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Malus sur les contrats courts ? Aux employeurs publics de payer les premiers !

Voici que resurgit le serpent de mer du bonus-malus sur les cotisations de chômage. Notre propos n’est pas ici de contester l’existence d’abus dans l’utilisation des CDD, provenant d’ailleurs souvent d’une complicité entre employeur et salarié, mais de faire comprendre la complexité du problème, et particulièrement que les premiers à être concernés et pénalisés devraient être les employeurs publics.

La situation n’est nullement aussi préoccupante qu’on le dit, faute d’en faire une analyse précise. Et s’il est question de sanctionner les abus, encore faut-il être en mesure d’en définir les critères, autrement qu’en construisant une nouvelle usine à gaz… et comment alors ne pas remarquer que les premiers responsables de la prolifération des CDD sont les employeurs publics, déjà responsables des nombreux mauvais traitements infligés à leurs agents contractuels ? Et comment penser que l’État accepterait de reconnaître les abus commis par les employeurs publics, afin de rétablir – enfin -  l’égalité entre le public et le privé ?

D’abord, ne pas confondre CDD de plus de un mois et CDD de moins de un mois, ni flux et stocks de contrats

L’ACOSS classe les déclarations d’embauche en trois catégories : CDI, CDD de plus de un mois, et CDD de moins de un mois. Voici comment elles ont évolué en 17 ans :          

Evolution entre 2000 et 2017 des déclarations d’embauche

En milliers

CDI

CDD de plus de 1 mois

CDD de moins de 1 moins

1er trimestre 2000

721

954

1.632

1er trimestre 2017

914

1.089

4.367

Première constatation, le nombre des embauches en CDD de plus d’un mois n’enregistre sur 17 ans qu’une progression faible d’environ 140.000 (14%), inférieure surtout à celle des CDI (près de 200.000, soit 27%).

Deuxième remarque : ce sont donc les déclarations relatives aux CDD de moins de un mois qui ont fortement augmenté, de 267%, et leur nombre paraît impressionnant, passant de 1,6 million en 2000 à 4,3 millions en 2017. En réalité, la signification de ce nombre est très limitée. Il s’agit en effet des embauches en CDD de moins d’un mois : une même personne peut en cumuler plusieurs dizaines par an, et c’est cela que le chiffre des déclarations d’embauche prend en compte. Le chiffre des déclarations reflète le flux, et non le stock de contrats ni le nombre de personnes concernées.

Troisième remarque : Depuis 2014 on constate une nette reprise des CDI et des CDD de plus de 1 mois, nettement supérieure à l’augmentation des CDD de moins de 1 mois, comme on le voit sur le graphique ci-dessous. Raison de plus pour relativiser l’importance du sujet.

Source : ACOSS

Le nombre total de CDD est faible et n’évolue presque pas

Pour obtenir une vue significative des stocks et non pas des flux, c’est le chiffre des salariés à une date donnée qu’il faut considérer. C’est l’INSEE qui va nous le fournir.

L’indisponibilité des données ne permet pas de remonter au-delà de 2007, mais la stabilité sur dix années est remarquable, contrairement à toute  idée que le recours aux CDD connaîtrait une envolée, malgré une légère augmentation non significative depuis 2015.

Part des CDI et des CDD  (hors intérim et apprentissage, y compris  fonctionnaires dans CDI) dans le nombre total de salariés

 

2007

2010

2013

2014

2015

2016

CDI

86,4

86,8

86,4

86,3

85,6

85,3

CDD

9,5

9,6

9,5

9,7

10,4

10,5

40% du total des CDD sont dans l’emploi public, et plus de 17% des emplois publics sont des CDD, contre 8% dans le secteur privé

Comparaison des CDD du secteur privé et des CDD du secteur public (hors emplois aidés)

 

2013

2014

2015

2016

Part des CDD publics dans la totalité des CDD (en %)

43

42,3

39,6

ND

Part des CDD publics dans l’emploi public (en %)

17,2

17,3

17,2

ND

Part des CDD privés dans l’emploi privé (en %)

7

7,1

8,2

ND

Deux constatations :

  • Alors que l’emploi public regroupe 5,3 millions de personnes, soit un peu plus d’un quart de l’emploi salarié total, il absorbe environ 40% du total des CDD. La raison en est que l’emploi public se divise en deux parties, les titulaires (fonctionnaires), et les non-titulaires, ou agents contractuels, qui ne peuvent être embauchés qu’à durée déterminée. La loi Sauvadet de 2012 a ouvert aux agents la possibilité de devenir titulaires, mais cette possibilité s’éteint en 2018. D’où le renouvellement infini des CDD que l’administration fait subir aux contractuels, au mépris de toutes les règles et sans s’émouvoir des condamnations judiciaires qui pleuvent sur elle… Rappelons aussi que les CDD de droit public peuvent légalement durer 3 ans, renouvelables une fois.
  • A l’intérieur des emplois publics, la proportion de CDD est de plus de 17%, alors qu’elle ne dépasse guère 8% dans le secteur privé. L’INSEE remarque que depuis 1996, la moyenne annuelle de l’augmentation du nombre des CDD dans l’emploi public a été de 2,6%, soit deux fois le taux d’augmentation de l’ensemble des emplois publics.

