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Échange de logement social au Royaume-Uni

Une solution pour la mobilité au sein du parc social

Encourager la mobilité des personnes physiques est un facteur de bien-être personnel mais aussi un facteur crucial de compétitivité de la main-d'œuvre dans une économie ouverte de marché. Elle l'est tout particulièrement en temps de crise, lorsque les entreprises doivent faire face à des plans importants de restructuration, et que les services publics doivent se redéployer. Significativement, c'est le logement social qui se trouve en première ligne, bien que le logement libre puisse également être impacté. Les plus modestes ont droit à pouvoir retrouver un emploi dans des bassins d'emplois parfois très distants de leur ancienne résidence et ce, en étant capables de choisir leur point de chute et leur nouvel écosystème [1] (confort du nouveau quartier, évaluation du voisinage, pression fiscale, performance des services publics locaux), ce qui suppose par ailleurs que les données publiques soient disponibles. Il s'agit enfin d'un élément important d'attractivité potentielle pour un pays à fort niveau de services publics, dans la mesure où il « fluidifie » sa main-d'œuvre et indirectement son droit du travail [2]. Ces enjeux, le Gouvernement britannique les a bien compris et a lancé en direction du parc privé comme du parc social une importante campagne de promotion des échanges de biens immobiliers, par l'intermédiaire [3] :
- pour le parc privé et social du Localism Act 2011 du 15 novembre 2011, donnant pouvoir à l'organisme de régulation du secteur (le Social Housing Regulator) de faciliter et de sécuriser les échanges.
- pour le parc social, au travers du dispositif HomeSwap Direct du 27 octobre 2011 mettant en place un site dédié permettant aux locataires du parc social de voir les offres d'échange au niveau national [4].

I/Développer la mobilité transversale après avoir développé la mobilité à l'entrée :

Le Royaume-Uni n'est pas un novice quant à la question de la mobilité des locataires de son parc social. Il a d'abord tenté de mettre en place un système de mobilité directement importé des Pays-Bas, le Choice Based Letting (CBL) à partir des années 2000 [5]. Il s'agissait de passer d'un système comme en France basé sur un principe d'attribution autoritaire de logements aux demandeurs, à un système de choix libres reposant sur la publication des offres de places disponibles aux bénéficiaires potentiels afin qu'ils puissent choisir leurs logements sociaux, puis de sélection par les pouvoirs publics sur un ensemble de critères objectifs à points (renseignés par les demandeurs).

[(Importation globalement réussie du Choice-Based Lettings au Royaume-Uni

Les dernières études récentes ont toutefois montré que le système britannique [6] avait globalement été étendu à la majeure partie du parc social depuis 2005, les derniers chiffres connus mettant en évidence un taux de réussite (2009) de 70% pour le parc social dépendant des collectivités (stock-holding authorities), mais à seulement 46% pour les gestionnaires associatifs. Des difficultés ont été mises en évidence, notamment s'agissant des demandeurs en grande précarité. Il a fallu en effet mettre en place des correctifs au « tout choix » dans la mesure où le parc britannique comme le parc social français est beaucoup moins important que le parc néerlandais (17-18% contre 32% de l'ensemble du parc de logements du pays). Des obligations légales ont été mises en place, comme une « carte de priorité » pour deux ans, permettant aux plus pauvres de disposer au choix d'un logement d'urgence. A terme, même si les choix des demandeurs peuvent être « contraints » par leur situation économique ou indirectement par les critères retenus pour leur sélection objective (par exemple inscription précoce abusive afin de bénéficier du critère d'ancienneté de la demande, ethnicité des quartiers à cause des critères d'ancienneté de la résidence dans le parc) etc., les effets sont globalement positifs : il apparaît notamment en Hollande que les personnes se révèlent plus respectueuses de leur environnement à partir du moment où elles l'on choisi et qu'il existe même pour celles dont l'affectation demeure subie, une meilleure acceptation des délais d'attente [7].)]

Ayant tenté de dénouer la question de l'entrée dans le logement social en dépit de listes d'attentes très importantes et comparables à celles observées en France [8], (le système britannique n'étant pourtant pas universaliste mais ciblé), les pouvoirs publics ont bien relevé que les attentes au sein même du parc social pour plus de mobilité étaient considérables. En 2010 les demandes internes représentaient 680.000 ménages [9], chiffres que l'on peut comparer aux demandes enregistrées en France à la même période : 550.000 demandes de ménages déjà locataires [10]. Le manque de mobilité occasionnant des difficultés sur le marché de l'emploi et un manque à gagner pour l'économie britannique estimé en 2011 à 542 millions de livres [11]. Par ailleurs, les pouvoirs publics britannique ont mis en évidence que les transferts de résidents entre parcs sociaux dinstincts sont plus coûteux que les simples échanges pour les gestionnaires. Un transfert a été estimé à près de 2.750 livres quand l'échange ne coûte que 926 livres. Mis à part les frais pour la mise en place de l'interface et les personnels ad hoc (ce qui peut en partie être gagé sur les redéploiements), la mobilité des locataires constitue donc un véritable enjeu financier également pour les acteurs institutionnels.

