Pénibilité : simplifier ou supprimer
Le gouvernement vient d’annoncer qu’il se donnait jusqu’à la fin de l’année pour simplifier le compte de prévention de la pénibilité, sujet de discorde entre les entrepreneurs et les syndicats de salariés. L’exécutif a raison de vouloir s’attaquer à ce problème alors que des statistiques récentes de la CNAV révèlent que le nombre de salariés concernés par ce dispositif va croître considérablement dans les prochaines années. Au-delà de la simplification sur la prise en compte des facteurs de risque, il faut aussi rechercher à simplifier les différents dispositifs qui cohabitent dans ce domaine et à rationaliser leur financement. La Fondation iFRAP, dans de précédentes notes, a appelé à supprimer ce dispositif qui, tant sur la forme que sur le fond, ne répond pas l'objectif.
Le sujet de la pénibilité est revenu sur la table alors qu’il avait fait l’objet de nombreuses promesses pendant la campagne présidentielle[1]. Le chef du gouvernement a déclaré ne pas vouloir revenir sur le compte pénibilité mais le suspendre pour le simplifier.
Rappelons que le compte a pour principe que les actifs exposés à des facteurs de pénibilité se voient attribuer des points transformables en droits à la formation ou à retraite anticipée. Cette mesure est un marqueur de la réforme des retraites portée par Marisol Touraine et Jean-Marc Ayrault et un point essentiel aux yeux des syndicats de salariés, la CFDT en tête, qui n’envisagent pas que l’on remette en cause le dispositif.
Mais pour le MEDEF et plus encore pour la CPME, le compte pénibilité est un véritable casse-tête. Par exemple : mesurer pour chacun des salariés d’une entreprise combien de temps il passe dans une journée à pousser une charge, ou encore mesurer pour chacun des salariés l’angle que doit faire le bras avec son corps durant son travail. L’identification de ces facteurs de risque doit être scrupuleusement effectuée et reportée pour les salariés concernés, sous peine pour l’employeur d’être poursuivi par l’administration.
D’où la volonté du gouvernement de simplifier le dispositif alors que près de 800.000 personnes ont déjà acquis des droits au titre de 2016 selon la CFDT. Car le C3P est déjà entré en vigueur de façon progressive. A partir de janvier 2015, quatre critères ont été appliqués : travail répétitif, de nuit, en hyperbare (sous haute pression, comme les travailleurs sous-marins par exemple) et en 3X8. Depuis le 1er janvier 2016, six nouvelles conditions sont entrées en vigueur : port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, températures extrêmes et l’exposition aux bruits.
Entrée en vigueur des facteurs d’exposition devant être pris en compte dans le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) | 1er janvier 2015 :
1er juillet 2016 :
Tous les facteurs de pénibilité font donc l’objet d’une déclaration d’exposition. |
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Obligations déclaratives | Ce sont les caisses de retraite (CARSAT) qui créent et gèrent pour le compte des salariés les C3P Les fiches d’exposition prévues à l’origine sont supprimées. La déclaration aux facteurs d’exposition se fait via la DADS pour 2015 et 2016 et via la DSN pour 2017. |
Taux de cotisation | La cotisation de base est due par tous les employeurs même lorsque les salariés concernés ne sont pas exposés à un facteur de pénibilité. Son taux est fixé à 0,01 %. La cotisation additionnelle est due par les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité au-delà des seuils d’exposition. Son taux est fixé à 0,20 % à compter de l’année 2017. Ce taux est doublé pour les salariés ayant été exposés simultanément à plusieurs facteurs de pénibilité au-delà des seuils prévus. |
Les chefs d’entreprises ne pouvant suivre heure par heure les temps d’exposition aux facteurs de risques de leurs salariés, des référentiels, c’est-à-dire des métiers types pour lesquels des facteurs de pénibilité ont été reconnus ont été adoptés dans des référentiels.