Les CDD de moins d’1 mois sont fortement surreprésentés dans les emplois publics

Spécifiquement dans les CDD de moins de 1 mois, les statistiques de l’ACOSS permettent de noter que ce sont les activités réservées aux emplois publics, ou bien celles où l’on trouve le plus grand nombre de ces emplois publics, que la proportion de CDD de moins d’1 mois est la plus forte, et aussi celle où elle a le plus augmenté depuis 2000.

La nomenclature NACE comprend 28 activités. Sur les 4.367 millions de déclarations d’embauche au premier trimestre 2017, l’activité la plus utilisatrice de CDD de moins d’1 mois est, comme on s’en doute, celle de l’ « hébergement-restauration » avec 726.000 CDD. Mais on sait qu’il faut réserver un statut spécial à cette activité, qui ne peut pas être taxée d’abus compte tenu de sa variabilité et de sa saisonnalité. De même, on mettra à part le spectacle avec ses intermittents (624.000). Il y a en revanche 4 activités qui concentrent 1.700.000 déclarations, et ce sont celles où les employeurs publics sont les plus nombreux : services administratifs et de soutien (655.000), administrations publiques, éducation, santé et action sociale (637.000). Les 22 activités restantes se partagent le solde des quelque 1.300.000 déclarations.

On ajoute à cela le fait que sur les 17 années relevées, ces 4 activités ont connu le plus fort taux d’augmentation d’utilisation des CDD, de 436.000 à 1.700.000, soit un taux de près de 400%, contre un taux global moyen, toutes activités confondues, de 267%.

On ne sait pas ce qu’il faudra entendre par usage abusif des CDD, qui devrait être le critère d’application du malus. On peut effectivement redouter une nouvelle usine à gaz réglementaire, analogue à celle de la pénibilité comme le craint le Medef. Mais en tout état de cause, il serait incompréhensible que les premiers touchés par le malus ne soient pas ces employeurs publics qui concentrent plus de la moitié des CDD, hébergement-restauration et intermittents du spectacle mis à part.

Mais comment faire payer le malus par les employeurs publics ?

La question est compliquée du fait des différents statuts applicables aux agents contractuels.

Ces agents peuvent être de droit privé ou de droit public. Dans le premier cas, le régime général des salariés s’applique (le taux normal de l’assurance chômage est de 4,05% à la charge de l’employeur et 2,40% à celle du salarié). Mais dans le second cas, trois situations se rencontrent : si l’employeur n’a pas adhéré volontairement à l’assurance chômage, il est en auto-assurance, donc sans cotisation à payer. Si l’employeur a adhéré par une adhésion révocable, le salarié paye 1%, et l’employeur le complément. Si l’adhésion est irrévocable, on retombe dans l’application du régime général. La situation se complique encore du fait que l’adhésion est contractuelle, et donc on ne voit pas comment imposer une modification prévoyant le malus… Le risque est que l'employeur public se mette en auto-assurance pour ne pas avoir à payer de malus.

De toute façon, il y a bien peu de chance que l’État évoque la possibilité de faire payer le malus aux employeurs publics pour cause d’abus dans l’utilisation des CDD. Mais raison de plus pour l’évoquer ici, et pour les organisations patronales de faire état de l’inégalité de traitement public-privé, une fois de plus !

Conclusion

De nouveau l’État prétend faire la leçon de morale aux entreprises, accusées d’abuser – avec la complicité des salariés - de la couverture d’assurance chômage. Et de nouveau l’État est incapable de balayer devant sa propre porte. Cela fait longtemps déjà que les facultés de recours aux CDD sont beaucoup plus ouvertes pour les employeurs publics que pour les employeurs privés : légalement jusqu’à six années de contrat autorisées, en pratique une durée presque infinie, un traitement beaucoup moins favorable pour les agents que pour les titulaires fonctionnaires, ce qui est formellement interdit aux employeurs privés, pas d’indemnité de précarité (10% de la totalité des salaires bruts payés au cours du contrat) ni d’indemnité de congés payés, contrairement au privé.

Et voici maintenant qu’il est envisagé de pénaliser le secteur privé par l’institution d’un malus, dont il y a très fort à parier que les employeurs publics, qui sont pourtant les plus importants responsables de la prolifération des CDD, seront exonérés. Parce que, par définition, les employeurs publics ne commettraient pas d’abus ? Il serait temps de remettre l’église au milieu du village.