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Chômage : augmente-t-il ou diminue-t-il ?

Venant s’ajouter à ceux, très mauvais, de juillet, les chiffres des inscriptions à Pôle emploi du mois d’août ne sont guère moins mauvais (+ 57.200 au total pour la seule catégorie A). Ils viennent a priori contredire les données de l’Insee, selon lesquelles le chômage aurait baissé de 0,1% (données qui datent toutefois de fin juin).

On sait que le gouvernement refuse de commenter les chiffres de Pôle emploi. C’est une occasion de juger cette attitude, plutôt justifiée selon nous, et en tout cas d’expliquer pourquoi comparer les deux méthodes n’a vraiment pas de sens. Autrement dit, les données Insee à fin septembre auront, quant à elles, une signification, bonne ou mauvaise, sur laquelle le gouvernement devra sûrement s’expliquer, Une occasion aussi pour évoquer le sujet du « halo du chômage » dont l’évolution récente pourrait aussi poser problème.

Le constat

D’après Pôle emploi, le chômage en catégorie A (personnes inscrites, n’ayant pas du tout travaillé depuis un mois) a augmenté de 0,6% (22.300) au mois d’août, après un très mauvais mois de juillet (+ 34.900) et un recul de 10.900 en juin. Sur les huit premiers mois de l’année, l’augmentation est de 73.300 personnes, dont 57.200 dus aux seuls mois de juillet et août. Si on ajoute les chômeurs de catégorie B (ayant travaillé moins de 78 heures) et ceux de catégorie C (ayant travaillé plus de 78 heures), le chiffre total augmente de 24.600 en août, et de 85.200 sur 3 mois (+1,5%).

Les chiffres des inscrits à Pôle emploi paraissent donc mauvais, indiquant une recrudescence récente du chômage. Mais ils semblent contredits par ceux fournis par l’Insee, selon qui le taux de chômage a diminué de 0,1% au deuxième trimestre par rapport au premier.

La surprise est d’autant plus grande que la reprise économique s’est incontestablement produite, que les embauches ont repris à un rythme accéléré et que le taux d’emploi a lui aussi augmenté, à 65,3%, un plus haut depuis 1980[1].

Alors, comment analyser la situation ?

Les dates des deux mesures ne sont pas les mêmes.

Simple évidence, les calculs de l’Insee sont trimestriels, et n’intègrent donc pas les mois de juillet et d’août, dont on a vu qu’ils ont été particulièrement mauvais d’après Pôle emploi (+ 57.200 en catégorie A). Avant de se prononcer, il faut donc attendre fin octobre les résultats de l’enquête Insee à fin septembre.

Pôle emploi et l’Insee ne mesurent pas (du tout) les mêmes choses

Pôle emploi mesure les inscrits et les classe dans les différentes catégories. Les catégories A, B et C regroupent les personnes tenues de rechercher de l’emploi, soit qu’ils n’aient pas du tout travaillé pendant la période de référence, soit qu’ils aient travaillé à temps partiel. Dans les catégories D et E, les personnes sont en emploi (formation, maladie, ou contrats spéciaux, contrats aidés) et ne sont pas tenus de rechercher de l’emploi. Ces deux dernières catégories fonctionnent comme des vases communicants avec les trois premières : plus elles sont nombreuses, moins les trois premières le sont. Mais en l’occurrence actuelle, la baisse des contrats aidés ordonnée par le gouvernement n’a pas eu le temps de se répercuter sur le chômage en l’augmentant, à voir les statistiques de Pôle emploi qui montrent qu’au mois d’août les contrats aidés n’ont pas évolué à la baisse. Seuls les effectifs de la catégorie E ont évolué, à la baisse en 2016 mais très récemment à la hausse au contraire (plus 5% en août).

On se demande donc pourquoi le chiffre des chômeurs des trois premières catégories a augmenté (5.645.700 au total, catégories D et E non incluses). L’économiste Yannick L’Horty (CNRS), évoque de façon plausible le fait que les embauches ont surtout profité aux CDD et aux autres emplois précaires, et que leurs titulaires ont maintenu leur inscription à Pôle emploi par crainte de se retrouver vite au chômage. Ceci fait ressortir le peu de fiabilité des inscriptions pour la vraie mesure du chômage.

