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Le SMIC absorbé par le RSA

Comment les bas salaires ne sont qu'un élément d'un revenu familialisé

Le groupe d'experts [1], mandaté chaque année pour donner son avis sur l'évolution souhaitable du Smic, vient de rendre son rapport. Sans surprise, il se prononce pour le jeu normal de l'indexation automatique légale, sans « coup de pouce supplémentaire » comme c'est le cas pour la cinquième année consécutive.

Les raisons invoquées par les experts ne changent pas d'une année sur l'autre, à savoir que le Smic n'est « pas un outil efficace de redistribution du revenu et de lutte contre la pauvreté », et que ses hausses ont « surtout pour effet d'éloigner du marché du travail les plus fragiles, notamment les jeunes et les travailleurs peu ou pas qualifiés ».

Mais le plus important n'est pas là. Il réside dans la mise en évidence, pour la seconde année mais avec des résultats encore plus spectaculaires cette année, de l'importance du RSA dans le revenu disponible des ménages. Le tableau suivant est un extrait des données du rapport des experts, comparant l'ajout de revenus par les prestations sociales entre 2008, dernière année avant l'entrée en vigueur du RSA, et 2010.

20082010
Célibataire à temps plein Salaire net (€) 1046 1055
Revenu disponible 1159 1154
Célibataire à mi-temps Salaire net (€) 522 528
Revenu disponible 811 941
Couple mono-actif plein temps avec 2 enfants Salaire net (€) 1046 1055
Revenu disponible 1631 1833
Couple mono-actif mi-temps avec 2 enfants Salaire net (€) 522 528
Revenu disponible 1361 1618

Lecture : un couple mono-actif travaillant à plein-temps voit son revenu passer en 2010 de 1055 à 1833 € du fait des prestations sociales, RSA compris [2]. Le même couple ne bénéficiait en 2008 que d'une augmentation nettement moindre.

Il est aisé de voir que, pour les salariés ne travaillant pas à temps plein, mais encore davantage pour les ménages avec enfants, l'institution du RSA permet d'augmenter le revenu disponible beaucoup plus que ne le faisaient les prestations sociales antérieurement : par exemple l'augmentation était de 56% en 2008 et devient 74% en 2010 pour le couple mono-actif travaillant à plein temps (et 206% pour le même couple avec un salaire à mi-temps !).

Si l'on cherche maintenant à comparer l'effet relatif sur le revenu de l'augmentation du Smic et celui des prestations sociales (prime pour l'emploi puis RSA), le rapport des experts nous apprend que pour le même couple ces prestations ont représenté sur 10 ans 72% de la croissance de son pouvoir d'achat (21 points sur 29). En conséquence, l'augmentation du Smic ne joue qu'un rôle tout à fait mineur dans celle du pouvoir d'achat des titulaires de bas salaires. Il faut repenser le rôle traditionnel du Smic dans cette nouvelle optique.

Le RSA parachève (pour le moment ?) une évolution qui voit les bas revenus dépendre de moins en moins des revenus d'activité, les revenus du couple que nous avons suivi augmentant de 74% par rapport aux salaires qu'il reçoit. Une évolution qui voit aussi les revenus dépendre de plus en plus de la situation familiale du ménage : si le même travailleur au Smic était célibataire sans enfant au lieu d'être intégré dans un couple ayant deux enfants, l'apport des prestations sociales serait de… 9% au lieu de 74% !

Il n'est pas exagéré de dire que le revenu du travail – le Smic en l'occurrence – n'est plus qu'un élément dans un revenu d'ensemble dont le montant est déterminé par le RSA et sa philosophie.

Il ne semble pas, vu le peu de succès du RSA, que les Français soient bien conscients de ce qui constitue de plus en plus une vraie révolution et une véritable application du principe « à chacun selon ses besoins ». Bien des Français paraissent actuellement réticents à demander plus à l'Etat-Providence. N'ont-ils pas raison ? Leur attitude va-t-elle changer, est-ce souhaitable ? Est-ce le bon moyen pour réduire les inégalités ? Et quel en sera finalement le coût ?

[1] Présidé par Paul Champsaur, Président de l'Annuaire de la statistique publique, et composé en outre de Martine Durand, Gilbert Cette, Francis Kramarz et Etienne Wasmer.

[2] Plus précisément, PPE, Allocations logement, familiales et de rentrée scolaire et RSA