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Ouverture des données médicales : un trésor à la clé

Progrès médical contre principe de précaution

Les scandales médicaux sont peu fréquents comparé au nombre de traitements effectués et à leur diversité. Mais même catastrophiques comme celui du Médiator, ils sont souvent découverts par hasard, preuve que de nombreux autres restent ignorés. De leurs côtés, l'évaluation de l'efficacité des traitements médicaux est insuffisante, et la prévention individuelle est absente de notre politique de santé. Choquant, alors qu'existent les données médicales et les outils qui permettraient de réduire les risques et d'augmenter l'efficacité des soins.

La perspective qu'un proche, un employeur, un assureur, un concurrent, un media … puisse se procurer les données médicales d'une personne est choquante, inadmissible même. On imagine l'utilisation malveillante qui pourrait en être faite. Même bienveillante, une telle intrusion serait insupportable sans l'accord de l'intéressé. Mais les individus ne sont pas les seuls à redouter la publication de données médicales les concernant.

Qui a peur de quoi ?
Individus Données personnelles rendues publiques
Groupes de personnes Données de catégories sociales, régionales, ethniques ou autres rendues publiques
Professionnels de santé Évaluation publique de leur performance
Établissements de santé Évaluation publique de leur performance
Fournisseurs de produits de santé Évaluation publique de leur performance
Assurance maladie obligatoire Évaluation publique de sa performance dans les domaines autres que comptables (prévention, adéquation des prises en charge aux besoins des assurés et à la qualité des fournisseurs de soins)
État Évaluation publique de la performance du système de santé et de celle des établissements de soins de l'État

Ces craintes sont compréhensibles, mais les progrès qui pourraient résulter d'une plus grande utilisation de ces données sont considérables : quelle révolution si les Français avaient su de façon incontestable que les taux de mortalité des centres de chirurgie cardiaque variaient du simple au double et que des maternités étaient dangereuses !

Des données très protégées

En France, la CNAM et ses homologues (MSA, …) sont informées de la totalité des consultations, examens et traitements subis par leurs assurés et ces données, conservées plusieurs années, constituent une source d'information formidable. De leur côté, les établissements de soins et les professionnels de santé conservent des dossiers médicaux de leurs patients qui contiennent non seulement la liste des actes réalisés (ex : une consultation de généraliste, une opération de la hanche) mais des données médicales précises comme les résultats d'analyse, les images médicales et les comptes rendus médicaux [1]. Toutes les données stockées par la CNAM et les établissements de soins sont très protégées de crainte qu'il ne soit possible, à force de recoupements, d'identifier les noms des patients, mais aussi des établissements (ou services) de soins ou des professionnels de santé. La CNAM utilise ses données à des fins principalement comptables, mais très peu à des fins médicales. De leur côté, les complémentaires santé ne reçoivent que les informations nécessaires au calcul de ce qu'elles doivent rembourser à leurs clients. Pour les médicaments par exemple, les complémentaires santé ne sont informées que du montant total des prix payés, classés par différents types de vignettes (blanc, bleue, orange), sans savoir de quoi il s'agit : un système de payeurs aveugles, leur rendant quasiment impossible tout conseil à leurs assurés.

Comme dans tous les domaines, le risque zéro n'existe pas, mais l'anonymisation des fichiers et la méthode classique qui consiste à ne rien publier quand le ciblage réduit la taille de l'échantillon a trop peu de personnes (10, 100 [2]) doit permettre d'assurer une sécurité satisfaisante. Suivant les cas, les noms des patients, des établissements de soins, des professionnels de santé doivent être masqués, mais il est nécessaire qu'une autorité publique puisse décider de remonter aux sources en cas de besoin : à quoi aurait servi de savoir que la bactérie xenopi a handicapé des dizaines de personnes si on ne sait pas dans quel établissement le problème s'est produit ?