L’Insee quant à lui mesure le chômage à partir d’enquêtes trimestrielles auprès de 110.000 personnes, conformément à la méthode internationalement utilisée du BIT, suivie par Eurostat, ce qui est censé permettre les comparaisons entre pays membres. La définition du chômage est très spécifique et éloignée de la notion d’inscrits à Pôle emploi. En effet, sont considérés comme chômeurs les personnes qui répondent cumulativement aux trois critères suivants : n’avoir travaillé aucune journée pendant la période de référence, être disponible pour travailler sous quinze jours, et avoir activement recherché du travail dans les quatre semaines précédentes (ou avoir trouvé un travail qui commence dans moins de 3 mois).

Le chiffre total s’établit à 2.651.000 chômeurs au sens du BIT à fin juin 2017, en diminution de 0,1% sur le trimestre précédent (contre 3.540.400 pour la catégorie A de Pôle emploi, la plus proche conceptuellement). En dehors du fait que les chiffres de l’Insee reposent sur des déclarations et non sur une démarche administrative, et du fait que le questionnaire n’inclut pas le travail à temps partiel (objet des catégories B et C de Pôle emploi), la définition du chômage est très restrictive et ne peut exprimer la variété des situations relevant du chômage.

En effet,

  • L’absence de correspondance entre les critères du BIT et l’inscription à Pôle emploi est tout d’abord évidente : on peut rechercher activement du travail sans être inscrit (16% des chômeurs recensés par l’Insee), et inversement être inscrit sans rechercher « activement » du travail, ou encore être à la fois inscrit et en emploi (travailleurs à temps partiel).
  • Par ailleurs, de nombreux cas concernent des personnes qui ne sont ni chômeurs au sens du BIT ni en emploi, bien que recherchant un emploi mais ne remplissant pas les critères du chômage, ou souhaitant travailler mais sans être actifs dans la recherche d’emploi : c’est le phénomène du « halo du chômage » dont il faut tenir compte pour pouvoir approcher le chiffre véritable du chômage.

Le halo du chômage

Depuis 2008, l’Insee cherche à comptabiliser les personnes inactives (ni chômeurs ni en emploi) qui souhaitent travailler : c’est le halo du chômage, comprenant trois composantes : les personnes en recherche d’emploi mais non disponibles (1), les personnes disponibles mais ne cherchant pas d’emploi (2), et les personnes ni disponibles ni en recherche d’emploi (mais souhaitant travailler). En 2015, l’Insee a comptabilisé 300.000 personnes dans la composante (1), 700.000 dans la composante (2) et 400.000 dans la composante (3). Elles représentent au total 3,5% de la population des personnes de 15 à 64 ans.

Eurostat calcule aussi le halo du chômage selon ses propres critères, qui différent de ceux de l’Insee essentiellement parce qu’il n’est pas tenu compte de la composante (3). En 2014, la proportion des personnes dans le halo est selon Eurostat légèrement supérieure à 2% de la population des 15 ans et plus (environ 1,2 million de personnes), contre 3,1% dans la moyenne européenne (7,6%, record, en Italie, 4% aux Pays-Bas, 3,3% en Suède, 2,1 au Royaume-Uni, 1,8% en Belgique, 1,6% en Allemagne)[2].

Quelle est l’évolution du halo dans le temps ?

Selon Eurostat, le chiffre des personnes qui « aimeraient travailler mais ne cherchent pas d’emploi » n’a pratiquement pas évolué en France entre 2007 et 2012 (de 0,655 à 0,677 million), mais il a subi deux ruptures de série tenant à des modifications intervenues dans les questionnaires, de sorte que la comparaison n’est pertinente qu’entre 2014 et 2016, période pendant laquelle on assiste à une augmentation de 1,172 à 1,235 million (+5,3%).

