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Adapter la société au vieillissement ou adapter le vieillissement à la société ?

Définitivement adoptée par le Parlement le 14 décembre 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV) est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Reconnaissant que le 5e risque ne sera pas créé, elle acte que la prise en charge de la dépendance doit s'adapter au poids de nos prélèvements sociaux.

Au-delà d'un discours convenu sur l'identification et la prévention des facteurs de risque, la loi apporte des mesures concrètes :

- mise en place d'un chèque dépendance qui individualise les choix de prise en charge des prestations au détriment d'un payeur collectif
- mise en cohérence des différentes institutions intervenant dans le domaine de l'autonomie
- enfin pour les EHPAD, la loi revoit les conditions de leurs financements

Traitant du défi incontestable de la dépendance, annoncée depuis des années et présentée comme une révolution, les réalités ont finalement rattrapé cette nouvelle loi.   

Dans un éditorial paru dans le Mensuel des Maisons de Retraite (numéro de décembre 2015), Luc Broussy – Président de la France Silver Eco et auteur, en mars 2013, d’un Rapport au gouvernement Ayrault sur l’adaptation de la société au vieillissement[1] qui a largement inspiré le projet de loi – estimait que « le mois de décembre 2015 resterait longtemps inscrit dans nos mémoires collectives » ; ceci au motif que la loi ASV sonnait comme un « changement total de paradigme » en matière de politique du vieillissement dans notre pays. Rien moins que ça !

Au-delà des mots, revenons à la réalité et, notamment, aux contraintes budgétaires qu’elle impose dans un cadre de croissance économique anémiée : si changement il y a, c’est qu’enfin, après des années de débats et l’abandon d’une illusoire mise en place d’un 5ème Risque-Dépendance, les pouvoirs publics reconnaissent l’impossibilité de continuer à mobiliser des milliards supplémentaires – comme cela a été le cas durant la décennie 2000-2010 – au profit des personnes âgées et/ou dépendantes, déjà largement bénéficiaires de l’inflexion constante en leur faveur de la structure des prestations sociales (leur part dans les dépenses de protection sociale est passée de 11% à 17% du PIB depuis 1979).

En effet, en tout et pour tout – et même si les ministres concernés parlent de moyens conséquents – la loi ASV met sur la table du financement essentiellement les 720 millions d’euros qu’apporte la Cotisation additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA).

Ce prélèvement, récemment créé est assis sur les pensions des retraités imposables et son produit ira principalement, à terme, à la revalorisation de l’Allocation pour l’autonomie (APA) perçue, à des degrés divers, par les personnes âgées dépendantes prises en charge à domicile et, secondairement, à l’amélioration des conditions de travail des aides à domicile. Cette amélioration de l'APA ne règle en rien le problème de la dérive financière qui affecte les dépenses sociales des départements, notamment au titre de l'APA, dont la charge revient à environ 70% aux départements.

Faute de pouvoir mobiliser des moyens supplémentaires vraiment significatifs, en raison de l’inextensibilité des prélèvements sociaux dans une économie atone, on peut estimer qu’il s’agit plutôt d’adapter le vieillissement à la société et à ses capacités financières stagnantes et non l’inverse. Ce que reconnait, sous une autre formulation, une récente note de France Stratégie[2] qui considère qu’il ne sera pas possible de mettre davantage à contribution les jeunes et les actifs et que c’est donc aux séniors qu’il faudra faire plus appel pour conforter la soutenabilité financière des transferts sociaux.

Une loi multiple

C’est donc dans ce contexte qu’il faut examiner cette loi, par ailleurs extrêmement bavarde (101 articles) mais dont l’essentiel porte sur des dispositifs organisationnels et réglementaires. Pour donner une cohérence théorique à cet ensemble complexe, trois objectifs généraux : anticipation et prévention, accompagnement de la perte d’autonomie et adaptation de la société au vieillissement sont mis en exergue et longuement développés dans un Rapport annexé à l’article 2 de la loi.

Au-delà d’un discours volontairement très positif mais également très convenu sur l’identification et la prévention des facteurs de risque et des fragilités susceptibles d’entrainer une perte d’autonomie[3] – malheureusement plus ou moins inévitable avec l’inéluctable vieillissement physiologique – on retiendra un certain nombre de mesures concrètes.

1. Un coup de pouce sera donné à la « Silver Economie » par la création d’une nouvelle aide, ciblée sur les personnes âgées à faibles revenus permettant de solvabiliser leur accès à des bouquets de services regroupant des dispositifs techniques d’assistance ou de domotique ; on peut y voir les prémisses au développement d’un futur chèque-santé ou chèque-dépendance priorisant les choix de prestations des individus au détriment de ceux imposés par le payeur collectif.

Plus généralement, il s’agit de faciliter l’entrée de la politique de l’autonomie dans l’ère du numérique en liaison avec l’essor de la Silver Economie, créatrice d’emplois industriels et de services pour répondre aux besoins et aspirations des seniors ; mais le développement de cette filière et d’un marché dynamique est freiné par des difficultés d’ajustements réciproques entre l’offre et la demande ainsi que par le caractère incertain et souvent ponctuel des financements d’amorçage facilitant l’acquisition des technologies proposées[4]

2. Un gain de cohérence – à la fois organisationnelle et financière – peut être attendu de la mise en place d’une conférence départementale des multiples financeurs publics et privés (ARS, Conseils Départementaux, CCAS, CARSAT, Caisses de retraite, associations, services d’aide à domicile…) de la prévention de la perte d’autonomie. Sous la présidence du Conseil Départemental, cette conférence doit établir des programmes coordonnés d’actions individuelles et collectives de prévention actuellement très dispersées ; en amont, la définition d’une stratégie globale de coordination doit se fonder sur les besoins recensés à partir à la fois du Schéma Départemental relatif aux personnes en perte d’autonomie et du Plan Régional de Santé des ARS.

