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François Hollande salue les réformes Schröder...

Le président prêt pour la social-démocratie "réaliste" ?

Dans son discours enflammé prononcé le 23 mai à Leipzig à l'occasion du 150 ème anniversaire du SPD (le parti socialiste allemand), François Hollande s'est lancé dans un panégyrique appuyé des actions du SPD et de ceux qui l'ont dirigé, parmi lesquels Gerhard Schröder figure en bonne place. Discours qui a suscité malaise à gauche et bien évidemment forte hostilité au Front de gauche, mais qui s'inscrit dans la stratégie politique du chef de l'État : un message à l'intention du parti frère allemand, dont le retour au pouvoir, avec la défaite d'Angela Merkel, est fortement souhaité, et en même temps un message à usage général mais surtout français, pour signifier le rapprochement avec l'Allemagne et accompagner le tournant de la compétitivité que veut imprimer François Hollande. Un tournant qui donne à tous le tournis, mais par-delà l'habileté du discours, ne nous faisons pas d'illusion : ni dans sa méthode, ni dans le contenu des réformes, le chef de l'État ne s'inspire vraiment de Gerhard Schröder. Finira-t-il par le faire ?

[( Les extraits les plus significatifs du discours de François Hollande

« Le progrès, c'est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l'emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles comme l'a montré Gerhard Schröder. On ne construit rien de solide en ignorant le réel. »

« Le réalisme c'est le troisième apport de la social-démocratie. Le réalisme n'est pas le renoncement à l'idéal, mais l'un des moyens les plus sûrs de l'atteindre. Le réformisme ce n'est pas l'acceptation d'une fatalité mais l'affirmation d'une volonté. Le compromis n'est pas un arrangement mais un dépassement. »

« C'est en 1959, à Bad-Godesberg que le grand pas fut franchi, à travers une déclaration, entrée dans l'histoire, et dont l'esprit tient en une idée simple : le marché autant qu'il est nécessaire ; la solidarité autant qu'elle est possible. Et une ambition : être le parti du peuple tout entier. »

« Que de fois, de bons esprits ont demandé aux socialistes français de faire à leur tour leur Bad-Godesberg comme preuve de leur réformisme ! Ce qu'ils ont d'ailleurs pourtant démontré chaque fois qu'ils ont exercé le pouvoir. C'est bien le signe de votre indéniable succès. »

« Je leur réponds que tout n'est pas transposable. Nos pays sont différents ; nos histoires ne sont pas interchangeables. Nos cultures politiques syndicales sont singulières. Mais je garde de la social-démocratie le sens du dialogue, la recherche du compromis et la synthèse permanente entre la performance économique et la justice sociale. »)]

C'est évidemment l'hommage rendu à Gerhard Schröder au nom du réalisme et du compromis entre « marché » et « solidarité » que l'on retient le plus [1]. En même temps cette culture du compromis correspond comme on le sait à la nature du chef de l'État. Mais Gerhard Schröder, ce n'a pas été cela.

François Hollande ne s'inspire de Gerhard Schröder ni dans sa méthode…

Gerhard Schröder a conduit à partir de 2003, comme chacun sait, une politique pour laquelle il n'avait pas été élu, ce qui lui a coûté sa réélection. En ce sens, son cas peut être rapproché de celui de Pierre Bérégovoy en 1983 ou de celui de François Hollande actuellement. Mais le chancelier allemand a, avec les réformes Hartz, conduit sa politique qu'il faut bien qualifier de brutale – mais salutaire – avec une autorité et une prise de responsabilité qui n'ont rien à voir avec la recherche du consensus qui caractérise l'action du Président français. L'Allemand n'a pas demandé son avis aux partenaires sociaux sur des réformes qui étaient de la responsabilité de l'État et n'auraient jamais, compte tenu de leur dureté, obtenu le consensus désiré [2]. Et les réformes Hartz ont suscité des manifestations et troubles sociaux de grande ampleur devant lesquels le pouvoir a tenu bon. A l'opposé, le Français procède par voie de conférences sociales, et, même si son ministre du travail établit des feuilles de route, le résultat ne peut, par construction, être que d'obtenir un accord sur la base du plus petit dénominateur commun, quand il n'est pas considérablement affaibli par l'absence de participation des syndicats les plus représentatifs [3]. L'Allemagne avait besoin en 2003 d'un remède de cheval. Nous sommes nombreux à penser qu'il en est de même en France actuellement, et les remèdes de cheval ne s'administrent pas à coup de pilules de consensus.

… ni par le contenu des réformes.

Le chancelier allemand voulait remettre l'Allemagne au travail et couper dans des dépenses sociales devenues intenables. Les réformes Hartz ont effectivement coupé dans l'indemnisation du chômage et dans les aides sociales, et contraint les chômeurs à reprendre du travail dans des conditions qui peuvent être nettement inférieures à celles de leur emploi antérieur. Ce faisant les réformes allemandes, quelle que soit leur dureté, ont été efficaces car ciblées sur l'emploi et sur rien d'autre.

Mais en France, où se situent le ciblage des mesures et la, ou les priorités du gouvernement ? S'agit-il, comme tous les ministres nous le répètent, de l'emploi et de la compétitivité des entreprises ? Or, que constatons-nous ?

