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Chiffres du chômage : la bombe à retardement des contrats aidés

C’est le point de départ de l’ère Macron. Quelles sont les tendances existantes au moment de ce départ ? Nous disposons de deux mesures récentes, réalisées à partir de méthodes très différentes, celle de l’INSEE à la fin du premier trimestre 2017, et celle de Pôle Emploi à fin mai. Nous accordons, comme la ministre du Travail, peu d’intérêt à l’évolution de la seconde sur un mois, mais notons les signes nettement encourageants qu’apportent les deux méthodes sur l’évolution sur une année, voire sur trois mois.

Ce qui ne veut pas dire que le ciel est tout bleu, loin de là. Non seulement parce que l’INSEE n’annonce qu’une décrue lente du chômage, mais pour d’autres raisons dont les principales sont un taux d’emploi très à la traîne de la moyenne de l’OCDE et particulièrement des pays européens, et, problème spécifique à la France, les contrats aidés : un boulet devenant une bombe prête à éclater. En mai 2017, on comptait 417.500 personnes en catégorie E (personnes en emploi non tenues de rechercher un emploi, soit essentiellement des titulaires de contrats aidés), un record. 

Evolution du chômage selon Pôle emploi et l’INSEE/BIT

Au sens de Pôle emploi

Ce chiffrage est issu de la statistique administrative des demandeurs d’emplois inscrits dans les 5 catégories A à E. Il ne permet pas les comparaisons internationales.

                Evolution du nombre d’inscrits à Pôle emploi (en %), données CVS/CJO

France métropolitaine

Var. sur 1 mois

Var. sur 3 mois

Var. sur 1 an

Catégorie A[1]

+ 0,6

+0,9-

-0,8

Catégorie B[2]

-0,9

-1,0

+0,2

Catégorie C[3]

+0,7

+1,7

+12,7

Catégories A à E (6.277.300 personnes)

+0,3

+0,3

+2

Au sens du BIT/INSEE

A la différence du chiffrage au sens de Pôle emploi, ce chiffrage est issu d’une enquête auprès de 108.000 personnes, et liste les personnes sans aucun travail, en recherche active et prêts à travailler dans les 15 jours. Il permet les comparaisons internationales.

                            Evolution du chômage (enquête INSEE), variation en points            

France métropolitaine.

Var. sur 3 mois 

   Var. sur 1 an

2.674.000 personnes à fin T1 2017

-0,4

-0,6

Taux de chômage à fin de :  

T1 2016

T4 2016

T1 2017

 

9,9

9,7

9,3

Commentaires

1.Pour suivre la consigne gouvernementale, nous nous abstiendrons de commenter l’évolution d’un mois sur l’autre des statistiques de Pôle emploi, effectivement peu démonstrative et d’ailleurs non disponible à partir des enquêtes de l’INSEE.

2.Sur un an, l’évolution (en pourcentage) de la catégorie A des statistiques de Pôle emploi (3,49 millions de personnes), et celle (en points) provenant du calcul de l’INSEE (dont la catégorie A est la plus proche, 2,67 millions de personnes), montrent incontestablement une décrue du chômage des personnes sans aucun emploi, décrue qui a d’ailleurs commencé en 2015[4].

3. Sur le dernier trimestre, apparaît un phénomène nouveau qui touche les catégories B et C. La première est en baisse, alors que la seconde (personnes ayant travaillé plus de 78 heures) est en très forte hausse. Ceci, qui est peut-être corrélé à la baisse des catégories A et B (sans emploi ou avec un emploi court), montre en tout cas une nette bascule de l’inactivité vers l’activité[5]. Il faut ajouter une montée en flèche depuis début 2016 des inscriptions à Pôle emploi pour cause de reprise d’activité, et aussi, en sens inverse, la baisse de ces inscriptions pour cause de fin de CDD.

Les points noirs

On peut en remarquer plusieurs :

  1. L’augmentation du halo autour du chômage (personnes souhaitant travailler mais non comptabilisées comme chômeurs au sens du BIT) : Ces personnes sont 1,5 million, en augmentation de 400.000 depuis 2008, de 58.000 sur un an et de 20.000 sur 3 mois. Ces 20.000 viennent relativiser les 115.000 de diminution d’un trimestre sur l’autre. Le phénomène est préoccupant. Comment l’interpréter ?
  2. Taux d’emploi (% 15/64 ans en emploi, ce taux mesure la capacité d’une économie à utiliser ses ressources en main d’oeuvre)

Avec un pourcentage de 64,7%, stable sur 3 mois, plus 0,1% en 1 an, la performance française reste franchement mauvaise comparée aux autres pays, en général au-dessus de 72% en Europe, 75% en Allemagne et aux Pays-Bas (la Belgique est le seul pays pire que nous). Le constat est cependant à modérer en raison du % plus important de temps partiel dans ces autres pays (mais temps complet moins long en France et temps partiel davantage subi en France).

Le même écart (un peu plus faible) se retrouve dans le taux d’activité (% employés et chômeurs/ 15/64 ans).

Les contrats aidés, un boulet qui devient une bombe prête à éclater

La catégorie E des demandeurs d’emploi (personnes en emploi non tenues de rechercher un emploi) auprès de Pôle emploi comprend essentiellement des titulaires de contrats aidés dont les gouvernements successifs, et particulièrement pendant la fin du quinquennat de François Hollande, ont fait grand usage. 290.000 étaient prévus en 2016 et c'est au final 456.723 emplois aidés qui ont été créés, engendrant un déficit d’un demi-milliard d’euros. A fin mai 2017, la catégorie E comprend 417.500 personnes. Pour le reste de l’année, la situation est alarmante. Cinq mois après le début de l'année, 68% du budget 2017 (sur un total de 2,4 milliards, aide à l’embauche pour les PME comprise), a déjà été dépensé par le gouvernement Cazeneuve, de sorte que, sans rallonge budgétaire qui paraît exclue à la date d’aujourd’hui, on enregistrerait une baisse de 120.000 contrats aidés, qui pourrait se traduire par une augmentation du chômage de 62.000 personnes, ce qui est considérable (plus de 2 points de taux de chômage potentiels !). Nous ne savons pas si l’INSEE a tenu compte du phénomène dans ses prévisions, mais il est évident que le sujet devra être examiné. A l’heure actuelle, il serait à l’étude dans les ministères intéressés…

Une double pénalité pour le nouveau gouvernement, qui non seulement se voit confronté à l’« insincérité » du budget 2016, mais risque d’en encaisser les conséquences sur le chômage.

A quelque chose malheur pourrait quand même être bon, voilà une occasion – contrainte - de se débarrasser enfin de ce boulet souvent stigmatisé par la Cour des comptes pour son inefficacité.


[1] Sans aucun emploi

[2] B : 78 heures effectuées au maximum durant le dernier mois.

[3] C : temps incomplet au-dessus de 78 heures.

[4] La décrue affecte toutes les classes d’âge sauf les seniors, et très peu les femmes.

[5] L’amélioration reste cependant modeste, la catégorie C ne comportant que 1,3 million de personnes.