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Apprentissage : le coût en France, Allemagne et Royaume-Uni

Une entreprise de plus de 600 salariés dans la métallurgie qui emploie des apprentis en France, en Allemagne et au Royaume-Uni a accepté de comparer, pour la Fondation iFRAP, les rémunérations et taux horaire de ses apprentis dans les trois pays. Le constat est clair : le taux horaire passe du simple au double entre un apprenti en deuxième année en France et ses collègues allemands ou britanniques et ce, alors que la dépense publique de la France est de 11.217 euros par apprenti contre 4.040 euros en Allemagne et 2.500 euros au Royaume-Uni. En cause ? L'accumulation des règles de rémunération (entre le smic, le barème annuel et les conventions collectives) mais aussi des formations beaucoup plus théoriques en France (910 heures par an en entreprise en France contre 1.127 heures en Allemagne et 1.472 heures au Royaume-Uni).

La rémunération de l'apprenti

Voici le cas d'une entreprise de plus de 600 salariés dans la métallurgie et présente dans plusieurs États européens. Pour cette entreprise, le taux horaire d'un apprenti français coûte presque le double que celle d'un apprenti allemand ou anglais alors que sa rémunération annuelle est de 1.800 à 3.500 euros supérieure. La faute à un coût du travail trop élevé et à un temps de formation en entreprise inférieur à 100 heures annuelles.

 AllemagneFranceRoyaume-Uni
Rémunération de l'apprenti
- 8.050 euros la première année
- 8.650 euros la seconde année
- 9.250 euros la troisième année

- 10.335 euros pour l'apprenti de 18 ans et/ou la première année
- 12.207 euros pour l'apprenti de 20 ans et/ou la seconde année
- 15.028 euros pour l'apprenti de 21 ans et/ou la troisième année*

- 5.720 euros la première année et de 16 à 18 ans
- 10.348 euros de 19 à 20 ans
- 13.650 euros pour les 21 ans et plus
Temps de travail24,5 heures en entreprise et 14 heures en école pendant 46 semaines35 heures par semaine dont 26 en entreprise et 20 en école32 heures en entreprise et 8 heures en école pendant 46 semaines
Heures annuelles de travail en entreprise1.127 heures910 heures1.472 heures
Taux horaire pour l'employeur pour un apprenti de 20 ans, en 2ème année7,67 euros13,4 euros7,02 euros

* En France, la convention collective spécifie que l'apprenti bénéficie du 13ème mois comme le reste de l'entreprise.

Un premier point sur les différentes approches : en l'Allemagne l'apprenti est rémunéré en fonction de son expérience (en moyenne au tiers du salaire d'un travailleur qualifié). quand à l'inverse, la France et le Royaume-Uni ont décidé de fixer la rémunération des apprentis principalement en fonction de son âge.

Le coût d'un apprenti pour une entreprise dépend :

  • Du smic en France puisqu'il sert de base de calcul de la rémunération de l'apprenti. Ce smic n'existe pas au Royaume-Uni et n'est pas encore entré en vigueur en Allemagne. Mais à ce titre, les négociations continuent Outre-rhin et ce salaire minimum ne devrait pas s'appliquer ni aux stagiaires, ni aux jeunes de moins de 21 ans, ni à l'apprentissage de peur de perdre en attractivité et surtout d'enrayer un système qui fonctionne (dans la même classe d'âge, 55% de la population sont issus d'une formation en apprentissage).
  • D'un barème, en France et au Royaume-Uni, revu annuellement et qui fixe les règles de base de la rémunération minimale de l'apprenti. Le barème 2014 français fixe les rémunérations de 4.336 à 9.192 euros la première année, soit de 25 à 53% du smic (selon l'âge de l'apprenti), de 6.417 à 10.580 euros la seconde année, soit de 37 à 61% du smic (selon l'âge de l'apprenti) et de 9.192 à 13.528 euros la troisième année, soit de 53 à 78% du smic (selon l'âge de l'apprenti).
  • Des conventions ou accords collectifs de branche ou d'entreprise qui peuvent valoriser la rémunération. Pour reprendre notre cas dans la métallurgie, la convention collective française relève à à 55% du smic la rémunération d'un première année (18 ans), à 65% du smic la rémunération d'un seconde année (20 ans) et à 80% du smic la rémunération d'un troisième année (21 ans). Un cas loin d'être isolé (pour retrouver tous les calculs de la rémunération de l'apprenti, voir sur le site de CCI France). À noter qu'en France, ces conventions viennent se rajouter à la législation légale, quand en Allemagne elles servent de base.

