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Jurisprudence Croix-Rouge : la fin des start-up en France ?

Et de nombreuses autres activités

Rien qu’à Paris, quarante incubateurs, des dizaines ou des centaines de start-up par incubateur, sans doute le double dans toute la France, financés des investisseurs privés et parfois les régions ou même l'Etat. Un milliard d’euros d’argent public consacré à faire fleurir des milliers de nouvelles entreprises  en France. Et même un programme spécial pour attirer de brillants jeunes entrepreneurs étrangers en France. Un effort considérable et percutant. Mais que va-t-il se passer quand les inspecteurs du travail qui sont intervenus au siège de la Croix-Rouge vont sonner, une nuit ou un dimanche matin, à la porte d’un incubateur, ou de certains centres de recherche privés ou publics ? 

Rapport publié par Le Parisien du 31 mai 2015

D’après son rapport, l’inspection du travail a constaté, en 2014, 3.800 anomalies dans le temps de travail des 480 salariés du siège social parisien de la Croix-Rouge : environ 3.300 concernent des journées de travail supérieures à dix heures, d’autres des dépassements de la durée hebdomadaire maximale (48 heures selon la loi) ou des  « privations du repos quotidien minimal » de onze heures entre deux périodes travaillées. Soit en moyenne huit « anomalies » par personne et par an. 

Note : La Croix-Rouge française a enregistré un déficit d’exploitation de 20 millions d’euros en 2014.

Des personnes passionnées par leur travail, il n’y en pas que dans le secteur de l’aide sociale, dans les incubateurs et dans les organismes de recherche. Des artistes et les techniciens qui les entourent, des vendeurs qui parcourent le monde pour placer des Airbus, ou la France pour des casseroles, des architectes et des ingénieurs qui veulent construire des tours en Chine, des publicitaires qui doivent rendre leur copie à la date prévue. Sans compter les membres des cabinets ministériels, de nombreux élus et leurs personnels, et beaucoup d’autres moins spectaculaires, de tous niveaux, mais tout aussi enthousiastes. Ceux qui croient  qu’on peut créer BlaBlaCar, réussir les spectacles de Bartabas, implanter un cœur artificiel ou découvrir un vaccin contre la malaria en travaillant 5 jours par semaine de 9 heures à 17 heures, avec 7 semaines de congés payés, plus 3 à 5 semaines de RTT et 2 à 3 de congés maladie, se trompent.

Ils veulent nous faire re-pointer

Dans son film Les temps modernes, Charlie Chaplin, a montré l’humiliation que constitue le pointage obligatoire. Pendant tout le vingtième siècle, les Français ont lutté et obtenu une réduction constante du contrôle du temps de travail par une machine. Évaluer le résultat de son travail plutôt que son temps de présence était considéré comme plus digne pour le salarié : preuve de confiance de la part de l’employeur, et de responsabilité pour le salarié. Mais plus digne aussi pour l’employeur : quoi de plus ridicule que de se fier au temps de présence pour juger du travail d’un salarié ?[1]

Comme toutes les mesures de contrôle inadaptées, pointer développe des comportements puérils. On a vu des organismes où les salariés font la queue devant la pointeuse cinq minutes avant l’heure de sortie pour pointer sa carte juste à l’heure dite. Faire pointer par un collègue est aussi tentant ; oublier de pointer pour faire une petite course dans le quartier n’est pas difficile, et faire son SUDOKU ou préparer ses vacances sur Internet en attendant l’heure n’est guère risqué.

Ce sont d’abord les cadres qui ont été dispensés de pointer. Preuve que c’était considéré comme « mieux ». Avec l’augmentation du niveau de formation, cette avancée doit être étendue à de plus en plus de salariés. Dans les entreprises phares de la Silicon Valley, (Google, Facebook, Microsoft, Twitter), il existe des lieux de détente, de restauration et de formation dans lesquels les employés peuvent se rendre librement. Apparemment, cela n’handicape pas ces entreprises. Même en France, de plus en plus d’entreprises pratiquent le télé-travail : faut-il installer une pointeuse et une caméra chez ces salariés ? Notre objectif ne doit pas être de revenir aux règles du XIXème siècle mais de passer à celles du XXIème.

La gangrène du chômage

Il y a des employés qui abusent, et il y a des employeurs abusifs. Et le chômage a malheureusement déséquilibré les rapports de force entre les deux parties. Quand le taux de chômage est de 5%, les salariés soumis à des contraintes abusives de la part de leur employeur cherchent et, en grande majorité, trouvent un autre emploi. Quand le taux de chômage est de 10%, partir est beaucoup plus difficile. Mais le pointage ne cherche à traiter que les durées de travail abusives, une toute petite partie des risques de conditions anormales de travail : le placard, les brimades, la surcharge de travail, les objectifs irréalistes, les salaires inférieurs à ce qui serait justifié par la performance, ne sont pas résolus par une pointeuse. C’est le problème du chômage qu’il faut résoudre par des mesures de liberté, pas l’aggraver par des mesures de contrainte. 

Des médecins qui pointent !

Si on comprend bien, des médecins urgentistes des hôpitaux, auraient fait grève et obtenu de leur direction l’obligation de pointer. La ministre de la Santé a, en effet, donné aux directeurs des hôpitaux des instructions « afin de mettre en place une organisation qui permette le décompte horaire du travail dans les services d'urgence et qui en tire les conséquences ». Les conséquences étant le paiement d’heures supplémentaires alors que les cadres de niveau équivalent et même inférieur sont payés au forfait. Une nouvelle tout à fait extraordinaire dont il est inquiétant qu’elle n’ait pas fait rire et pleurer nos concitoyens. D’autant plus que ces médecins ont toute possibilité de changer d’employeur s’ils s’estiment mal traités.

 

La fin du salariat

Les inspecteurs du travail ne contrôlent pas le temps de travail des exploitants agricoles, des artisans, des professions libérales, des médecins et infirmiers libéraux  ou des indépendants. Les entreprises ne sont pas traînées devant les prud’hommes quand elles décident de changer de fournisseur à la fin d’un contrat. Et quand les membres des SCOP (sociétés coopératives et participatives) disent  « maintenant on travaille pour nous », on comprend qu’ils se considèrent à nouveau « à leur compte » et sont prêts à fournir des efforts en temps de travail en plus quand c’est nécessaire pour le progrès ou la survie de leur entreprise.

Pour les entreprises, la jurisprudence Croix-Rouge est un formidable encouragement à réduire le nombre de leurs salariés en externalisant au maximum leurs activités. En attendant une application adaptée des règles, il est inutile de dépenser des milliards, notamment dans des incubateurs de start-up et des centres de recherche, et il serait honnête d’avertir les investisseurs étrangers des risques qu’ils prennent à venir en France. 

[1] Le pointage est naturellement inapplicable aux salariés qui se déplacent (vendeurs, installateurs), ou à ceux qui travaillent en partie chez eux (enseignants, télé-travailleurs).