Lancé le 27 octobre 2011, le HomeSwap Direct permet désormais aux locataires du parc social, en théorie quel que soit l'organisme gestionnaire, de proposer ou de répondre à des offres d'échanges. Il s'agit de l'extension, de la mutualisation et de l'ouverture au public du House Exchange mis en place en 2004. A l'époque il s'agissait de fournir une base de données commune aux différents gestionnaires locaux afin de leur permettre de répondre aux demandes de mobilité des locataires au sein même du parc social, chaque gestionnaire fournissant ses propres offres aux bénéficiaires. Désormais, l'accès à la base est public et ouvert au choix des locataires eux-mêmes sur l'ensemble des offres disponibles.

A titre expérimental et sous le contrôle de l'autorité de régulation des logements sociaux (The social housing regulator), il a été attribué un budget d'1 million de livres afin que 12 collectivités [12] (local authority) expérimentent le projet, avec une version complémentaire s'agissant pour les gestionnaires de la possibilité pour ces derniers d'échanger également des biens immobiliers qui suivraient ainsi leurs locataires (portabilité des logements et donc du gestionnaire, moyennant des compensations financières entre organismes). L'expérience n'a pas dans un premier temps été ouverte aux bailleurs sociaux privés et associatifs.

Par ailleurs une charte a été proposée à l'ensemble des participants à l'initiative afin de garantir la pleine effectivité des accès internet accordés (« The mutual Exchange Standard ») ainsi que le placement des offres via le consortium de sites actuellement dédiés aux échanges de logements : HouseSwapper, House Exchange, Abritas et LHS.

Depuis le 1er avril 2012, l'initiative est étendue à l'ensemble des gestionnaires d'Angleterre [13]. Au 20 août 2012, le HomeSwap Direct Scheme avait été consulté depuis sa mise en service via ces sites dédiés près de 1,5 million de fois, les annonces étant consultées près de 6.000 fois par jour.

II/Une solution mutualisée exportable en France ?

Importer la réforme britannique en France supposerait de remettre en question un certain nombre de doctrines actuellement en vigueur :

La réforme britannique s'est déroulée par étapes mais grosso modo simultanément à celle du CBL pour les demandes de logements sociaux. Il y a donc eu un continuum dans la pratique de libéralisation des offres, sur le plan externe d'abord puis maintenant en interne, l'ensemble se traduisant par une rétractation progressive et une réorientation du back-office du côté des gestionnaires. La France, elle administre les entrées et les déplacements au sein du parc, sans possibilité pour les bénéficiaires de choisir leurs logements sociaux.

La fluidité interne au sein même du parc est d'autant plus faible que l'attribution des logements et les critères d'éligibilité comme les montants de loyers dépendent des revenus des individus mais également des financements accordés (publics, via la Caisse des dépôts, le 1% logement, etc.). En fonction du profil du demandeur (employé du secteur privé, fonctionnaire local, fonctionnaire d'État), les parcs réservés sont différents et imbriqués (réserve préfectorale, réserve départementale, réserve municipale, 1% logement etc.) et gérés indistinctement par les organismes HLM. Il existe donc un effet de « tunnelisation » de l'offre éventuellement de logement pour les réservataires.

La mise en place d'une réforme d'un Home Swap Scheme à la française, sans même parler du libre accès aux offres de logement pour les intrants, supposerait de mutualiser les bases (ce que les britanniques ont réalisé depuis 2004) et de mettre fin au principe des différents parcs réservés, pour l'instant répartis entre les différents financeurs. Plusieurs scénarii pourraient être envisagés :

- Mutualiser le parc à l'intérieur même des secteurs actuellement réservés, ce qui supposerait également d'accélérer les processus de sortie du parc pour ceux qui n'en ont pas une jouissance prioritaire (par exemple, bien distinguer de façon objective entre les fonctionnaires lorsque ceux-ci sont attributaires à raison du service au sein du parc social (ce qui suppose de faire le lit des occupations de complaisance).

- Faire sauter le principe des « tunnels » et ne plus retenir que des critères objectifs, tout en conservant une certaine « mixité sociale ». On tombe alors dans des difficultés liées à la « priorisation » des familles en situation d'urgence (nouvel emploi éloigné, situation de voisinage délicat, etc.). Il s'agit alors de choisir des critères complémentaires reposant, soit sur les caractéristiques du bien échangé, soit sur le loyer payé, voire également sur l'âge et les ressources des parties à l'échange, afin de « neutraliser » l'effet démographique du parc pour les gestionnaires [14].

