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Plus de retraités : quel impact sur le chômage ?

L'objectif de justice est mis en avant pour justifier le retour de la retraite à 60 ans pour 20% des salariés. Un souci légitime, mais comme d'autres injustices beaucoup plus criantes persistent, il y a doute. Pourquoi, par exemple, ne pas commencer par remettre en cause les privilèges dont bénéficient les régimes spéciaux des fonctionnaires, SNCF, EDF/GdF, RATP, parlementaires… ? Derrière la mesure de « justice » qui a été choisie, se cache sans doute une croyance tenace : mettre à la retraite 100.000 actifs de plus réduirait d'autant le nombre de chômeurs. L'expérience montre que c'est malheureusement l'opposé qui se produit.

On nous avait dit : « Les préretraites vont réduire le chômage », et « La retraite à 60 ans va réduire le chômage », puis « Les 35 heures et le partage du travail vont réduire le chômage », puis encore « Le départ massif en retraite des papy boomers à partir de 2005 va réduire le chômage », et aussi « La baisse structurelle du nombre d'actifs arrivant sur le marché du travail va réduire le chômage [1] ». Des piles de livres, d'articles, de discours, de programmes politiques et de thèses ont cherché à démontrer que « un retraité de plus, c'est un chômeur de moins ». Mais 40 années d'expérience en vraie grandeur ont prouvé un fait incontestable : la France cumule à la fois les retraités et les chômeurs. Qui peut encore croire que payer des personnes à ne rien faire pourrait favoriser le développement économique ?

Le mythe du salarié banalisé

Un départ en retraite = une embauche. Dans le monde réel, plusieurs facteurs faussent cette équation. Certains de ces 100.000 salariés spécialisés sont difficilement remplaçables, leur expertise n'existant pas sur le marché de l'emploi (ex : artisanat). D'autres travaillent dans un secteur de pointe tendu où il y a déjà une pénurie de main-d'œuvre (ex : Internet). D'autres sont peu qualifiés mais dans des secteurs qui n'attirent pas les chômeurs (bâtiment, restauration, agriculture). Et d'autres contraintes comme la localisation géographique, le logement ou le travail du conjoint constituent autant de freins à l'interchangeabilité des travailleurs : le « couper / coller », c'est valable dans le monde du numérique, pas dans celui des êtres humains.

Le choix des employeurs

Face au départ de salariés en retraite, les employeurs ont aussi des choix : les remplacer par d'autres salariés, ou par des machines, ou profiter de cette opportunité pour réduire leurs effectifs. Dans l'ambiance actuelle, il est à craindre que les employeurs ne choisissent massivement ces deux dernières solutions. Du point de vue de nombreuses entreprises, cette baisse de l'âge de la retraite est une mesure très positive : en période de crise, alors qu'il est très difficile de licencier et que les salariés ont le droit de repousser leur départ en retraite jusqu'à 70 ans, une baisse en douceur de leurs effectifs était inespérée. Mais au niveau de la France, cela n'empêche pas la mesure d'être très négative pour les caisses de retraite, et pour les entreprises et leurs salariés dont les cotisations vont augmenter.

Pas de source magique

Le départ en retraite de 100.000 salariés supplémentaires par an (soit un stock permanent d'environ 200.000 retraités de plus pendant les 20 ans à venir) ne crée aucune nouvelle ressource (une nouvelle cotisation n'est pas une nouvelle production). Globalement, les sommes qui seront versées à ces retraités ne pourront pas être aussi versées à de nouveaux salariés. Un prélèvement de 1,5% supplémentaire sur tous les salaires pour financer ces 200.000 retraités, cela ne semble pas énorme a priori (1% pour la retraite sécurité sociale et 0,5% pour les retraites complémentaires). Mais c'est quand même supérieur au prélèvement du 1% logement qui a permis la construction de centaines de milliers de logements.

Conclusion

Contrairement à une vision bureaucratique du marché du travail, un retraité de plus ne correspond pas à un chômeur de moins. Les transferts très complexes qui découleront de l'augmentation des cotisations pour financer ces retraites entraineront des destructions d'emplois en bout de chaîne, victimes collatérales d'une logique quantitative qui déjà montré par le passé son échec. Il pourra s'agir d'ouvriers de l'industrie, de commerçants de villes de province, d'agriculteurs dans des villages reculés, d'aides ménagères ou de tout autre Français du secteur privé parce que les produits français ne seront plus compétitifs à l'exportation ou que les Français ne pourront plus les consommer. Et aucune personne de leur entourage personnel ou professionnel n'aura généralement profité de cette possibilité de départ avancé en retraite. Elles n'auront aucun moyen de savoir d'où leur vient cette catastrophe. Et pour ceux des secteurs public et para public, le risque ne pèsera pas sur eux, mais sur leurs enfants.

[1] En 2010, le nombre de jeunes de 20 ans était inférieur de 38.000 à celui en 2000, et de 86.000 par rapport à 1990 soit une baisse de plus de 10% (source Population et Société N° 487)