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Niches fiscales 2011 : les bons choix ?

L'économie allemande apparaît florissante tandis que l'économie française est à la peine. Derrière le fossé qui se creuse sous nos yeux entre deux voisins européens, se dessine l'influence au moins partielle des niches fiscales. En Allemagne, 70% du montant des niches fiscales, c'est-à-dire de leur coût pour l'Etat, sont dirigées vers les entreprises, en France moins de 40% (Voir notre Comparaison internationale des niches fiscales) [1]. Hors des discours officiels et dans les faits la France n'a jusqu'à présent accordé que peu d'intérêt à son tissu industriel.

Même si les niches fiscales dirigées vers les DOM-TOM vont être rabotées autant que celles dirigées vers nos entreprises, les premières orientent 3,55 milliards d'euros vers nos collectivités d'outre-mer et restent hors du plafonnement des niches fiscales tandis que l'ISF-PME et le Madelin représentent 2 malheureux milliards et sont dans le plafond alors qu'il faudrait au moins les doubler sinon les tripler. C'est qu'à chaque débat budgétaire les 22 députés d'outre-mer, dont les communistes ne sont pas absents, sont tous dans l'Hémicycle pour défendre sinon leur fromage, du moins celui de leurs administrés.

Le projet de budget annoncé par la ministre Christine Lagarde offre certes quelques progrès. Le gouvernement a en effet commencé à se préoccuper de l'efficacité de certains cadeaux fiscaux.

Par exemple, vont être enfin exclus de l'ISF-PME et, espérons-le, de l'Avantage Madelin, des activités sans risque qui auraient dû l'être depuis longtemps si les services de Bercy avaient été aussi efficaces que ceux de leur homologue britannique l'Internal Revenue Anglais (HMRC), des entreprises type éolien ou solaire à revenus garantis par la puissance publique.

Dans l'esprit d'orienter les investissements qui bénéficient d'une aide de l'Etat vers le risque, on ne peut que regretter de voir Bercy chercher à étendre aux ETI [2] le bénéfice de la mesure ISF-PME. D'abord, si l'investissement dans une entreprise de moins de 50 salariés est très risqué et mérite un encouragement, celui dans une entreprise de 1.000 personnes est comparativement inexistant. Ensuite, contrairement aux idées fausses qui circulent, nous ne manquons pas d'ETI, nous manquons d'ETI et d'entreprises de plus de 5.000 salariés [3], c'est-à-dire d'entreprises de croissance tout court faute de créer suffisamment d'entreprises créées avec salariés [4]. Enfin, les sommes en définitive très modestes collectées par l'ISF-PME et le Madelin sont d'un effet économique négligeable lorsqu'elles sont dirigées vers les PME qui secrètent spontanément, sans l'aide de l'Etat chaque année plus d'une vingtaine de milliards ; elles seront encore plus insignifiantes lorsqu'on y aura rajouté les ETI ; alors qu'elles seraient essentielles si elles étaient dirigées vers les créations d'entreprises où elles pourraient tripler les montants actuellement investis.

Heureusement, Bruxelles qui a depuis longtemps compris qu'il faut encourager les petites et très petites entreprises se mettra probablement en travers, et pourra à cette occasion rappeler ce qu'on sait depuis 30 ans, c'est que les entreprises de plus de 250 personnes perdent en moyenne chaque année des emplois alors que 80% des emplois sont créés dans des entreprises de moins de 10 personnes.

De quoi encourager ceux qui veulent diriger l'épargne des Français vers les petites et très petites entreprises.

De quoi encourager la ministre Christine Lagarde à dépasser ses objectifs et viser non pas 80.000 ou 120.000 emplois supplémentaires mais 2 à 3 fois plus, sous peine que la France ne rattrape jamais les 5 à 7 millions d'emplois marchands qui nous manquent par rapport aux Allemands ou aux Anglais et qui rendent l'équilibre de nos comptes publiques ou le paiement de nos retraites extrêmement difficiles.

Réduction des dépenses publiques : la France toujours à la traîne !

En France, contrairement à la majorité des pays européens qui ont mis en place des plans de rigueur, l'effort ne porte pas principalement sur la réduction des dépenses (50 milliards), mais sur la dynamisation des recettes (65 milliards) entre 2011 et 2013.

L'effort de l'Etat est en réalité inférieur, au vu des dernières annonces gouvernementales : les réductions de dépenses « dures » ne représenteraient que 7 milliards d'€ (1 milliard sur les concours aux collectivités territoriales, 1,8 milliard sur les dépenses de fonctionnement de l'Etat et de ses opérateurs, 1 milliard pour le non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (mais en réalité on sait que le coût net de la mesure est de 0,5 milliard, l'autre moitié étant rétrocédée aux fonctionnaires) et 4 milliards sur les dépenses d'intervention de l'Etat), tandis que l'effort total sur les niches serait fixé pour le moment à 11,38 milliards (sachant par ailleurs qu'il faudra « tailler plus large » afin de limiter l'évolution spontanée et non anticipée des niches et les effets d'arbitrage entre les niches).