- Certes le récent discours favorable aux entreprises est apprécié à sa juste valeur. Mais il intervient après une série de mesures qui sont très défavorables à ces dernières, de sorte qu'il ne s'agit guère que d'espérer revenir plus ou moins à la situation antérieure, après plus d'une année perdue par conséquent : ainsi par exemple de la taxation des plus-values des investisseurs (mais la volonté de taxer le capital comme le travail subsiste cf les dividendes), ou du CICE, qui ne revient qu'à restituer avec retard, dans des conditions mal ciblées et encore incertaines, les augmentations fiscales considérables décidées en 2012.

- L'ANI de janvier dernier, aboutissement de la grande conférence sociale de la fin 2012, se signale par son effet plutôt négatif pour les PME, qui sont en principe le cœur de la cible. Car les assouplissements du droit du travail sont taillées pour les grandes entreprises présentant de réelles perspectives de redressement, tandis que les petites vont être durement touchées par l'augmentation de leurs charges sociales (complémentaire santé, assurance chômage, formalités).

- Quant à la nouvelle conférence sociale qui se tiendra les 20 et 21 juin prochains, et que le Premier ministre annonce comme étant « consacrée à l'emploi », six tables rondes sont prévues. La première concernera la formation professionnelle, ainsi semble-t-il que l'articulation entre l'assurance-chômage et les dispositifs de solidarité. La seconde traitera des filières d'avenir, la troisième des retraites, y compris la prise en compte de la pénibilité, la quatrième de la santé au travail (avec de nouveau le sujet de la pénibilité au travail), la cinquième de la modernisation du service public et la sixième enfin de la construction de l'Europe sociale.

Que faut-il retenir essentiellement de cet aperçu ?

- La question du financement de la protection sociale, qui est au centre du problème de la compétitivité des entreprises, ne figure au menu d'aucune de ces tables rondes. Un Haut Conseil a été installé fin 2012 afin de donner son avis sur ce financement. Composé de 49 membres (!), il rendra un ènième rapport sur le sujet dont on peut facilement prédire qu'il n'apportera guère de nouveau, tout ayant déjà été dit : c'est d'un acte politique dont on a besoin.

- Le gouvernement estime (Michel Sapin le déclare clairement) que le sujet de la compétitivité des entreprises est maintenant clos et ne requiert plus de nouvelles mesures, en particulier grâce au CICE, dont on a vu qu'il ne faisait en réalité, et au mieux, que de revenir très imparfaitement à la situation antérieure. C'est particulièrement grave car cela signifie que les entreprises n'ont plus rien à attendre concernant la diminution de leurs charges fiscales et du coût du travail.

- Les entreprises ont au contraire à craindre une augmentation de leurs charges : aux augmentations qu'induit l'ANI, va probablement s'ajouter la hausse des cotisations que la réforme des retraites provoquera, si l'on en croit les déclarations gouvernementales. Notons aussi que le Conseil de l'Union Européenne, dans l'une de ses deux recommandations qui viennent d'être publiées le 29 mai, prend bien soin ce juger que cette hausse est la seule solution à exclure en raison précisément de son impact négatif sur la compétitivité.

- Malgré le titre qu'a voulu lui donner le Premier ministre, on a du mal à considérer que la nouvelle conférence sociale a pour sujet l'emploi, au sens des mesures à prendre pour le favoriser : il y est question de santé au travail, de sujets très vagues comme la modernisation des services publics, des retraites, ou encore de mesures à long terme comme les filières d'avenir, certes justifiées, mais qui ne sont pas susceptibles d'avoir un effet immédiat alors que l'urgence est déclarée.

- En ce qui concerne le chômage, il semble que le sujet de l'articulation entre indemnisation et politiques de soutien comme le RSA sera abordé lors de la conférence sociale. C'est excellent, mais n'a une nouvelle fois pas de rapport avec l'emploi. Au contraire, le Conseil de l'Union Européenne a souhaité que la France prenne, comme l'ont fait les réformes Hartz, des mesures pour diminuer les allocations et les écrêter, et aussi durcir les obligations des chômeurs. C'est un point sur lequel jamais le gouvernement ne s'est exprimé.

Le gouvernement français a le souci de ce qu'il est convenu d'appeler la justice sociale. Mais on en perd celui de l'emploi. À vouloir une politique de compromis, les priorités disparaissent dans un flou généralisé où l'on retrouve fort peu de ce réalisme prôné par Gerhard Schröder. Citer Gerhard Schröder et rendre hommage à sa conception "réaliste" de la social-démocratie est un premier point positif mais ne suffit pas. Après le discours, l'Action ?

[1] La référence à Bad-Godesberg, le congrès mythique de 1959 au cours duquel le SPD renonça expressément au marxisme, que François Hollande salue comme « le signe de l'indéniable succès du SPD » ne manque pas non plus de piquant, de même que le rappel que les socialistes français ont aussi « démontré » ce réformisme « chaque fois qu'ils ont exercé le pouvoir ». Un souvenir cuisant encore chéri par le PC.

[2] La compétence des partenaires sociaux en Allemagne concerne ce qu'on appelle l'autonomie tarifaire, à savoir essentiellement les rémunérations et conditions de travail. Ce qu'il ne faut pas confondre avec l'apport essentiel des réformes Hartz qui ont concerné la réglementation du chômage, qui est du ressort exclusif de l'État.

[3] La société Bosch vient de conclure avec les syndicats français un accord médiatisé par la présence cette semaine du Président sur le site de l'usine. La CGT prend bien soin de dire qu'en aucune façon cet accord n'emprunte quoi que ce soit à l'ANI de janvier dernier, récemment devenu loi et issu de la grande conférence sociale, et en particulier à une quelconque remise en cause des 35 heures contre laquelle la centrale continuera à lutter farouchement.