrait être mise en place avec une pratique identique de « name and shame » croisée (auprès des entreprises) et du côté des administrations (au besoin par services) mauvaises payeuses ainsi que dans le reporting par les CAC des retards enregistrés dans les comptes de leurs propres clients (grands comptes, ETI, contractant avec l'administration) ;
  • Etablir une convention de partage des données entre l'observatoire des délais de paiement et l'observatoire de l'achat public afin de pouvoir croiser les délais de paiement des factures avec leurs montant s'agissant des relations commerciales entre les entreprises et l'administration ;
  • Il faut pour cela une véritable transparence sur les données d’achats publics et leur retraitement en comptabilité nationale. Ce qui suppose d’élargir le spectre de l’observatoire de l’achat public (actuellement en sommeil suite à la transformation du service des achats de l’Etat (SAE) en DAE (direction des achats de l’Etat). Un récent rapport sénatorial oscillant par exemple, s’agissant du périmètre des achats publics, entre 110 milliards d’achat public et 280 milliards (en y ajoutant les achats des opérateurs toutes strates confondues[15]) ;
  • Proposer l’intermédiation pour les contractants de l’administration d’une structure faisant l’avance des fonds en cas de retard de paiement (au-delà de 30 jours). Dans cette affaire la BPI ou la Caisse des dépôts semblent également qualifiées (ce qu'a parfaitement relevée la proposition d'Alain Juppé).
  • Le calcul des intérêts moratoires étant automatique dans l'application Chorus au niveau de l'Etat, la mise en place d'un dispositif analogue au niveau des collectivités territoriales (tout au moins en les rendant par voie législative impératifs (donc d'ordre public) sur le chef des comptables public (sous peine d'engagement de leur responsabilité professionnelle) devrait permettre de soulager les TPE/PME de la pression exercée par les collectivités (chantage à l'accès à la commande publique locale) pour leur abandon. Ce dispositif devrait permettre de discipliner les pratiques au niveau local.
  • Mettre en place un cadre législatif et réglementaire permettant de définir une stratégie alignant les entreprises françaises et les administrations françaises sur les meilleures pratiques internationales (les meilleures recensées étant dans le cadre des dernières données disponibles pour les administrations (G2B) (2013) : la Finlande, l’Estonie, la Suède, le Danemark et l’Allemagne[16]) ; pour les relations B2B il s'agit de l'Allemagne. La proposition de François Fillon avec un alignement de l'ensemble des délais publics et privés à 30 jours, participe de cette logique, même si l'objectif pourrait être encore plus ambitieux pour l'administration.

[1] Expression Business to Business, délais entre professionnels (client/fournisseur), opposé à B2C, Business to Consumer.

[2] Voir Latribune.fr, Les mesures choc de François Fillon en faveur de l’entrepreneuriat, 3 février 2016.

[3] Expression Government to Business, relation entre l’administration et ses cocontractants privés.

[4] Se reporter à l’ouvrage, Cinq ans pour l’emploi, Grasset, mai 2016, p.40-41.

[5] La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME), https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019283050

[6] Voir pour une application dans l’ensemble des pays de l’Union, le mémoire de Martin Winther Bolet, Combating late payment in commercial transactions, Aahrus School of Business, 2011, http://pure.au.dk/portal-asb-student/files/39683174/bolet_masterthesis_Final.pdf

[7]http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/concurrence/relations_commerciales/delais_paiement_direccte_aquitaine_2014.pdf

[8] http://www.economie.gouv.fr/delais-paiement-entreprises-mesures

[9] Voir Observatoire des délais de paiements, estimations Altares, http://www.economie.gouv.fr/observatoire-delais-paiement-rapport-2014-2015, mais aussi le rapport annuel, http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/observatoire_delais_paiement_rapport_annuel_2015.pdf

[10] Voir le baromètre Altarès au 3ème trimestre 2015, p.5, http://www.lemoci.com/wp-content/uploads/2014/12/Etude-Altares-Paiements-3e-trimestre-2015.pdf

[11] Voir Etude de la commission européenne, William CONNELL Economic paper 531/Septembre 2014, The economic impact of late payments, p.10, http://ec.europa.eu/economy_finance/publications/economic_paper/2014/pdf/ecp531_en.pdf

[12] Il devrait en résulter, pour les entreprises comme pour les collectivités, de forts gains d’efficience : on parle ainsi de 9 euros par facture répartis, selon une étude de KPMG, en une économie de 3,24 euros par facture envoyée et de 5,77 euros par facture reçue. http://www.efactuur.belgium.be/sites/5039.fedimbo.belgium.be/files/explorer/Rapport_facturation_electronique_bureaudemesure_2013.pdf. Pour le cabinet EY, la dématérialisation aboutirait à une économie de 25 à 50% des coûts de traitement des factures estimés à 15 euros, voir, p.27 http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Livre-blanc-EY-Dematerialisation-des-factures-fournisseurs/$FILE/Livre-blanc-EY-Dematerialisation-des-factures-fournisseurs.pdf

[13] Comparer l’approche de William CONNELL Economic paper 531/Septembre 2014, The economic impact of late payments, avec celle de C.CHECHERITA-WESTPHAL, A. KLEMM, P. VIEFERS, Governments’ payments discipline: the macroeconomic impact of public payment delays and arrears (2014), voir sa seconde version, publiée dans les ECB Working Papers, n°1771/March 2015. https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecbwp1771.en.pdf?3446ec585b7476cf41082e32d8fd2464

[14] Il s’agit d’une comptabilité d’engagement ce qui ne tient pas compte comme en comptabilité budgétaire dite de caisse de la date de paiement de la créance, s’agissant des consommations intermédiaires.

[15] Voir le rapport sénatorial de M. Martial BOURQUIN Passer de la défiance à la confiance, pour une commande publique plus favorable aux PME, octobre 2015 http://www.senat.fr/rap/r15-082-1/r15-082-132.html, que l’on comparera avec les derniers chiffres INSEE en matière de consommation intermédiaire pour l’année 2014 http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF08341

[16] Voir William CONNEL, op.cit, p.11. Mais via des estimations proxy.