Cette tendance à polariser le débat sur les niches a de quoi étonner parce qu'elle revient encore une fois à remettre au lendemain les coupes dans les dépenses publiques structurelles de nos administrations.

Samuel Servière, Fondation iFRAP

Niches fiscales, niches sociales

Les niches fiscales et sociales sont respectivement évaluées à 75 et 73 milliards d'€. Précisons bien qu'il ne faut pas confondre niches fiscales à caractère social (par exemple la Prime pour l'emploi etc…) avec les niches sociales qui représentent des abattements, des déductions ou des exonérations assises sur des prélèvements sociaux. Les bénéficiaires des niches sociales étant plus captifs que les autres, qu'ils soient personnes physiques (exonérations de charges, de CSG/CRDS et autres prélèvements obligatoires affectés) comme par exemple sur les indemnités de rupture de contrat de travail, sur les plus-values immobilières (s'agissant des prélèvements sociaux), sur certains contrats d'assurance, exonération sur les dividendes ou qu'ils soient personnes morales, avec la remise en cause de certains avantages : calcul mensualisé des charges sociales [5] qui devrait devenir annuel, « l'exit tax » sur la réserve de capitalisation des assurances jusqu'alors exonérée, etc… il est donc beaucoup plus facile de tailler dans les niches sociales que dans les fiscales (les niches sociales représentent d'ailleurs 61% des économies envisagées sur l'ensemble des niches d'après les pouvoirs publics). Il serait pourtant anormal de céder à la facilité, consistant à déséquilibrer les efforts en direction des niches sociales au détriment des niches fiscales.

Concernant ces dernières, le bon sens devrait consister à passer au crible de la « prise de risque » réelle les dispositifs fiscaux dérogatoires et supprimer les distorsions fiscales (niches « intermédiées », abattement IR outre-mer, etc…). Il est anormal en effet que l'Etat « subventionne » une prise de risque inexistante.

Samuel Servière, Fondation iFRAP

Non aux subventions

Il est illusoire de penser que le recours aux subventions serait plus sécurisant pour les dépenses publiques que les actuelles niches fiscales, au prétexte que leur montant serait déterminé à l'avance par le législateur. En effet, non seulement des crédits peuvent être dépassés et compensés y compris par l'intermédiaire de procédures d'urgence (en cas de surconsommation par l'intermédiaire de lois de finances rectificatives), mais encore, il faut également considérer le coût administratif de l'allocation de ces ressources : personnel chargé des formalités, du versement, du contrôle des subventions allouées.

Au contraire, la niche fiscale fait reposer la demande sur le bénéficiaire lui-même, lui impose de collecter les éléments nécessaires et fait contrôler l'ensemble par l'administration fiscale, donc à coût fixe pour le Trésor. Seule exigence pour les pouvoirs publics, la nécessité de bien calculer ex-ante l'impact du dispositif, de sécuriser juridiquement la mesure et de la calibrer pour un public bien déterminé en excluant tout effet de « rente » pour se consacrer aux opérations « risquées ». Si ces impératifs sont bien respectés, aucun dérapage n'est à craindre.

Seul bémol, actuellement très peu de dispositifs fiscaux ou sociaux dérogatoires ont fait l'objet d'une telle étude d'impact à leur création et d'un suivi permettant au besoin d'en modifier la trajectoire… D'où la nécessité d'en contrôler l'évolution par le Parlement, nécessité qui ne devrait pas servir d'alibi au véritable impératif permettant durablement de ramener en trois ans notre déficit public à 3% du PIB, réaliser une réduction efficace et pérenne de la dépense de nos administrations.

Samuel Servière, Fondation iFRAP

[1] Voir aussi : IRDEME : Pour des niches fiscales moins nombreuses mais mieux orientées.

[2] Entreprises de Taille intermédiaires de 250 à 5.000 salariés.

[3] Voir la revue Commentaire n°131, automne 2010 pages 701 et suivantes.

[4] Dont nous créons 41.000/an contre 109.000 en Allemagne et 160.000 en UK

[5] Voir en ce sens, Rapport PLFSS 2010, du sénateur Jean-Jacques Jégou, p.71 : « En attendant une étude plus large sur l'appréciation de l'impact des allègements généraux, votre rapporteur pour avis a noté avec un grand intérêt la proposition du Conseil des prélèvements obligatoires concernant l'annualisation du calcul des allègements généraux. En effet, actuellement, les allègements généraux sont calculés chaque mois sur la base de la rémunération mensuelle : cette organisation permet une optimisation importante du dispositif puisque l'employeur peut renoncer à augmenter le salaire moyen de base afin de bénéficier du taux maximal d'allègements et en contrepartie verser un 12è ou 13è mois. Selon le Conseil, un meilleur lissage du calcul et par conséquent un meilleur contrôle du dispositif permettrait des gains de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros. Votre rapporteur pour avis vous propose un amendement en ce sens. »