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Les obstacles du système de santé français à la prise en charge de la dépendance

Les domaines du sanitaire et du médico-social restent marqués par une vive effervescence. En septembre dernier, présentation des principaux axes de la stratégie nationale de santé, dont un des objectifs portait sur l'amélioration de la prise en charge du vieillissement et des maladies chroniques qui l'accompagnent. Courant février, c'est l'ancien Premier ministre lui-même qui a dévoilé les grandes lignes du « Projet de loi d'orientation et de programmation relatif à l'adaptation de la société au vieillissement » qui devrait être voté par le Parlement dans les mois à venir. Dans les deux cas, les parcours de soins sont mis en exergue par les pouvoirs publics. Mais l'organisation de notre système de santé est inadapté à la mise en œuvre de ces parcours qui sont pourtant nécessaires pour une meilleure prise en charge sanitaire et des économies majeures pour notre système de soins.

Parcours de soins pour les personnes âgées

Cela fait maintenant plusieurs années que l'idée de rénover notre système de santé en s'appuyant sur ce concept fait l'objet de réflexions multiples et convergentes. C'est particulièrement vrai pour les personnes âgées :

  • Dans son rapport sur la dépendance (juin 2011) le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) préconisait une amélioration durable de la coordination entre les acteurs du système de santé afin d'optimiser la prise en charge des personnes âgées en risque de perte d'autonomie tout en réduisant significativement les coûts (estimés à 2,5 milliards d'euros) engendrés par l'errance de ces patients et, notamment, le recours excessif à l'hospitalisation traditionnelle.
  • Dès 2009, l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP) avait initié des expérimentations dans deux territoires, ce qui devait notamment aboutir à la signature (en janvier 2013) par l'ARS d'Île-de-France, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et divers autres partenaires, d'un contrat de territoire – il est vrai assez complexe – rationalisant les parcours des personnes âgées du nord-parisien.
  • À la suite des travaux de quatre ateliers thématiques (données de santé, coordination hors hospitalisation, coopérations lors d'une hospitalisation, évaluation) a été élaboré et publié début 2013 le cahier des charges national des prototypes de PAERPA devant être expérimentés à partir de fin 2013-début 2014.

Expérimentations PAERPA

De la recommandation, on est donc passé à l'expérimentation avec les parcours de santé des « Personnes âgées en risque de perte d'autonomie » (PAERPA).

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Cahier des charges des projets pilotes PAERPA

Les PAERPA sont entrés dans une phase opérationnelle avec le choix de territoires pilotes et la signature de lettres d'engagement entre les agences régionales de santé (ARS) retenues (cinq actuellement et bientôt neuf) et leurs divers partenaires (caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), mutualité sociale agricole (MSA), régime social des indépendants (RSI), centre communal d'action sociale (CCAS), union régionale des professionnels de santé (URPS), conseils général et régional, associations…) pour la mise en place effective des parcours et une meilleure coordination de leurs actions souvent très cloisonnées.

Les lignes directrices de ces projets pilotes sont :

  • La population concernée : l'ensemble des personnes de 75 ans et plus encore autonomes mais dont la fragilité et l'état de santé sont susceptibles de se dégrader sous l'effet de facteurs tant médicaux que sociaux.
  • Les objectifs sont doubles : au plan individuel, accroître la qualité et la pertinence des soins ainsi que l'efficacité des aides dont bénéficient les personnes âgées, ce qui ne peut manquer de se répercuter sur leur qualité de vie et celle de leurs aidants ; au plan collectif, améliorer l'efficience de prise en charge actuelle – particulièrement dispendieuse – en restreignant significativement le recours à l'hospitalisation non-programmée, coûteuse et déstabilisante, par un renforcement des moyens ambulatoires : équipes de proximité, consultations externes, hôpitaux de jour gériatriques, télémédecine…

Pour répondre à ces finalités a été élaboré un schéma d'intervention des acteurs en trois niveaux : au plus près du domicile et des besoins du patient doit être déployée une « coordination clinique de proximité » (CCP) qui prend en charge les soins primaires en rassemblant autour du médecin traitant les divers professionnels choisis par la personne bénéficiaire ; dans les cas complexes, l'action coordonnée des professionnels pourra être formalisée par un « plan personnalisé de santé » (PPS) dont une première modélisation a été réalisée par l'HAS et qui fera l'objet d'une formation spécifique et d'une rémunération associée.