Sauf que, d’après les chiffres du ministère du Travail, seules 13 branches professionnelles, sur un peu plus de 700, ont mis en place un référentiel sur lequel le chef d’entreprise peut s’appuyer. Mais de très puissantes branches comme la métallurgie ou le bâtiment n’ont pas bougé… Le risque est de frapper des emplois exposés à la concurrence internationale (travailleurs détachés) et dont on se plaint aussi qu’ils ont du mal à recruter. Le bâtiment milite justement pour des commissions composées notamment de médecins du travail pour étudier individuellement les cas de départs à la retraite ou de demandes de formation. Cet examen individuel est réclamé par les « petits patrons » pour qui le compte pénibilité et son application est un risque juridique supplémentaire.
Rappelons que plusieurs mécanismes essayent d’approcher cette question des métiers difficiles sans être pour autant totalement satisfaisants : les pensions d’invalidité qui visent à compenser la perte de rémunération due à l’invalidité, les maladies professionnelles prises en charge par la Sécurité sociale, les accords de prévention de la pénibilité pour certaines entreprises, les différents dispositifs de cessation anticipée d’activité, etc. Il faudrait déjà mener une convergence de tous ces dispositifs.
Autre difficulté, le paiement d’une cotisation supplémentaire assise sur des salaires plutôt faibles pourrait ne pas suffire pour financer les mesures de formation, temps partiel, retraite anticipée, d’où la tentation d’augmenter les cotisations sur les métiers pénibles, voire sur tous les emplois.
Sur ce sujet, les statistiques de la CNAV publiées récemment montrent en effet que sous un certain nombre d’hypothèses de pénibilité fixées par la Dares, le nombre de salariés exposés au cours de l’année à au moins un facteur de pénibilité s’élèverait entre 2,6 millions et 3,0 millions de 2020 à 2070. Ainsi, 31% des femmes et 43% des hommes nés en 1980 salariés au cours de leur carrière seraient exposés à au moins un facteur de pénibilité au cours de leur carrière. Cette part serait croissante avec les générations et se stabiliserait à partir des générations 1996‐2000. La CNAV projette que le nombre de salariés anticipant leur départ à la retraite s’élèverait à 28.000 en 2030, 50.000 en 2040, 66.000 en 2050, 96.000 en 2060 et 100.000 en 2070 mais précise que ces départs pourraient se substituer à des départs pour inaptitude ou même à des départs à l’âge légal.
Cependant, vu le nombre de salariés exposés on peut donc se demander si la cotisation ne risque pas de progresser. Et contribuer non seulement à l’inflation du coût du travail et aussi à la complexité de la fiche de paie. Rappelons-nous que le dispositif carrière longue étendu en 2012 avec François Hollande avait été financé par une cotisation additionnelle fixée à 1%. Pour le CFA, les entreprises entrant dans le champ d’application de la convention collective nationale des transports routiers appliquent un taux de cotisation de 2,80% (marchandises) ou 1,50% (voyageurs) du salaire brut, dont 60% à la charge de l’employeur. Quant à la tarification des risques professionnels, elle fait aussi l’objet de cotisation spécifique qui varie selon le secteur et la taille de l’entreprise : il existe un taux collectif pour les effectifs de 1 à 19 salariés, un taux mixte pour les entreprises de 20 à149 salariés, c’est-à-dire un taux qui combine taux collectif et taux individuel qui dépend de la sinistralité observée dans l’entreprise, enfin au-delà de 150 salariés c’est un taux individuel. Le taux de cotisation moyen observé est de 2,32% et il faut noter que ce taux est calculé au niveau de l’établissement et non de l’entreprise.
Ainsi, si l’on tient compte du risque juridique, de la possible augmentation des cotisations et surtout de la complexité au niveau de la fiche de paie, les syndicats, les organisations patronales et l’Etat doivent rationaliser les différents dispositifs. Cette démarche participera à la réforme du droit du travail dont le gouvernement entend lancer le chantier d’ici l’été.
[1] Les principaux candidats ont tous fait des propositions sur cette question : voir notre comparateur