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Hôpital Public : Pourquoi l'AP-HP est si difficile à réformer ?

Selon Dominique Coudreau, ancien directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation d'Île-de-France, il faut un parton à l'hôpital -des responsables dont la carrière dépendra de la réussite de leur gestion- mais aussi la tranparence des financements de l'hôpital.

Fondation iFRAP : Qu'est-ce qui ne va pas à l'AP-HP ?

Dominique Coudreau : L'AP-HP cumule les difficultés de gestion propres à tout hôpital, celles de l'hôpital public à la française et celles d'un hôpital universitaire situé dans la région capitale. À chacun de ces trois niveaux, les difficultés s'additionnent. L'hôpital est la plus difficile à gérer des entreprises. La raison principale en est le nombre de métiers qu'il faut faire travailler ensemble pour aboutir au produit fini, les soins à la personne. Ainsi, un hôpital de malades en phase aiguë est plus difficile à gérer qu'un établissement de moyen séjour. À son tour, celui-ci est plus complexe qu'une maison de retraite médicalisée, elle-même plus complexe qu'un hôtel.

Conseiller du président du directoire de la Générale de santé depuis 2006 et membre de son comité exécutif, Dominique Coudreau a effectué sa carrière dans des postes de direction du secteur de la santé, alternativement dans le public et le privé : cabinets ministériels, direction de la Caisse nationale d'assurance-maladie, conseiller du président à l'UAP, directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation de l'Île-de-France et enfin conseiller maître à la Cour des comptes. Entretien paru dans le dossier de la Fondation iFRAP sur l'Assistance publique.

La France y ajoute la dimension gouvernance de son hôpital public avec un élu président du conseil de surveillance et un directeur fonctionnaire nommé par le directeur de l'Agence régionale de santé. Tous les directeurs d'hôpitaux connaissent les deux affections mortelles pour leur carrière : la mésentente avec le maire et le conflit social avec le personnel ou les médecins. Conséquence pratique, réformer l'organisation de l'hôpital suppose l'accord du maire de la commune. Par contrecoup, la conduite des réformes est subordonnée au calendrier politique. On ne retrouve pas ces contraintes dans les hôpitaux à but non lucratif ou les cliniques. En résumé, l'AP-HP est difficile à gérer parce qu'elle est un grand ensemble hospitalier et que son statut est public.

Il faut y ajouter les caractéristiques qui lui sont propres et compliquent encore la tâche des responsables.

La première est d'ordre technique, c'est la taille. Avec 90.000 salariés dont plus de 12.000 médecins, c'est le plus grand ensemble hospitalier du monde. Aucune mégalopole n'a ainsi regroupé ses hôpitaux au sein d'une entité de gestion unique : il paraît téméraire de penser que la France peut avoir raison contre tous.

La deuxième est également technique. Elle tient aux données du marché immobilier francilien. Les terrains sont rares, beaucoup plus chers que partout ailleurs en France. Outre les coûts, chaque construction neuve est une course d'obstacles : intérêts des riverains, contraintes liées à l'environnement historique, défense des espaces verts…, d'où des délais. Or, la rapidité d'adaptation des locaux aux évolutions du progrès des techniques médicales est la donnée clé de l'économie hospitalière, surtout pour un hôpital universitaire.

La troisième caractéristique est propre à la culture de l'institution, sa capacité à se penser supérieure aux autres. Par exemple, les données réglementaires relatives à la production médicale de l'AP-HP. L'Agence technique de l'information hospitalière centralise ces données et les publie pour tous les hôpitaux. Pour l'AP-HP, elles sont fournies pour l'ensemble de l'institution et non pas hôpital par hôpital. À ce degré d'agrégation, elles ne permettent pas les comparaisons de performance économique entre l'AP-HP et les autres hôpitaux. Tout aussi secrètes sont les données relatives à la gestion des ressources humaines. Un exemple déjà ancien en témoigne. En 2002, lors de la réforme des 35 heures, tout le monde savait que rapporté à l'année, le temps de travail des agents était inférieur à 35 heures hebdomadaires. Et pourtant, une décision politique a conduit à attribuer 4.500 emplois à l'AP-HP au motif de ne pas mettre en péril la paix sociale en rendant publics les chiffres réels du temps de travail.

La quatrième caractéristique est institutionnelle, c'est la proximité immédiate avec le pouvoir central. Tout ce qui concerne l'AP-HP, et d'abord la nomination du directeur général, se fait avec l'assentiment explicite du président de la République et du Premier ministre. Ainsi, en cas de mouvement social, il est de pratique constante que le directeur de cabinet du ministre de la Santé donne directement ses instructions au directeur général. La proximité du pouvoir central sur la gestion est un frein pour l'AP-HP. Dès le début 2010, le processus d'élaboration du nouveau plan stratégique a été interrompu avec la proximité des élections régionales. Après quoi, six mois supplémentaires ont été nécessaires pour trouver un successeur à Benoît Leclerc, fin septembre, en Conseil des ministres.