Bien que bénéficiaires de ces actions, les retraités ne participeront pas à cette Conférence, mais seront obligatoirement organisés en Conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA) qui se substitueront aux anciens Comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA) et aux Conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées (CDCPH).

Enfin, les Conseils départementaux pourront, s’ils le souhaitent, mettre en œuvre des Maisons départementales de l’autonomie (MDA) susceptibles d’intégrer, ou non, les actuelles Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) issus de la loi de 2005.

3. Des améliorations de gouvernance sont également prévues par la loi au niveau national. C’est d’abord l’élargissement des fonctions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui est confortée dans son rôle de « maison commune » de l’autonomie au travers de nombreuses missions : entre autres, création d’un portail internet pour les personnes âgées et d’un guide des aides techniques ainsi que des labels d’usage, suivi de l’efficience de la dépense médico-sociale, notamment celle couverte par l’Assurance-maladie (et dans cette perspective le Conseil d’administration de la caisse intégrera des représentants du Régime général, de la mutualité sociale agricole et du Régime social des indépendants), appui méthodologique et harmonisation des pratiques en matière d’APA, rénovation et accompagnement du secteur de l’aide à domicile…

C’est ensuite la création du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (dont la composition et le fonctionnement seront précisés par décret) qui aura vocation à mener une réflexion globale et opérationnelle sur les problématiques propres aux divers âges de la vie et devrait, de ce fait, se substituer aux nombreuses instances existantes, chacune défendant les intérêts des différentes générations sans cohérence d’ensemble.

4. Les établissements d’accueil pour séniors. Même si l’essentiel de la loi vise le domicile – choix privilégié par les politiques publiques et plébiscité par les personnes âgées elles-mêmes – l’alternative que constituent les établissements d’accueil pour séniors n’est pas absente de la loi.

Au premier rang, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont concernés par des adaptations de leur financement (en attendant une future réforme générale de leur tarification) : les anciennes conventions tripartites seront progressiement remplacées par des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) signés pour une durée de cinq ans avec le président du Conseil départemental et le directeur général de l’Agence régionale de santé ; dans le cadre du CPOM, le financement ne se fera plus sur une base négociée mais à partir d’un forfait global calculé en fonction du niveau de dépendance moyen et des besoins en soins spécifiques des résidents ; enfin sera défini « un socle minimal de prestations » en contrepartie du tarif hébergement (prestations d’accueil hôtelier, restauration, une partie du blanchissage, prestations d’administration générale) dont le prix sera déterminé librement lors de la signature du contrat initial alors que son pourcentage de hausse ultérieure sera fixé chaque 1er janvier par arrêté ministériel en fonction de l’évolution de divers indices économiques généraux (coût de la construction, loyers, prix alimentaires et des services, retraites…)

En dehors des EHPAD, les autres formes d’habitat collectif pour personnes âgées sont également visées : d’une part les anciens logements-foyers, gérés pour les 2/3 par les centres communaux d’action sociale (CCAS) sont rebaptisés « Résidences autonomie » et feront l’objet d’un programme d’investissement et de modernisation à hauteur – très insuffisante – de 40 millions d’euros ; d’autre part est reconnu un statut législatif aux « Résidences seniors » de nouvelle génération définies comme « un ensemble d’habitations constitué de logements autonomes, destinés principalement à des personnes âgées ou handicapées permettant aux occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables ».

Conclusion 

On se limitera à la mise en exergue de ces quelques éléments marquants car l’objectif de cette présentation sommaire n’est évidemment pas une analyse exhaustive d’une loi regroupant des développements très divers autour du thème général de l’impact du vieillissement. Toutefois on insistera, en conclusion, sur le fait qu’il semble possible de déceler dans l’esprit du texte une discrète inflexion libérale, au sens où la traditionnelle primauté de l’Etat-Providence s’efface quelque peu au profit d’une vision plus individualiste dont on retrouve de nombreuses traces malgré la réaffirmation fréquente et incantatoire de l’importance de la solidarité, notamment pour réduire les inégalités sociales majorées par l’âge. Ainsi en est-il du discours sur la prévention – anciennement sur un mode tutélaire, global et peu efficace – qui est davantage centré sur l’individu, ses comportements et, plus généralement, sa responsabilité (« Chacun doit prendre à bras le corps son vieillissement et ses conséquences ») ; ainsi en est-il des mesures visant à favoriser le développement des prêts viagers hypothécaires et de l’assurance dépendance qui sont autant d’incitations à mobiliser les ressources personnelles ; ainsi en est-il de la reconnaissance financière – modeste mais non négligeable 80 millions d’euros – du droit au répit qui consacre la place essentielle et croissante des proches, les aidants, sans la mobilisation matérielle, affective et financière – desquels la prise en charge des personnes âgées surtout dépendantes, par les professionnels du soin et de l’aide serait dramatiquement précaire.


[1] Rapport Broussy : « L’adaptation de la société au vieillissement de la population. France, année zéro » - 2013

[2] Cf. « Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ? » - France Stratégie du 12/01/2016

[3] Cf. « La prévention de la perte d’autonomie. La fragilité en questions. Apports, limites et perspectives ». Rapport de l’IRDES n° 563 – Janvier 2016.

[4] Cf. G. DELANDE : « Silver Econmy : pour le maintien en activité des séniors » IFRAP – 15/01/2015