Mais des données déjà largement disséminées

En pratique, nos données médicales personnelles sont déjà physiquement disséminées dans de nombreux endroits, et accessibles en clair, sous forme papier ou électronique, à des centaines de personnes : médecins, établissements de soins, laboratoires d'analyse, centres d'imagerie médicale, pharmaciens, infirmières, kiné, aides soignants et autres professionnels de santé, familles, salariés des organismes d'assurance maladie et des mutuelles délégataires du régime de la sécurité sociale, etc. Ces personnes ont souscrit à des règles de confidentialité plus ou moins explicites, mais que le nombre d'intervenants rend en partie illusoires d'après Benjamin Franklin [3]. Malgré cela, les cas de fuites vraiment dommageables semblent rares, et probablement plus fréquentes entre proches que de la part d'assureur ou d'employeur. Il faut croire que l'intérêt de ces informations est moins important qu'on ne l'imagine, ou que la déontologie des intervenants est forte. Il est remarquable que, même dans le monde politique, de telles données n'aient jamais été utilisées, alors que les malades se situaient au plus haut niveau de l'État.

[(Les motivations de l'Union Nationale des CNAM et de l'État

Le souci de la CNAM et de l'État de préserver la confidentialité des données personnelles des assurés est sincère. Mais renforcé par trois autres raisons crédibles. Ce quasi monopole :

  • Les met en position de force dans leurs négociations avec les professions médicales, les établissements de soins et les laboratoires pharmaceutiques ;
  • Leur évite d'avoir à rendre des comptes sur leur politique de prise en charge des différents traitements et des différentes filières de soins ;
  • Limite les comparaisons entre les services rendus par l'assurance maladie obligatoire et par les complémentaires santé. )]

Objectif 1 : réduire le nombre de drames sanitaires

Les problèmes « simples » créés par les nouveaux médicaments, dispositifs médicaux, traitements médicaux et modes d'intervention sont en principe détectés pendant les essais conduits par les laboratoires pharmaceutiques, les établissements de soins et par les organismes publics de validation. Mais les problèmes les plus complexes et les plus nocifs résultent souvent de combinaisons de facteurs : incompatibilité entre médicaments, ou entre un médicament et un état de santé préalable, usage détourné d'un médicament, négligence ou incompétence des professionnels de santé ou des malades. Même peu fréquents, les accidents peuvent concerner un nombre considérable de malades, des centaines de milliers, voire des millions. Les Médiator, pilules de 4ème génération, sang contaminé, prothèses mammaires, hormone de croissance, sur-irradiation, infections nosocomiales, traffic de Subutex constituent des cas typiques. Une analyse systématique des résultats auraient permis de gagner des années dans la détection des problèmes et d'épargner de nombreux malades.

Des outils révolutionnaires

Pendant longtemps, seules trois méthodes permettaient de détecter ces problèmes complexes : 1) une combinaison de hasard et d'intuition, 2) un travail de fourmi, 3) le temps. Avec la première, une personne ou une petite équipe confrontée à quelques cas, a l'intuition d'une anomalie et rassemble des données convaincantes auprès de collègues (cas du Distylbène et du Médiator). Avec la seconde, l'analyse systématique de nombreux dossiers réalisée presque sans a priori conduit à identifier un problème. Ces deux méthodes, aléatoires et longues, donnent au mieux des résultats tardifs. La troisième, la plus répandue, est insupportable : attendre que le problème soit devenu criant et la cause évidente, ou ait disparu grâce aux évolutions techniques.

Depuis une vingtaine d'années, des outils d'analyse automatique de masses de données peuvent révolutionner ces recherches. Un exemple simple : la propagation des épidémies de grippe peut être suivie à partir du nombre de consultations Internet sur ce sujet. Un plus complexe : la capacité des sites marchands à cibler précisément des clients potentiels à partir d'informations provenant de multiples sources indépendantes.

Ces outils ne sont ni intuitifs ni intelligents, mais ils sont rapides et doivent avoir accès à des bases de données considérables. Dans le domaine de la santé, ils sont par exemple capables de repérer, au milieu d'une masse de données concernant des millions de personnes suivies pendant des décennies, un groupe atypique, victime d'un même problème après avoir subi une opération chirurgicale donnée ou suivi un traitement par médicaments. L'outil identifiera aussi ce que ces malades ont par ailleurs en commun, permettant de guider les chercheurs ou les médecins vers des causes probables. Avec l'avantage de travailler de façon indépendante sur les résultats, laissant à plus tard la recherche des responsables ou des coupables : industriels, politiques, administrations responsables de la sécurité, médecins ou malades.