Quelle entreprise pourrait résister à une vacance du pouvoir de dix mois ? Ainsi, la première explication de la situation budgétaire de l'AP-HP, 95 M€ de résultat négatif en 2010, se trouve dans l'impossibilité faite à son directeur d'agir.

Fondation iFRAP : Que faudrait-il faire pour réformer l'AP-HP ?

D. C. : Depuis des années, le motif invoqué pour ne pas avancer sérieusement est toujours le même, le sujet n'est pas mûr. Ni les personnels ni les médecins de l'AP-HP ni l'opinion publique ne sont prêts à ouvrir un véritable débat. Ce qu'il faudrait faire, c'est poser la question de l'AP-HP et de son organisation à l'opinion publique, comme on sait le faire pour les grands sujets d'intérêt général. Quels que soient les progrès réalisés en donnant à l'Agence régionale de santé d'Île-de-France compétence sur l'AP-HP, il n'est pas sérieux d'imaginer qu'une question aussi complexe pourra être traitée directement, par le seul talent des hauts fonctionnaires, sans grand débat public. Pourquoi les solutions jugées bonnes pour la réforme du Grand Paris ne le seraient-elles pas pour celle de l'AP-HP ?

Fondation iFRAP : Vous croyez cependant à la réussite du programme de réforme de l'AP-HP ?

D. C. : Ce qui menace le bon fonctionnement de ces hôpitaux est simple à exprimer et difficile à corriger : c'est le décalage permanent entre les possibilités du progrès des techniques médicales et la réalité des organisations. L'exemple le plus illustratif de ce décalage, en France, est celui de la chirurgie ambulatoire. Notre pays est globalement très en retard par rapport aux autres pays de l'OCDE dans l'utilisation de ce mode d'organisation de la chirurgie. Ce retard est d'abord le fait de l'hôpital public qui le reconnaît volontiers. Conséquences de ces retards un service au patient de moindre qualité et des surcoûts importants. Mais le plus grave est la démotivation des médecins et des soignants. Cette lenteur à adapter les organisations est douloureusement ressentie par les professionnels qui ont choisi leur métier par vocation.

Fondation iFRAP : Qu'est-ce qui est faisable ?

D. C. : Ce qui manque ce ne sont pas les bonnes idées, mais la capacité à les mettre en œuvre. Il ne faut pas trop de réformes et prévoir le temps nécessaire à leur aboutissement. C'est pourquoi je me limiterai à trois propositions.

La première vise le choix des hommes. Cette proposition consiste à pousser à son terme la vision de Nicolas Sarkozy ; il faut un patron à l'hôpital. En pratique, il faut mettre à la tête des hôpitaux des responsables dont la carrière dépendra de la réussite de leur gestion. Ainsi, le choix des personnes par les directeurs d'ARS devrait privilégier les qualités de gestion à celles de diplomatie ou les étiquettes. Une fois nommés, des objectifs de gestion réalistes sont à établir. La rémunération et l'avancement doivent reposer sur les résultats de gestion, en particulier le respect des objectifs. À terme, parce que le système actuel de nomination du directeur de l'hôpital public par le directeur de l'ARS est source d'ambiguïtés, les directeurs devraient être choisis par le Conseil de surveillance de l'hôpital sans obligation de recruter des fonctionnaires.

La deuxième proposition est la transparence des financements : on ne peut pérenniser un système de financement où la puissance de l'élu local permet de corriger les approximations de gestion par des subventions discrétionnaires. Chaque année, chaque ARS devrait fournir le montant des ressources allouées aux hôpitaux publics et privés en termes facilement intelligibles, les mettre en relation avec leur volume d'activité et réaliser un classement à l'indice de performance.

La troisième est de promouvoir l'excellence médicale. Elle consiste d'abord à donner sa chance à la mise en œuvre des instituts hospitalo-universitaires : la recherche vraie doit être encouragée et suffisamment abritée de la contrainte économique. Au-delà des IHU, la réforme des centres hospitalo-universitaires dans la ligne des idées du doyen Philippe Even est indispensable. À ce niveau, la médecine se situe dans la compétition avec les meilleures équipes médicales et chirurgicales mondiales pour améliorer les soins au patient. La promouvoir restera une mission de l'AP-HP quelles que soient les évolutions de son organisation.