- Explorer en France la mesure complémentaire initiée par les gestionnaires britanniques, l'échange de biens au niveau des gestionnaires, le locataire étant porté au sein même de la transaction. Il faut alors vérifier la neutralité fiscale de l'opération pour les gestionnaires en cause, ce qui supposerait de développer à grande échelle un outil notarial ad hoc qui pourrait ensuite être utilisé éventuellement par le marché privé.

On le voit, ces arbitrages sont complexes, mais il serait dommage que la France continue de se priver d'un outil qui pourrait permettre d'accroître la mobilité des agents économiques sur le marché du travail et de répondre à leur souhait légitime de changer de domicile.

[1] De ce point de vue, les progrès en matière d'Open Data devraient permettre le développement d'application par diffusion des données publiques concernant par exemple le taux de criminalité, le niveau des écoles ou la pression fiscale etc. permettant de stimuler la liberté positive et négative des candidats aux transferts. Il faut noter par ailleurs que cet environnement existe déjà en Grande-Bretagne. S'agissant des taux de criminalité : http://data.gov.uk/dataset/england-..., mais aussi le niveau scolaire dont les premiers balbutiements ont eu lieu avec le schooloscope, puis les bases de données officielles (qui combinent l'information avec les crimes et délits enregistrés) http://data.gov.uk/apps/schools-database, ainsi que pour les résultats des établissements http://www.bbc.co.uk/news/education..., et pour les taxes locales (Council taxes à l'échelle du pays, voir http://www.guardian.co.uk/news/data... .

[2] Et en particulier s'agissant des procédures de reclassement pour l'entreprise qui licencie, puisque la notion de bassin d'emploi est particulièrement importante. Idem s'agissant des modifications de contrats de travail, dans la mesure où l'entreprise pourra par elle-même régler plus aisément les questions éventuelles de mobilité de ses salariés.

[3] Se reporter Housing mobility Schemes, 12 décembre 2011, Standard Note : SN/SP/4696.

[4] Concrètement, il s'agit d'interconnecter quatre sites déjà dédiés aux échanges de biens immobiliers, HouseSwapper, House Exchange, Abritas et LHS (Locata).

[5] Pour une bonne synthèse de la question, voir H. Pawson et K. Hulse, Policy transfer of Choice-based Lettings to Birtain and Australia : How extensive ? How faithful ? How appropriate ?, SISRQ/EL 2010.

[6] Op.cit, p.10, voir également, Centre d'analyse stratégique, Le logement social, pour qui ? Perspectives européennes, juillet 2011 n°230, p.13-15, mais également, Noémie Houard coord., Loger l'Europe. Le logement social dans tous ses États, Dihal, La documentation française, Paris 2011.

[7] Voir M. van der Land et W. Doff, Negative and positive freedom of choice in Dutch social housing, 2009, Amsterdam/Delft.

[8] Les données fournies donnent environ 270.000/an de foyers supplémentaires de logement social pour un stock de 1,8 million en Grande-Bretagne en 2012, contre 1,2 million en France en 2010. Voir, UK Social Housing, sector outlook, third quater 2012, Barclay's, http://www.barclayscorporate.com/co...

[9] Voir le rapport commandé par l'actuel ministre du logement Grant Shapps, alors shadow minister pour le parti conservateur à l'automne 2009 auprès de la National Housing Federation, et rendu en août 2010 au même commanditaire devenu entre-temps ministre, Report of the Mobility Taskforce, 2010.

[10] CAS, op.cit, juillet 2010, p.6.

[11] Circle Anglia Group, Counting Costs. The Economic and Social Impact of Reduced Mobility in Social Housing, 2010. Voir également CIH, Social mobility and social housing : Parliamentary Taskforce report, 2012.

[12] Bracknell Forest, Devon, Doncaster, Herts Choice Homes, Kent Homechoice, Kattering, Leeds, Northampton, Northumberland, Salford, West Lonfon Housing Partnership, Worcestershire and Stratford.

[13] En effet la politique du logement est une matière qui rentre dans l'acte de dévolution de 1999, si bien que l'Écosse, l'Irlande du Nord et le Pays-de-Galles obéissent à des règles spécifiques (sur la base du volontariat).

[14] Mais aussi ce qui s'est posé au Royaume-Uni comme aux Pays-Bas de tenir compte de l'enregistrement des requêtes sur les sites dédiés, ce qui peut malheureusement aboutir à faire gonfler artificiellement les listes d'attentes.