On en revient donc, en France, à la question du coût du travail, particulièrement peu incitatif à l'apprentissage. Pour remédier à cela, les gouvernements successifs ont bien tenté de l'alléger à coup de crédit d'impôt et d'exonération fiscale pour les entreprises employant des apprentis. Ainsi le salaire de ces derniers, à l'inverse des Allemands et des Britanniques, ne sont pas imposables (dans la limite d'un smic annuel) ce qui représentait plus de 1,2 milliard d'euros non prélevés en 2011. Chaque entreprise bénéficie aussi d'un crédit d'impôt par apprenti pour un total de 470 millions en 2011. En parallèle, les régions versent une indemnité compensatrice forfaitaire (entre 1.000 et 5.000 euros) aux entreprises, par apprenti et par année de formation. Finalement, les pouvoirs publics ont mis en place un système de bonus/malus pour les entreprises qui ne respecteraient pas le quota de 4% d'apprentis au sein de leurs employés. Le problème est que plus de 4.000 d'entre elles préfèrent payer l'amende par désintérêt pour l'apprentissage ou… par difficulté à trouver des apprentis.

Un dirigeant d'entreprise témoignait devant la Fondation iFRAP de ses difficultés à comprendre le système de crédit d'impôt et de subventions : « Nous recevons des montants différents selon les profils sans comprendre pourquoi (entre 500 et 1.000 euros en général. Encore une belle usine à gaz dont la France a le secret ».

À l'inverse, l'incitation au recrutement d'apprentis est beaucoup plus linéaire au Royaume-Uni où le gouvernement a mis en place deux dispositifs incitatifs. Il prend à sa charge une partie du coût de l'apprentissage selon l'âge de l'apprenti : à 100% du coût de l'apprentissage si l'apprenti a entre 16 et 18 ans, à 50% du coût de l'apprentissage si l'apprenti a entre 19 et 24 ans et jusqu'à 50% du coût de l'apprentissage si l'apprenti a plus de 25 ans. Une subvention pour la partie pédagogique de la formation (au minimum 100 heures de cours pour 280 heures d'apprentissage) que la majorité des entreprises délèguent à des établissements privés. Dans ce cas, ce sont ces dernières qui touchent la subvention. En parallèle, les entreprises de plus de 1.000 salariés se voient allouer une subvention de 1.800 euros par apprenti (renouvelable 10 fois). Un dispositif simple et (apparemment) efficace puisque de 2000 à 2014, le nombre d'apprentis au Royaume-Uni est passé de 200.000 à 800.000.

Trop peu de temps de formation en entreprise : S'ajoute aux questions du coût du travail en France, la question du temps de travail des apprentis. En moyenne, l'apprentissage en France devrait se partager en 1 semaine en école pour 2 semaines en entreprise sauf que le partage des temps de formation est en fait organisé par les écoles. Ainsi, dans notre exemple, l'apprenti passe bien 20 semaines en école pour seulement 26 semaines en entreprise. Difficile alors de relancer l'intérêt pour l'apprentissage, du côté de l'employeur comme de l'apprenti quand, entre l'école, les périodes d'examens et les congés, l'apprenti passe plus de la moitié de l'année hors de l'entreprise.

Les effectifs

 AllemagneFranceRoyaume-Uni
Effectifs1,5 million426.000860.000
 

% de femmes : 41%

% de moins de 25 ans : 92%

% de femmes : 31%

% de moins de 25 ans : 97%

% de femmes : 55%

% de moins de 25 ans : 55%

Durée de l'apprentissage2 à 3,5 ans3 à 4 ans1 à 3 ans selon le niveau visé*

*Une moyenne pour le Royaume-Uni où il n'y a pas d'année scolaire à proprement parler, il s'agit de valider des acquis (ou qualifications).

Au regard de ce tableau, on constate de la Royaume-Uni, s'il poursuit sa progression formera bientôt le double d'apprentis que la France alors que l'Allemagne en forme déjà le triple. Un écart qui se creuse d'autant plus que le nombre d'apprentis en France a baissé de -14% dans les premiers mois de 2014, de -8% en 2013 et de -15% en 2012.

