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Droit au RSA et obligation de travailler

Patrick Buisson, conseiller de l'ombre du chef de l'Etat, a surpris il y a quelques jours en souhaitant que le RSA ne bénéficie qu'à ceux qui travaillent. L'expression était malheureuse, car le RSA remplace le RMI, conçu depuis sa création en 1988 comme une aide sociale pour les personnes sans ressources, et y mettre simplement fin n'est pas envisageable.

Mais cette charge du conseiller contre l'assistanat sans contrepartie (entendue aussi cette semaine dans la bouche de François Hollande à propos du projet socialiste d'allocation autonomie pour les jeunes) a le mérite de faire ressortir l'ambiguïté du RSA, à la fois aide sociale et instrument d'insertion professionnelle. Or depuis toujours le RMI a été critiqué pour n'être qu'une aide et non pas un mécanisme d'insertion. Autrement dit, l'aide ne débouche pas sur le travail. C'est à cela qu'il faut remédier.

« Ne faut-il pas rappeler à ce propos qu'au moment de l'instauration du RSA les critiques les plus virulentes provenaient de l'extrême gauche, accusant la réforme de promouvoir une philosophie de l'obligation de travailler ? N'est-il pas temps de briser un tabou ? »

Pour quelle raison cet échec de l'aide ? Martin Hirsch a cru apporter la réponse en l'attribuant aux fameuses « trappes à inactivité » dues au fait que toute ressource provenant du travail était déduite euro pour euro de l'aide, si bien que, ajouté à la perte concomitante d'avantages annexes comme la CMU, la reprise du travail ne permettait pas d'améliorer la situation financière du rmiste : ce qui était gagné d'un côté était perdu de l'autre. La réforme de 2009 a donc consisté à créer, à côté du RMI maintenant appelé « RSA socle » une nouvelle prestation, le « RSA activité » destinée à lisser la perte des avantages par des aides complémentaires pouvant aller vraiment haut dans l'échelle des revenus, surtout en présence de familles nombreuses. Mais cela n'a jusqu'à présent pas beaucoup changé les choses, et n'a apparemment que peu incité à la reprise du travail. Il y aurait plusieurs raisons à cela, l'une d'elles étant que les bénéficiaires ayant droit au RSA socle ne sont pas nécessairement désireux de reprendre le travail. Il semble de plus en plus que le diagnostic était bon, mais le remède inadapté.

La comparaison avec l'aide allemande, telle qu'elle existe depuis les réformes Hartz du gouvernement Schröder en 2004, est instructive. L'Allemagne privilégie la mesure disciplinaire par rapport à l'incitation de type humanitaire à la française. L'aide est orientée vers l'insertion obligatoire par le travail : tout bénéficiaire est suivi et contraint d'accepter le travail que lui propose l'agence qui le suit, sous peine de perdre 30% de son aide au premier refus, 60% au second et la totalité au troisième. Les motifs admissibles de refus sont extrêmement restreints, et en particulier le fait que l'emploi proposé procure une rémunération inférieure à l'aide reçue n'est pas un motif valable de refus.

Par opposition, la France n'exige en pratique à peu près rien des bénéficiaires. Les contrats que ces derniers doivent signer ne sont pas contraignants, et tout se traite par la négociation amiable. Il n'y a pas d'obligation d'inscription à Pôle Emploi. Il n'existe ni suivi ni obligation au-delà de 500 euros de ressources. Surtout, au lieu d'un responsable unique comme en Allemagne (les agences locales) compétentes à la fois pour l'aide et l'insertion professionnelle, les rôles sont divisés en France entre les CAF, Pôle emploi et les préfectures. Les premières distribuent l'aide, les secondes proposent les emplois et les troisièmes décident des sanctions éventuelles. Tous ces organismes ne communiquent pas entre eux et n'ont même pas accès à des bases de données communes. Le résultat est l'incohérence totale et l'absence d'efficacité du peu de réglementation existante. Les obligations pesant sur les bénéficiaires restent en fait lettre morte.

L'Allemagne supprime l'aide en cas de refus d'emploi, la France augmente cette aide pour favoriser l'acceptation. Le contraste est saisissant. La solution allemande, conforme à sa culture, est dure mais a néanmoins l'intérêt de mettre le doigt sur ce qui pèche en France, à savoir notre incapacité à passer de l'assistanat à l'insertion professionnelle par la simple incitation (coûteuse) sans mécanisme réel de contrainte. L'actualité ne nous oblige-t-elle pas à réviser notre doctrine ? L'enquête annuelle de Pôle Emploi sur les besoins de main-d'œuvre nous apprend que les entreprises prévoient 1,54 million d'embauches, mais que 37,6% des employeurs estiment qu'ils auront des difficultés pour trouver des candidats en raison de leur pénurie ou de leur profil inadéquat. Et 18,3% de ces entrepreneurs prévoient d'embaucher à l'étranger, chiffre triplé depuis l'année dernière. Le directeur de Pôle Emploi ne s'explique pas ce fait…

N'y a-t-il pas lieu de se poser une fois pour toutes la question du nombre de bénéficiaires des aides sociales qui préfèrent ne pas travailler en se contentant de percevoir ces aides ? Les avantages du RSA-activité manqueraient alors leur cible. Ne faut-il pas rappeler à ce propos qu'au moment de l'instauration du RSA les critiques les plus virulentes provenaient de l'extrême gauche, accusant la réforme de promouvoir une philosophie de l'obligation de travailler ? N'est-il pas temps de briser un tabou ?

Il y a au moins la possibilité de faire des progrès, en s'assurant de l'efficacité des mécanismes existants et du respect des contrats signés. Une autre réforme indispensable est aussi la réunion des pouvoirs en un seul organisme compétent pour l'attribution des aides et la responsabilité des sanctions des obligations contractuelles des bénéficiaires, ainsi qu'une véritable communication entre Pôle Emploi et les organismes distribuant les aides.