Objectif 2 : augmenter la qualité collective des soins

Les mêmes données et outils qui permettent de détecter les problèmes aigus peuvent être utilisés pour évaluer les véritables performances des traitements. La complexité du vivant rend ce suivi très difficile : l'efficacité d'un médicament dépend de la nature précise de la maladie et de son degré d'évolution, des caractéristiques du patient, du dosage et du mode d'application. Plusieurs médicaments étant généralement mis en œuvre simultanément et de nombreux autres paramètres interférant (psychologie, …), les effets réels des traitements sont complexes à analyser. Comme pour les drames sanitaires ci-dessus, l'analyse statistique de nombreux cas est indispensable. Mais elle doit être faite en tenant compte du plus d'éléments possible concernant les malades. D'où la nécessité de disposer de bases de données très complètes.

Objectif 3 : augmenter la qualité individuelle des soins

Pour améliorer la prise en charge de chaque malade, disposer de ses données personnelles de santé serait indispensable. En 2013, être suivi par « son » médecin de famille sur plusieurs décennies, voire plusieurs générations, est devenu exceptionnel. Au contraire, l'intervention de multiples spécialistes a fortement réduit la vue globale de chaque médecin sur son patient. Dans cet environnement (qui n'a aucune chance de changer), la solution ne peut venir que de la technique. Au moment de diagnostiquer et de soigner, le médecin doit disposer d'un historique complet de son patient. Et sur la durée, la prévention ne peut être faite qu'en analysant les données de santé des individus et en leur communiquant les recommandations les concernant spécifiquement. Une « gestion des risques » qui doit être assurée par une organisation de confiance, ayant comme objectif de maintenir chacun de ses « clients » en bonne santé à moyen/long terme. Cette responsabilité pourrait être assumée soit par des associations de malades, soit par des entreprises médicales d'un nouveau type, soit par des assureurs santé.

En 2013, des complémentaires santé fournissent une amorce de ce service sous forme de conseil, mais leur action est très limitée faute d'accès aux données personnelles du malade [4]. Et la partie la plus « médicale » de ce conseil doit obligatoirement être faite dans une structure séparée de l'assureur complémentaire lui-même. Quelle communication avoir par exemple auprès des diabétiques quand on ne sait rien de ses assurés à part le fait que la prévalence de cette maladie est plus élevée à partir de 50 ans ?

Transparence

Pour réduire la portée des drames sanitaires, améliorer la qualité des traitements pour tous et le parcours de soin de chacun [5], les données de santé doivent être stockées pendant des décennies et mises à la disposition des organismes appropriés de façon beaucoup plus ouverte qu'actuellement : chercheurs, professionnels et établissements de soins, fournisseurs de produits de santé, organismes de confiance des individus.

La France s'inquiète souvent de la sur-utilisation que des entreprises (américaines) feraient des données personnelles qu'elles collectent, et prévoit de les contrôler et de les taxer. La sous-utilisation des données de santé en France constitue un sujet beaucoup plus critique, et entièrement de notre responsabilité.

[1] Il est urgent que le Dossier Médical Personnel Informatisé contenant ces données soit opérationnel

[2] C'est ce que font l'INSEE ou la DREES pour les statistiques concernant les patrimoines, les revenus, les impôts ou les subventions

[3] « Trois personnes peuvent garder un secret - si deux d'entre elles sont mortes. »

[4] Le risque de sélection des assurés par les complémentaires est souvent mis en avant pour refuser l'accès des complémentaires à ces données. Une tentation certaine mais que des règles de non-sélection arrivent à contrecarrer en Allemagne et aux Pays-Bas par exemple

[5] Et donc résoudre au fond le problème du déficit du système de santé