Un second niveau sera constitué par une « coordination territoriale d'appui » (CTA) aux professionnels de proximité et aux familles : il ne s'agit pas de créer des structures nouvelles, mais de favoriser le rapprochement des dispositifs de coordination existants (déjà nombreux : centre local d'information et de coordination (CLIC), réseaux gérontologiques, maison pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (MAIA) services d'aide et soins à domicile…) et leur mise en réseau.

Enfin, le troisième niveau de coordination concerne les actions susceptibles d'améliorer et de fluidifier les transitions ville-hôpital-EHPAD : il s'agit là d'un point critique majeur, dans la situation actuelle pour le risque de perte d'autonomie. Éviter des hospitalisations et/ou ré-hospitalisations inutiles ou inadéquates, adapter l'offre hospitalière, anticiper au mieux les modalités du retour à domicile, mobiliser l'expertise hospitalière au profit de la ville et des établissements médico-sociaux, tels sont, avec la constitution d'un système d'information partagé entre les trois secteurs (sanitaire, médico-social, social), les principaux axes autour desquels devront s'ancrer les avancées indispensables à la réussite du dispositif.

La pratique

Les mesures proposées pour mettre en œuvre ces objectifs, si elles apparaissent parfaitement rationnelles dans leur conception et leur énoncé, se révèlent très largement non-opérationnelles sur le terrain actuel. En effet, l'opérationnalité supposerait certes une évolution de la culture-individualiste et cloisonnée-dominante dans notre système de soins qui ne peut être espérée qu'à long terme mais surtout exigerait, dans le court terme, une mutation de grande ampleur des grilles de tarification des prestations et des modalités de rémunération des professionnels.

Les failles du modèle économique envisagé se révèlent ainsi clairement. Tout d'abord, observons que le paiement à l'acte reste tout à fait prépondérant même si des expérimentations marginales de nouveaux modes de rémunération sont tentées ; et même si la ministre de la Santé souhaite engager des négociations visant à définir le cadre des coopérations et du travail en équipe ainsi qu'à préciser la forme de rémunération des différents professionnels qui y participeront. Ces négociations suscitent cependant des réserves plus ou moins vives tant de l'Assurance-maladie et des assureurs complémentaires que des syndicats professionnels.

Les ARS ne se sont pas vu reconnaître – et c'est là leur faiblesse constitutive – la pleine compétence de gestionnaires du risque santé c'est-à-dire d'acheteurs de soins ; dès lors, nous restons très largement dans le cadre rigide de la non-fongibilité des enveloppes de ressources ce qui signifie que cela empêche les substitutions de crédits hôpital-ville-EHPAD et hypothèque le nécessaire gain de fluidité qu'exige l'organisation en parcours.

D'autre part, il faut certes progresser en matière de coordination mais à partir des réalités du terrain ce qui requiert de prendre en compte les multiples dispositifs locaux déjà existants. À ces difficultés viennent s'ajouter les incertitudes qui entourent la gestion des informations et la capacité des différents acteurs économiques à communiquer efficacement. Il n'est pas contesté que, dans la situation actuelle, une cause récurrente de rupture de parcours tient à la déperdition – voire à la non-transmission - d'informations. Les controverses autour du dossier médical personnel (DMP) et son relatif échec laissent très largement dans le flou les contours architecturaux d'un système d'information adapté.

Conclusion

Le concept de parcours de soins en vogue dans le discours des pouvoirs publics et des responsables de la santé publique, semble bien de nature à irriguer la recomposition de l'ensemble de notre système de santé ; recomposition rendue incontournable tant par l'évolution structurelle des besoins de la population que par l'obligation de réussir une maîtrise raisonnée des dépenses de santé et de l'endettement qui les finance en partie.

Mais l'analyse des premières étapes de sa mise en œuvre dans le cadre de l'expérimentation PAERPA permet d'appréhender les multiples difficultés de cette première étape et de mesurer l'étendue du chemin à parcourir en vue d'une application plus générale. Au total, en l'absence de leviers économique et financier clairement identifiés par les acteurs, on a dérivé vers la tentation constructiviste à la française qui donne le primat à un modèle organisationnel technocratique national en négligeant le fait que – tout particulièrement dans la santé – c'est l'économique qui est structurant.