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L'obsession redistributive

La récente décision du Conseil constitutionnel rejetant la réduction dégressive des cotisations salariales reproduit un schéma plusieurs fois utilisé et retoqué par le Conseil pour tenter d'augmenter les redistributions en faveur des personnes aux revenus modestes. Ces tentatives désordonnées se font au mépris des règles institutionnelles françaises les mieux ancrées et sont non seulement évidemment condamnables en soi mais aussi finissent par troubler complètement le paysage de la protection sociale et de son financement. Une remise à plat s'impose.

De quoi s'agit-il ?

Il s'agissait en l'occurrence d'accorder une réduction dégressive des cotisations salariales des salariés sur les rémunérations n'excédant pas 1,3 Smic. Cette réduction correspondait à l'intention du gouvernement d'améliorer généralement le pouvoir d'achat des salariés, faisant ainsi pendant dans l'esprit du gouvernement à la baisse de l'imposition des entreprises. Elle n'avait donc pas de rapport avec l'objet même des cotisations sociales et n'était qu'un moyen artificiel répondant à une préoccupation purement politique. L'opposition avait plaidé que la mesure aurait dénaturé l'objet des cotisations sociales portant sur l'assurance vieillesse et l'assurance maladie, qu'il y a lieu de distinguer des impôts, et aurait aussi méconnu le principe d'égalité devant la loi en permettant à des salariés de continuer à jouir des mêmes prestations correspondantes sans avoir à cotiser. Le Conseil a retenu l'objection et déclaré la mesure contraire à la Constitution : « le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l'objet des cotisations sociales de sécurité sociale ». Autrement dit, on veut faire servir les prélèvements sociaux à ce à quoi ils ne sont pas destinés, avec pour conséquence une rupture de l'égalité devant les charges sociales.

Un schéma déjà condamné

Cet épisode reproduit, tant dans la motivation du gouvernement que dans son mécanisme, celui qui avait conduit il y a quatorze ans le même Conseil constitutionnel à censurer la mesure que Laurent Fabius, alors Premier ministre, avait voulu imposer avec la réduction dégressive de la CSG au profit des revenus « inférieurs à un plafond fixé à 169 fois le taux horaire du Smic majoré de 40% » ( !). Là aussi il s'agissait de faire passer une mesure parallèle à une baisse des impositions sur les entreprises intervenue au même moment. Là aussi la mesure consistait en une régressivité de cotisations, et il y avait rupture de l'égalité entre contribuables, cette fois par modification de l'assiette de la CSG, mais sans « prendre en compte l'ensemble des capacités contributives des contribuables compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ». Ici il n'était pas tenu compte éventuellement des revenus autres du contribuable, de ceux d'un autre membre du foyer, ni de l'existence de personnes à charge, d'où une disparité, entre les contribuables concernés, contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, stipulant prise en charge des contributions en fonction des facultés de chacun.

Ce que ces deux affaires traduisent donc également, c'est essentiellement que l'on veut faire jouer aux prélèvements sociaux, qu'il s'agisse de cotisations donnant droit à des prestations ou d' « impôts de toute nature », un rôle qui n'est pas le leur et qui conduit immanquablement à des ruptures d'égalité.

Sécurité sociale et protection sociale : les désordres financier et conceptuel

Il y a beaucoup à dire sur le désordre qui règne dans la matière.

  • Ce n'est un secret pour personne, le financement du système n'est pas assuré. Pour la seule assurance maladie des progrès ont été enregistrés, mais nettement insuffisants. Les déficits sont glissés sous le tapis sans cesse grandissant de la CADES (Caisse d'amortissement de la dette sociale), dont l'amortissement de la dette est censé être assuré par la CRDS qui n'y parvient pas. La branche vieillesse est aux abois, de même que l'indemnisation du chômage. La branche famille est appelée à la rescousse de la branche vieillesse pour des prestations qui devraient relever de cette dernière. Au-delà de la sécurité sociale proprement dite, la protection sociale (dont le coût total dépasse largement maintenant les 700 milliards d'euros), comprenant les minima sociaux, se voit sans cesse chargée de nouvelles prestations relatives à ces minima ou de leur augmentation etc.
  • Dans un tel contexte, « les tentatives que nous avons vues censurées par le Conseil constitutionnel, et qui tendent fondamentalement à faire supporter par la sécurité sociale la charge de la politique des revenus décidée par l'Etat, que les réductions dégressives portent sur la CSG ou sur les cotisations sociales, sont d'autant plus inadmissibles. » Le président du Conseil constitutionnel s'est d'ailleurs ouvertement agacé que reviennent sans cesse sur sa table les mêmes dispositions que celles qu'il avait auparavant censurées.
  • Il est très important que soient distinguées sécurité sociale et politique des revenus, cette dernière nécessitant aussi une remise à plat des prestations telle que RSA et prime pour l'emploi (on rappellera que la prime pour l'emploi avait été précisément inventée par Laurent Fabius à la suite de la censure de la réduction dégressive de la CSG et pour remplacer cette dernière. Il semblerait que là encore l'histoire risque de se répéter quatorze années plus tard, et que la réduction dégressive des cotisations salariales serait remplacée par une hausse de la prime pour l'emploi, c'est-à-dire d'un impôt négatif versé aux plus modestes. Ce qui n'empêche pas la prime pour l'emploi d'être critiquée de toute part pour sa complication, son inefficacité en faveur de l'emploi et son effet de simple saupoudrage…)
  • De façon générale on note une forte tentation du pouvoir actuel d'assurer le plus possible le financement social par les recettes provenant de l'impôt, qui est progressif, plutôt que par les cotisations proportionnelles. C'est le cas pour les discussions portant sur la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu. Or les recettes de la CSG sont affectées à la maladie et la vieillesse. Les cotisations vieillesse correspondent à un salaire différé et non à un impôt de solidarité, elles doivent être proportionnelles et toute progressivité n'a aucun sens. Les cotisations maladie sont l'expression d'une solidarité, et donnent droit à des prestations identiques pour tous, alors qu'elles sont proportionnelles au revenu, et reflètent donc déjà une importante politique de redistribution. Ces principes ne doivent pas être remis en cause, ce que rappelle le Conseil constitutionnel en déplorant les tentatives contraires du pouvoir en place. On notera cependant que le Conseil constitutionnel a rappelé la liberté du pouvoir de « modifier l'assiette de la CSG afin d'alléger la charge pesant sur les contribuables… à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l'égalité entre contribuables ». La question est donc très complexe et mériterait d'amples débats politiques au lieu de faire l'objet de mesures tentées, subrepticement pourrait-on dire, par le pouvoir et à propos desquelles la voix de l'opposition ne se fait pas entendre.
  • Enfin, la répartition des cotisations entre employeurs et salariés doit être repensée en même temps pour refléter davantage la distinction entre prestations relevant de la solidarité (maladie, famille) et celles qui relèvent de l'attribution individuelle de droits (retraites).