Selon l’Insee, on retrouve le même problème de rupture, mais aussi un phénomène d’augmentation plus marqué, d’environ 120.000 personnes, soit + 9%, entre 2014 et 2017 (de 1,380 à 1,500 million)[3]. Ceci vient contredire l’évolution du nombre de chômeurs selon le BIT, en baisse comme on le sait.

Quelle interprétation donner à cette évolution ? Sur la base des données de 2015, l’Insee commente ainsi l’évolution du halo par composante :

  • Composante 1 (non disponibles mais recherchent un emploi). C’est la composante qui augmente le plus, passant de 11% à 20% du halo entre 2013 et 2015 après avoir été « quasi-stable » entre 2008 et 2013. Les personnes dans cette composante sont plus diplômées que dans les autres, plus proches du marché du travail, davantage inscrits à Pôle emploi (62% contre 54% en moyenne), invoquent souvent des motifs de nature transitoire.
  • Composante 2 (disponibles mais ne recherchent pas d’emploi). C’est la catégorie la plus nombreuse (0,7 million), mais leur nombre n’évolue pas. Les personnes y sont nettement moins diplômées, elles sont éloignées du travail, pensent à 25% qu’il n’y a pas de travail pour elles, et apparaissent plus découragées que les autres.
  • Composante 3 (ni disponibles ni en recherche d’emploi). Les personnes sont à 60% des femmes ; elles éprouvent souvent des difficultés à concilier situation personnelle (études, personnes à charge, maladie, invalidité) et emploi. Leur nombre évolue à la hausse depuis 2013 (+ 50.000).

Conclusion

Il est difficile de tirer des conclusions sur l’évolution récente du chômage. Il paraît au moins certain que la France connaît actuellement un régime « en plateau », et il sera important de voir les résultats de l’enquête Insee du troisième trimestre en même temps que l’état des inscriptions à Pôle emploi à fin septembre pour se faire une idée sur la signification des données Pôle emploi de juillet et août derniers.

Comparer les résultats de l’Insee et de Pôle emploi n’a clairement pas de sens compte tenu de la différence des méthodes utilisées. A choisir entre les deux, nous aurions tendance à penser que ce sont les inscriptions à Pôle emploi qui ont le moins de signification, étant soumis à tous les aléas administratifs (notamment les radiations et les défauts d’actualisation), aux décisions ou à la négligence des demandeurs d'emploi ainsi qu’à leur désir de rester inscrits bien qu’ils aient trouvé un emploi – ou lorsqu’ils ont cessé toute démarche active.

Même si la méthode des enquêtes n’est pas dénuée d’aléas – ce qui s’est remarqué lors des changements de questionnaires, la stabilité de la méthode chaque trimestre évite les aléas administratifs des inscriptions à Pôle emploi.

Enfin, bien que le phénomène du halo du chômage ne joue pas sur un nombre considérable de personnes, il faut quand même se demander à quoi attribuer l’augmentation constatée depuis 2013 – tout en notant que l’Insee n’estime pas qu’elle soit due à la hausse de la composante regroupant les personnes les plus susceptibles d’être victimes de découragement, mais au contraire à la hausse des personnes les plus diplômées et les plus près du travail.


[1] Qui ne saurait toutefois masquer que ce résultat est dû essentiellement à l’emploi des seniors, en raison de l’augmentation de l’âge de la retraite, alors que celui des 15/24 ans a subi une très forte baisse.

[2] Pour 2016, Eurostat a publié sous la rubrique « Population inactive ne recherchant pas d’emploi par sexe, âge et volonté de travailler », et le paramètre « Aimerait travailler, mais ne cherche pas d’emploi », le chiffre de 1,235 million de personnes concernant la population française des 15-74 ans. A noter que ce chiffre ne correspond qu’à 7,2% de la population totale inactive de cette catégorie d’âge, les autres (16,2 millions) ayant déclaré « ne veut pas travailler », proportion inhabituellement forte par comparaison avec les autres pays.

[3] La méthode de mesure de l’Insee et de Pôle emploi ne sont pas les mêmes, voir plus haut.