Récemment, le gouvernement s'est fixé l'objectif de former 500.000 nouveaux apprentis d'ici 2017. Un objectif déjà avancé par la précédente majorité. Seulement, lorsqu'on regarde le détail, pour relancer l'apprentissage, l'État ne compte pas s'appuyer sur les entreprises mais sur l'Éducation nationale. Seulement, difficile de valoriser l'apprentissage dans le cursus général alors que les principaux syndicats d'enseignants sont opposés au développement de l'apprentissage avant le bac [1]. Et pour augmenter les effectifs, l'État peut également compter… sur lui-même puisqu'il s'est déjà engagé à augmenter de 50% le nombre d'apprentis dans les établissements publics de l'Éducation nationale d'ici 2017 et à recruter 700 à 10.000 apprentis d'ici à la fin du quinquennat dans la fonction publique d'État.

À noter que les apprentis de la fonction publique sont mieux rémunérés que ceux du privé : plus 10% de rémunération si le diplôme préparé est du niveau du baccalauréat et plus 20% de rémunération si le diplôme préparé est de niveau supérieur à celui du baccalauréat. Une histoire qui n'est pas sans rappeler le problème des emplois d'avenir et des contrats aidés entre secteur non marchand et secteur marchand, d'autant que ces derniers ont été largement soutenus au détriment de l'apprentissage (voir la note : Un scandale politique : les contrats d'apprentissage ponctionnés au profit des emplois d'avenir).

Ainsi s'il apparaît possible de gonfler les effectifs d'apprentis dans le public, le problème ne se réglera pas dans le secteur marchand sans agir sur le coût du travail de l'apprenti (qui ne peut plus être camouflé à coup de crédit d'impôt et d'exonération fiscale) et sans simplification des règles. Et si les discussions sur le coût du travail en France semblent au point mort, il y avait de nombreuses attentes en termes de simplification dans l'apprentissage. Mais elles ont été vite déçues :

  • Ainsi concernant le travail jugé dangereux… dès 2015, « sans modifier la liste des travaux réglementés, à conditions de sécurité égales et de protection efficace des apprentis, et après concertation avec les partenaires sociaux, la procédure sera simplifiée par le passage à un régime déclaratif, associé à un contrôle a posteriori renforcé »… Peu d'employeurs y verront une incitation à l'embauche d'apprentis.

La dépense publique

 AllemagneFranceRoyaume-Uni
Dépenses publiques

2,63 milliards versés par l'État fédéral (dont 1,62 milliard versés par l'Agence fédéral pour l'emploi)

3,43 milliards d'euros versés par les Lander (dont 3,14 milliards versés pour les écoles professionnelles à temps partil et 39 millions pour les classes d'année préparatoire à l'apprentissage)

2,8 milliards d'euros versés par l'État

1,9 milliard d'euros versés par les régions

2 milliards d'euros versés par l'État et ses agences
Dépenses publiques totales6,06 milliards d'euros[2]4,7 milliards d'euros2 milliards d'euros
Dépenses publiques par apprenti4.040 euros11.217 euros2.500 euros

Finalement un dernier point sur la dépense publique. Logiquement, pour former 3 fois plus d'apprentis, l'Allemagne dépense plus que nous dans l'apprentissage. Sauf qu'en mettant en lien le nombre d'apprentis et la dépense publique pour l'apprentissage de l'État et des régions, on constate que l'apprenti français coûte 11.217 euros contre 4.040 euros pour l'allemand et 2.500 euros pour le britannique.

Un décalage qui trouve sa source dans l'éparpillement du système d'apprentissage français où tout le monde verse un petit quelque chose. Ainsi l'État prend en charge l'enseignement professionnel initial dans le secondaire et le supérieur alors qu'en parallèle, les régions et les entreprises s'occupent de l'apprentissage. Les entreprises sont responsables des temps de formation en milieu professionnel et les régions (via les services publics de l'emploi) prennent le relais dans le cadre des recherches d'emploi et de stages. Tout cela aboutit à un modèle peu attractif, voire souvent dévalorisé par rapport à la formation générale, très peu connecté au monde du travail et qui ne permet pas une grande mobilité dans le système éducatif.

Déjà en 2008, la Cour des comptes préconisait de mettre fin à l'actuelle concurrence entre l'enseignement professionnel et l'apprentissage (soit entre l'État et les régions) et d'impliquer davantage les entreprises afin d'adapter les formations aux besoins du marché et d'assurer une insertion facilitée des diplômés dans le monde du travail. D'autant qu'avec plus de 70% d'insertion dans le marché du travail, l'apprentissage est de loin la meilleure politique en faveur de l'emploi des jeunes.

[1] Voir Les profs, responsables de l'échec de l'apprentissage en France ?

[2] La dépense publique en faveur de l'apprentissage en Allemagne : chiffres BiBB et CIRAC